Kevin Mourot vit à Belleville, entre une mère qui trime pour gagner de quoi acheter les prochains repas, et un frère et une soeur aînés qui auront tôt fait de quitter le foyer familial pour se construire ailleurs une vie de misère. Cette année, Kevin entre au collège. Mais pas de 6ème classique pour lui; il doit intégrer la S.E.S. (Section d'Éducation Spécialisée). La classe des "Gogols" comme l'appellent les autres élèves.
Pourtant Kévin est loin d'être sot ou irrécupérable. Madame Dambre, son professeur, s'en aperçoit très vite : il est curieux, intelligent, un peu paumé peut-être. Une autre personne a vu chez Kevin un garçon doux et attentionné. C'est Clarisse, une jeune fille de sixième, qui vit dans une belle maison, avec ses parents.
Mais peut-on vraiment échapper à son destin quand tout vous condamne d'avance?

La vie de ma mère est au départ un roman que Thierry Jonquet destinait aux adolescents. Malgré la frilosité des éditeurs, qui préférèrent le publier dans une collection "adulte", cette histoire fut rapidement étudiée, et avec succès, dans ces classes où les adolescents se retournent rarement vers la lecture.
Près de 10 ans plus tard, Patrick Reynal propose à Thierry Jonquet et Jean Christophe Chauzy de s'associer pour mettre en images ce récit poignant.
Voilà pour le contexte de publication. Revenons maintenant à l'histoire proprement dite.

J'ai été littéralement avalée par ce récit. L'association des mots de Jonquet et des dessins de Chauzy est une vraie réussite. Chacun à sa manière a réussi à faire transparaître la violence du quotidien de Kevin, dans ce qu'elle a de plus cru et de plus insoutenable. Autant le dire, il y a quelque chose d'Orange Mécanique dans ce qui nous est donné à voir, et il faut avoir le coeur vraiment bien accroché pour tourner les pages.
Kevin parle de langage des téci : un lexique très restreint (300 mots à tout casser), des formules en verlan qui se répètent inlassablement. Kevin n'en a jamais appris d'autres. Or, quand les mots vous font défaut pour exprimer vos émotions, les poings se mettent à parler à votre place. Ces poings, cette ultra violence physique est mise en image, sans concession, par Jean Christophe Chauzy.
On est alors pris dans un tourbillon oppressant de lettres et de couleurs

Mais la violence la plus insupportable, pour moi, c'est cette violence sociale et institutionnelle, qui enferme Kevin dans la spirale infernale. Kevin n'est qu'un gamin, une victime de plus des rouages d'une société qui écrase tous ceux qui n'ont pas eu la chance de naître avec une petite cuillère en argent dans la bouche.
Il aurait pu, comme bons nombre d'adolescents, faire une scolarité dite "normale", mais le sort en a décidé autrement.

La vie de ma mère raconte comment notre société, incapable d'imaginer et de mettre en place de réelles solutions pour ces jeunes, détruit des vies à force de fermer les yeux sur l'insoutenable.
Je lis rarement des bandes-dessinées, et suis généralement assez difficile à contenter. Mais j'ai reçu ces deux albums comme une paire de gifles salutaire : un aller-retour violent mais nécessaire.

Voir aussi le billet sur le roman qui a inspiré cette bande-dessinnée

Du même auteur : La bête et la belle, Le bal des débris, Ad vitam aeternam et Comedia

Extrait :

Ne sachant pas si j'ai le droit de reproduire dans planches de BD, je vous invite à consulter les sites suivants : Bulledair, ou Bdsélection

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Éditions Casterman