Dans ce premier tome des Chroniques du Plateau Mont-Royal, Michel Tremblay campe les personnages qui habitaient déjà certaines de ces pièces et habiteront à plusieurs reprises la suite de son œuvre. Parmi les femmes enceintes, il y a les trois sœurs que nous avons déjà croisées dans les Belles-Sœurs, il y a la belle sœur d’Albertine, il y a Claire Lemieux qui est enceinte d’un Claude qui deviendra Hosanna, il y a Laura Cadieux qui sera aussi un personnage marquant de l’œuvre de l’auteur. S’y trouve aussi Édouard, future Duchesse de Langeais [mettre le lien vers Hosanna]. Ce récit se passe aussi quelques mois avant les événements d’août 1942 qui seront le point de départ de la déchéance décrite dans Albertine en cinq temps.

Bâtie comme de gigantesques poupées russes, l’œuvre de Michel Tremblay ne cesse d’ouvrir des portes vers l’intimité de personnages qui sont à la fois, nous, nos ancêtres, ceux qu’on aime, ceux qu’on déteste. Et le tout dans un quadrilatère formé des rue Saint-Joseph et Rachel, de la Lanaudière et Papineau… à peine un mouchoir de poche finalement.

Il n’y a donc pas une histoire dans ce roman, il y en a plusieurs, des dizaines, et remises ensemble elles forment la trame d’une époque et d’un monde que jusqu’à Tremblay nous n’avions pas osé mettre en scène et en mots, celui d’un Québec urbain, pauvre et en quête de mieux.

Du même auteur :Hotel Bristol New-York N.Y. , Thérèse et Pierrette à l'école des Saints-Anges, Albertine en cinq temps, Encore une fois si vous permettez, Hosanna, Belles-Sœurs, Le vrai monde?, Le cœur découvert, La traversée du continent, Douze coup de théâtre, Un ange cornu avec des ailes de tôle et Pièce à conviction (entretien avec Michel Tremblay)

Par Catherine

Extrait :

Édouard et Thérèse s’étaient levés en même temps. Leurs chambres se faisaient face, aussi étaient-ils tombés nez-à-nez en ouvrant leur porte. «Vous vous levez ben de bonne heure, à matin, mon oncle Édouard ? C’est pourtant samedi !» «Les envies de pipi ont pas de jours, ma p’tite fille !» Ils avaient tous deux couru jusqu’à la salle de bains qui se trouvaient tout à fait à l’arrière de la maison, après la salle à manger et la cuisine. Thérèse était arrivée la première mais elle avait cédé la place au frère de sa mère. Marcel, le frère de Thérèse, tellement petit pour ses quatre ans qu’on lui en donnait à peine deux ans et demi ou trois, avait entendu la course et lorsque Thérèse et Édouard étaient passés près de lui il avait zézayé un timide bonjour mais les deux coureurs ne l’avaient pas entendu. Marcel couchait dans la salle à manger dans un lit qu’on déguisait le jour en sofa, beaucoup trop grand pour lui et qu’il détestait. Il était donc témoin de toutes les allées et venues de la maison et Dieu sait s’il y en avait. Quand son oncle Gabriel, qui travaillait le soir, arrivait vers les deux heures du matin, Marcel lui envoyait la main. Mais Gabriel, absorbé, fatigué, la tête basse, regardait rarement dans la direction de l’enfant. Il entrait en hâte dans sa chambre qui donnait sur la salle à manger, où l’attendait la grosse femme enceinte, sa femme. Quand Albertine, la mère de Marcel et de Thérèse, se levait la nuit pour se faire un thé pour calmer ses nerfs, Marcel se glissait hors de son lit et la suivait à la cuisine. Elle le prenait dans ses bras en attendant que l’eau bouille et Marcel, immanquablement, s’endormait, la tête appuyée contre l’épaule grasse de sa mère. Albertine berçait son petit dernier en fixant le canard d’eau chaude. Parfois elle s’endormait debout, appuyée contre le poêle…

couverture
Éditions Actes Sud/Babel - 288 pages