Se retourner sur son œuvre, c’est se pencher sur sa vie, sur la vie.
La relecture est couronnée par un inédit de vingt-cinq pages et de toute beauté – à lui seul, il justifierait l’achat de l’ensemble -, salut allègre à la vieillesse qui s’annonce, à « la vieillesse. Pas la décrépitude. », à des horizons sereins et féconds.
Jamais, peut-être Marie-Claire Bancquart n’a été aussi vivante. Elle dit la lucidité qu’on a gagné à vivre. L’indulgence, aussi. Familière de la souffrance dès l’enfance, dépouillée de ces peurs et de ces intolérances en nous qui sont autant de forces de mort, ayant apprivoisé un néant dont elle sait avoir été accompagnée toute son existence, percevant comme une « évidence » le « comique de la raison pure », elle se tourne rayonnante vers ses semblables :

on s’intéresse aux manières diverses qu’ont les autres de chercher à se rendre compte. On les suit un bout de chemin.
Ce qu’il y a, c’est qu’on voudrait alléger les gens des soucis qui barrent ces routes.

Voyons-la humaine, profondément humaine, pleine de l’émerveillement et de la stupeur d’exister, confiante dans une parole poétique épurée, mais sans système, « sans grands mots ».
Je m’userais en vain à tenter d’évoquer les richesses de ce manifeste : qu’on le lise donc ! Reste l’anthologie. Les lecteurs sont insatiables, ce n’est pas la Pléiade : nous manquent encore les notes, les variantes et nombre de textes qui n’ont pas été retenus de chaque recueil. L’absence de certains déroute : on les aimait, on les croyait précieux à l’auteur comme à soi-même… C’est pourtant aussi intéressant que la future édition de la Pléiade, parce que l’agencement des textes est essentiel dans un recueil et que Rituel d’emportement impose une perspective nouvelle qui fait sens, des mots « plus haletants [de] naguère » à « la continuité », « l’oralité plus grande » de maintenant.
Il ne s’agit donc pas d’une compilation commode, dispensant de la lecture individuelle des autres livres – dont certains, il est vrai, sont devenus rares -, c’est une œuvre neuve, différente et tonique.

Par jnf

Extrait :

J’écris seulement pour parler de la vie, de l’amour, de la mort, de la révolte. Ce n’est pas tout. Ce n’est pas rien non plus. Heurter l’impossible ; mettre de l’énergie en mots ; en donner peut-être à quelques hommes, même dans le dénuement.

On reste en poésie, après s’être rendu compte qu’elle ne transgresse jamais toutes les limites, qu’elle ne change pas toute la vie. On a une nouvelle fois souffert du très relatif, du très éphémère qui est dans notre corps. Mais en faveur du très précieux qui s’y trouve aussi, on a pris la résolution d’aller toujours.
On a vieilli.
On écrit pour cerner. Pour réclamer, pour célébrer. Pour déranger.

couverture
Éditions Obsidiane & Le temps qu’il fait - collection Les Analectes - 336 pages