Il y a Bosco, le frère d'Étienne, le socle du groupe; Paradis qui fait tinter ses clés; Ivan qui voudrait tant ressembler à Lénine; l'Andouille que le silence tue à petit feu; Léo qui ne se remet pas de la mort de sa belle Angèle et marche à côté de son vélo; Blancheterre, le jeune professeur, et Madeleine, la douce et émotive Madeleine.
Tous les jours, ils se rendent à Ker Ael, ouvrent les rideaux, changent les draps, installent la table... Puis ils vont au bar de Bosco boire le verre de promesse.
Étienne et Fauvette étaient leurs repères, des parents de substitution; les sept amis ont grandi à leurs côté et se sont nourris auprès du couple : nourris de mots et d'amour. Aujourd'hui, ils luttent contre l'oubli et la mort. Mais dix mois, c'est long, dix mois de deuil à en perdre les raisons.
J'ai ouvert ce roman car il fait partie de la sélection du prix des lecteurs du Livre de Poche, et que j'ai la chance cette année de compter parmi les membres du jury.
Je n'en avais jamais entendu parler auparavant, et ne me sentais pas particulièrement attirée par le titre et la couverture. Et pourtant, dès les premières phrases, Sorj Chalandon a su me prendre dans les mailles de son filet. Avec un vocabulaire dépouillé et une syntaxe apparemment simple, l'auteur réussit à faire naître des images aussi puissantes que poétiques. Sorj Chalandon économise les mots mais jamais les images. L'écriture, en ce sens, est le reflet des personnages qui composent l'histoire : des taiseux au grand coeur. Chaque mot est soigneusement pesé avant d'être prononcé :
Elle a ouvert le livre au milieu, au hasard. Elle aime surprendre les phrases sans qu'elles s'y attendent. Les phrases qui paressent, qui pensent qu'elles ont le temps. Qu'il y a tant de pages avant elles, qu'elle peuvent sommeiller à l'ombre des mots clos.
ici, on ne gaspille pas les paroles, on les dorlote, on les laisse prendre leur envol et c'est au lecteur de combler les vides :
Dehors il fait septembre, c'est à dire presque rien.
Quand Sorj Chalandon décrit l'un de ses personnages à travers le regard de celle ou celui qui l'aime, il lui peint à la fois le corps et l'âme en quelques mots :
Il a son front de peine, ses rides profondes, ses paupières lourdes et la bouche en soucis.
Au fil des pages, je ne comptais plus ces phrases à l'économie envoûtante, tant il y en avait. Ma rencontre avec le style de Sorj Chalandon fut donc un émerveillement continu.
Mais il y a aussi l'histoire, et là, les mots me manquent justement. L'auteur le fait si bien, que je dénaturerais forcément son propos en vous en parlant. C'est une histoire d'amour, une histoire d'amitié, une histoire de légendes, une histoire de deuil, une histoire de souvenir, une histoire d'éternité. C'est tout cela à la fois et tellement plus encore.
Je relis rarement les romans, mais je sais déjà que je rouvrirai celui-ci quand la vie me malmènera; pour ne pas oublier... surtout, ne jamais oublier.
Du même auteur : Le petit Bonzi, Mon traître
Lire aussi les avis de Choupynette, Clarabel, Laure, InColdBlog et Arsenik_
Laurence
Lauréate du Prix Biblioblog de la critique 2009
Extrait :
Le jeudi après-midi, c'était le jour des plus enfants que lui. Petit bosco venait avec petit Henri. Ils traînaient avec eux Léo, Madeleine qui arrivait de Solesme, Clara, Angèle. Ils venaient en troupe bruyante et rieuse pour écouter Étienne leur raconter un livre. Ils ne lisaient pas, ou peu. Ils s'asseyaient par terre et Étienne ouvrait pour eux le secret de ses pages. Il lisait. Il lisait doucement pour capturer leur attention, puis leurs yeux, puis leur silence. Il lisait dix pages, jamais plus. Il lisait en mettant le ton. Il chaloupait l'océan, il soufflait le vent, il ricanait le chacal, il croassait le corbeau. Lorsqu'un coup de feu éclatait, ils sursautaient à la force du bruit. Étienne marchait. Il lisait en parcourant la pièce. Il tournait le dos, il revenait, il appuyait sur certains mots et tremblait certains autres. Il regardait un à un ces enfants de la terre, il les aimait, il en était. Pour eux, il tournait chaque page comme on ouvre un rideau et quand il était temps, lorsqu'il était trop soir, ou qu'il allait pleuvoir ou qu'il fallait rentrer, il murmurait un mot, un dernier, comme une voix qui s'éteint d'avoir été brûlante? C'était ainsi, chaque fois. Pour qu'ils soient de retour la semaine suivante, au moment d'anxiété, à l'instant de savoir, juste avant la réponse que tous attendaient, il refermait le livre et disait au revoir.
Éditions Le Livre de Poche - 217 pages
Commentaires
lundi 3 mars 2008 à 08h38
tu en parles si bien !! les avis de choupynette et Incoldblog ne m'avait pas donné plus envie que ça mais avec ton article, c'est chose faite !
lundi 3 mars 2008 à 08h40
Comme ces extraits sont beaux et ton post donne envie de se précipiter dans ce livre. Il était déjà noté, je surligne !!!
lundi 3 mars 2008 à 08h41
Merci Emeraude, mais je crois qu'il n'est pas difficile de bien parler des livres qui vous ont changé. Je ne sais plus qui disait qu'un bon livre c'était un livre dont on voulait connaître la fin rapidement mais pour lequel on ne voulait rater aucune phrase. Cette rencontre est tout à fait ça.
lundi 3 mars 2008 à 08h42
Gambadou, j'espère qu'il te bouleversera autant que moi.

Mon billet de demain sur "puisque rien ne dure" risque par contre d'en étonner plus d'un... mais attendons demain.
lundi 3 mars 2008 à 08h46
humpfff ... tu viens meme plus sur mon blog ? Bah oui le l'ai lu y a un bon moment deja et avait fait un billet
C'est un livre qu'on ne voudrait pas refermé, il m'a bouleversé
lundi 3 mars 2008 à 09h03
Mais si Ars' ! Je viens toujours sur ton blog !! Effectivement, tu en avais parlé il y a plus d'un an. Il faut croire que j'avais raté ce billet...
Avec toutes mes excuses.... Je t'ajoute de suite en lien 
lundi 3 mars 2008 à 10h26
tu es toute pardonnée
lundi 3 mars 2008 à 12h46
Difficile de résister après ce billet. Je le souligne! J'aime beaucoup quand les gens tentent de nous transmettre un gros coup de coeur pour un bouquin! Il était noté "en pâle" depuis que j'avais vu un billet chez... Clarabel, je pense!
lundi 3 mars 2008 à 12h53
Qu'est-ce que ça donne envie ! Et c'est une écriture tout sauf clinquante (j'adore). J'aime beaucoup "Dehors il fait septembre, c'est à dire presque rien".
Je vais essayer de me le procurer ! Merci.
Kiki
lundi 3 mars 2008 à 15h29
Depuis le temps que je ne lis que des éloges sur ce livre, il faut vraiment que je fasse sa découverte !!
lundi 3 mars 2008 à 15h58
et maintenant qu'il est sorti en poche vous n'avez plus aucune raison les filles
lundi 3 mars 2008 à 17h58
Arsenik_ : merci



Karine : Tant mieux si j'ai réussi à transmettre mon enthousiasme. J'espère qu'il est maintenant noté en "fluo"
Kiki : J'ai passé, sans mentir, bien 5 minutes à lire et relire cette phrase. Je trouve qu'elle dit tellement de chose en si peu de mots.
Florinette : j'espère que tu ne seras pas déçue. Je guetterai ton blog pour voir ce que tu en auras pensé.
Arsenik_ bis : oui, à peine quelques euros pour un grand moment littéraire. Pourquoi hésiter plus longtemps?
mercredi 5 mars 2008 à 21h29
je l'ai lu l'année dernière et j'avais vraiment bcp aimé. Je pense lire 'le traitre' si j'arrive à le caser.
jeudi 6 mars 2008 à 10h54
Bonjour,
c'est un de mes gros coup de coeur 2007. Comme toi, j'ai été sous le charme de son écriture et des sentiments très forts qu'elle procurait. J'ai remis ça cette année avec le nouveau roman de Chalandon "Mon traître" et BAM !!! encore un coup de coeur. Je vais sûrement lire son premier bouquin, "le petit bonzi".
jeudi 6 mars 2008 à 15h52
J'ai reçu mon traitre en SP, j'espere que comme toi il me fera le meme effet que une promesse
jeudi 6 mars 2008 à 19h50
Anjelica : "si j'arrive à le caser"
j'aime bien cette phrase qui résume pas mal notre problématique. 
Je regarderai samedi à ma bibliothèque.

La liseuse : Oui, Le traitre et Le petit bonzi. À coup sûr ce seront des romans que je lirai, mais comme le souligne Anjelica, il reste à savoir quand.
Ars' : tss.... même pas drôle.
vendredi 7 mars 2008 à 13h53
Je suis bien tentée aussi par ce livre ! je le note aussi !
vendredi 7 mars 2008 à 15h18
tentée ... c'est bien ca le pire ! nous sommes toujours tentés ! Mais jusqu'ou irons nous ?
samedi 8 mars 2008 à 07h37
Ars' : chutt... Pimpi n'a pas encore réalisé dans quel piège elle était tombée en fréquentant les blogs littéraires !!
mercredi 26 novembre 2008 à 07h56
J'ai terminé cette promesse dans la nuit. J'en suis encore toute habitée, chamboulée tant c'est fort, beau, tendre, délicatement écrit.
Merci beaucoup pour cette superbe découverte, Laurence. Le souci maintenant est que je ne suis pas certaine de te rendre ton livre :-P
mercredi 9 septembre 2009 à 09h59
Je voulais essayer de comprendre ce qui t'a touchée mais comme tu le dis, c'est toujours difficile de parler d'un livre qui nous bouleverse. Donc, je reste sur ma faim. (je veux pas dire, mais même "Gibert" n'a pas voulu me reprendre le livre ;p)