Tu ne parles jamais d'amour. Aux premiers pas de l'aube, lorsque les lumières de Saigon se sont évanouies, il pleuvait. Dans ta langue maternelle, en cantonais, on ne dit pas il pleut, on dit il pleure. Le ciel a lavé la terre.
Le narrateur s'adresse à celui qu'il aime et propose au lecteur de suivre l'exil d'un sino-vietnamien après la chute de Saigon.
Gilles Jobidon y parle de la douleur de quitter sa terre, de ces hommes qui fuient leur pays en espérant trouver un sol plus accueillant, de la répression, de la peur...
Très jeune, notre héros est obligé de quitter l'école et de vendre du thé sur le marché. Maître Wou le prend alors sous son aile et lui offre le voyage tant espéré, vers ce pays où "fleedom" a un sens.
Mais la route est longue et dangereuse pour y parvenir, et même quand on y parvient enfin, il y a encore ces camps de réfugiés où la vie semble plus cruelle qu'avant.
Mais résumer ce livre à son intrigue est l'enfermer dans des codes qui ne lui correspondraient pas. En effet, je n'ai pas vécu ce livre comme un roman mais comme un véritable poème sur l'exil et l'amour.
Il y a ainsi certains livres où chaque phrase nous interpelle. Chaque mot résonne et fait échos à notre humanité. Gilles Jobidon, que je ne connaissais pas jusque là, a su m'ensorceler par la précision et le lyrisme de son écriture. Il a effectué ici un véritable travail d'orfèvre. Tout est feutré, minutieux, hypnotique.
Ce livre se déguste à petite touche et j'avais envie d'inscrire sur un carnet pratiquement chacune des phrases de ce récit. Certaines pourraient être des histoires à elles seules. Le narrateur, extrêmement pudique, laisse transparaître tout l'amour qu'il ressent pour ce jeune exilé, sans jamais tomber dans le pathos ou la mièvrerie. C'est un livre-bijou, qui ne peut pas être englouti d'un traite. Comme tous les mets succulents, il doit être savouré avec douceur et patience pour pouvoir exprimer toutes ses essences. Si vous savez l'approcher avec délicatesse, vous pourrez alors vous délecter des mille et un trésors de poésie qu'il renferme.
Du même auteur : D'ailleurs
Laurence
Extraits :
Comme on le fait pour un instrument de musique, j'essaie d'accorder les mots en lumière, attendant qu'ils s'éveillent dans le presque livre, encore endormi.
Ces mots, comme une longue courbe d'encre, un pont lancé au travers de nous. Je ne sais pas où je m'en vais avec mes gros sabots de mots. Là n'est pas l'important. Le voyage se fait entre les pas. [...]
De ton seul sourire, tu sais accrocher les passants. Ce n'est pas parce que l'on ne fait pas ce que l'on aime qu'on ne doit pas aimer ce que l'on fait. Comme tes ancêtres Han, tu as le commerce dans le sang. Ton sourire est ton meilleur passeport. Ta mère, elle, vous approvisionne en thé, en prunes bleues, en loterie, en courage : les femmes soutiennent la moitié du ciel.[...]
Le coeur dans la gorge, le souffle court dans le bas-ventre d'une péniche chargé de briques, dans le silence épais des cales, emmuré, patient, comme tous ceux qui ont fui, eau-delà, eau-delà de la rivière, tu n'as rien vu, rien su, rien entendu des pépites d'or que, de chaque côté, en amont du Grand Fleuve, les agents frontaliers prennent du passeur pour fermer les yeux, la bouche, les oreilles. Immobile sur la digue, le pélican ne se mouille pas les ailes.[...]
Quand tu seras un vieux Chinois, ployé dans le jardin, à faire sourire la terre, que tu lèveras les yeux vers moi, encore assis, à lire, impénitent, qu'il ne nous restera que peu de temps, saurai-je enfin que rien ne finit, que rien ne commence, qu'ici, que maintenant. Le fond du coeur va plus loin que le plus loin bout du monde.
Éditions VLB - 139 pages
Commentaires
dimanche 30 décembre 2007 à 10h14
"le fond du coeur va plus loin que le plus loin du bout du monde". Rien que cette phrase..... Tout un poème.
Livre noté et bien noté. Merci Catherine, Merci Laurence.
dimanche 30 décembre 2007 à 14h51
oh que je suis contente que ça t'ait plu... C'est évidemment LE livre de toute ma vie, donc, hein, on aime bien quand les gens aiment...
Ça nous rend émotif tout de même hein, tout ça là, la littérature et tout ;o)
dimanche 30 décembre 2007 à 16h38
J'ai trouvé ce livre pour 1€ je crois chez Gibert donc je n'ai pas hésité un seul instant ! Pas lu encore mais il m'attend dans ma PAl bien sagement.
L'auteur Gilles Jobidon est (il me semble d'après mes informations en littérature contemporaine québécoise)un auteur bourré de talent et à découvrir. La poésie elle est présente dans la magnifique couverture du livre.
dimanche 30 décembre 2007 à 17h29
Dda : N'est-ce pas? Et tout est du même acabit. Un vrai régal pour les yeux.
c'est magique quand même la littérature, non?

Catherine :
Alice : je suis curieuse de savoir ce que tu en penseras...
dimanche 30 décembre 2007 à 17h38
Et bien comment ne pas noter et surligner après un tel commentaire et après ces passages si poétiques. Très touchant
dimanche 30 décembre 2007 à 17h48
Gambadou : très touchée de t'avoir donné envie.
mardi 1 janvier 2008 à 13h33
J'avais déjà noté mais je crois que je vais souligner, l'extrait m'a charmée. C'est horrible de si peu connaître la littérature de son propre coin de pays!!!!
mardi 1 janvier 2008 à 17h21
Karine : tu sais, quand je vois le nombre d'auteurs français très connus que je n'ai jamais lus....
mercredi 30 janvier 2008 à 23h18
Il me faut ce livre :p Oui je refais surface et je suis en pleine crise, na !
jeudi 31 janvier 2008 à 17h46
Salut Flo , ça fait plaisir de te lire par ici.
Je me doutais que le thème et le style te plaîraient. Tu me diras ça si cela se confirme? (ps : craque pas va...
)