Et pourtant, Thomas possède quelque chose de précieux : l'amour des livres. Il aime les toucher, les respirer, observer leur belle reliure en cuir... C'est d'ailleurs en essayant de voler un exemplaire des œuvres de Maupassant, qu'il rencontre Micheline Gayet, un ancien professeur. Sans raison apparente, voilà qu'au lieu de le dénoncer au libraire, elle lui offre le recueil tant convoité.

Thomas pourrait être le grand frère de Kevin. Si les deux récits sont abordés de façon très différente, on retrouve l'idée d'un destin sacrifié, d'une trajectoire ineluctable.
Michel Le Bourhis, professeur de collège, ne cherche pas à comprendre ou analyser. Il nous propose simplement un fragment d'existence, dans tout ce qu'elle peut avoir d'arbitraire. Au lecteur ensuite de juger s'il le désire.
L'auteur ne donne aucune réponse, et c'est tant mieux, car le risque aurait été de tomber dans la démagogie. Avec beaucoup de tendresse et des mots simples, il dit le désir de vivre, la peur de l'échec, les voies qui se ferment devant vous.
Ce roman, publié en littérature jeunesse, s'adresse à mon avis, aussi bien aux adolescents, qu'à un public plus "grand".

J'ai été très émue par ce roman. Peut-être parce que je rencontre chaque année des Thomas. Des ado intelligents mais tant malmenés par l'existence que je me demande toujours si d'autres voies s'ouvriront à eux. Là encore, ce coman dénonce à mon sens la violence de notre société, bien plus forte que celle de ces adolescents en manque de repères. Combien d'entre eux croiseront sur leur chemin des Micheline Gayet, des personnes prêtes à oublier les préjugés pour leur tendre simplement la main? Et quand bien même, cela suffira-t-il à changer leur destin?

Extrait :

Je peux porter un jean bouchonné, boire dans un verre sale, pisser à côté de la cuvette, mais je n'aime pas voir un livre abîmé. Ou alors si, par le temps, l'usure. Comme ceux qui finissent par jaunir dans les cartons, chez Emmaüs. Des livres de poche, des revues, des bandes dessinées, parfois... Des trucs dont les gens se débarrassent lors d'un déménagement, ou parce que le grand-père est mort et qu'il faut vendre la maison, les souvenirs et le papier que plus personne ne lira.
Quand j'ai ouvert la Pléiade de Maupassant, le visage de Micheline Gayet est venu cogner dans ma tête. Le visage et la voix de pinson. Ils m'ont nargué quelques seconde et j'ai senti mon cœur qui battait plus fort.
Comme un con.
J'ai fait glisser le Rhodoïd le long de la reliure et, à nouveau, j'ai caressé le cuir du bout des doigts. Approché mon nez pour sentir l'encre, l'imprimerie, le neuf. J'ai tourné des pages, au hasard. Des pages fines comme de l'OCB. Presque transparentes. On avait envie de les caresser, ces pages-là, tellement c'était doux. Comme l'épaule d'une fille.

couverture
Éditions Seuil Karactère(s) - 139 pages