La « matière de nuit » que dit le poète est la poésie, qu’il s’agisse de ce dialogue qu’il entretient avec lui-même « De l’une à l’autre saison te voici errant / parmi les mots qui ne sont rien de plus / qu’eux-mêmes… », de l’adresse directe « Poésie, tu t’éloignes… », du chant amoureux nourri de Paul Valéry « En moi tes pas résonnent devancent les mots » ou de très subtiles pièces intitulées « art poétique », avec, notamment cet incipit : « Il fait nuit dans les mots / quelquefois ».
Matière de nuit est aussi de ces ouvrages qu’on peut ouvrir comme furtivement : on y picore bientôt quelques vers, puis on referme le livre, tant la note est juste, tant s’éveillent en nous d’échos qu’il convient de laisser longuement vibrer.
On médite sur « la douce pérennité de la nuit » ou sur « l’épaisseur des attentes » et malgré la gravité du ton, poussée parfois jusqu’au sarcasme « Nous avançons vers une fin / qui n’en est même pas une / avec un sourire idiot », on sort de cette lecture heureux.
Le recueil est suivi d’Éloge de l’éphémère, pages de carnet, sorte de passionnante série de fusées, pleines de la sérénité du poète maître de son art, dont j’extrairai les deux suivantes, une développée, un autre concise : « Aucune théorie n’a jamais aidé en quoi que ce soit à la composition d’un poème. C’est au contraire l’inobservance des interdits qui pèsent actuellement sur l’écriture de poésie (sur l’émotion, le sujet etc.), et aussi une certaine façon de mettre en sommeil la faculté critique, qui permettent l’invention, laquelle n’est jamais conforme au poétiquement correct». Et, pour finir : « Ce que nous écrivons est plus grand que nous.» Dont acte.
Par jnf
Extrait :
Ce qui se déplace d’un mot à l’autre
C’est peut-être le matin
Ce qui reçoit l’ombre
C’est le silence et la lumière de tes yeux.
Ce qui viendra
C’est peut-être un temps sans mesure
Autant de nuits autant de jours qu’il y a de siècles
Dans la machinerie de ton regard
Et ce qui passe par ta voix
Brille en eau profonde
Comme une pensée ensevelie
Dans l’œil de la fraîcheur.
Éditions Gallimard - 184 pages
Commentaires
jeudi 13 mars 2008 à 07h33
voilà, je suis fichue. Ma liste et ma pile à lire ne sont pas prêtes à se réduire.
Mais finalement, c'est tant mieux, surtout pour la poésie que je connais peu.
Merci Jnf
jeudi 13 mars 2008 à 09h19
Lionel Ray : un des plus grands !
je confirme ton éloge, Jnf, il est à lire et à relire sans se lasser....