Au début, il n'est pas évident de suivre les déambulations intellectuelles, toute cette technique narrative qu'utilise et dans lequel excelle l'auteur, mais une fois que l'on a attrapé le rythme, que l'on a bien capté le profil des personnages principaux comme secondaires, on lit plus vite que l'auteur n'écrit son histoire. Si, si, c'est possible !
Une histoire, que dis-je, une, deux, trois histoires voire plus en parallèles, tricotées très serrées sans que l'on perde le fil de chacune. C'est déjà une sacrée prouesse !
Une histoire limite fantastique tant l'auteur joue sur plusieurs plans narratifs, plusieurs dimensions. C'est comme entrer dans un labyrinthe, ou se lancer dans les rues de Venise, mais sans jamais que l'on s'y perde. L'auteur nous mène subtilement par le bout du nez, laisse un hameçon pour nous donner l'envie de continuer. Le suspense toujours vous titille et vous incite à lire le prochain paragraphe. Au final, votre nuit est blanche.
Et puis juste pour le plaisir, la curiosité intellectuelle, on a vraiment envie de savoir jusqu'où l'auteur est capable d'aller, jusqu'où vous, son lecteur, êtes capable de le suivre. Il se peut même que vous vous preniez au jeu de vouloir y ajouter votre grain de sel.
Vous voilà alléché, intrigué ?? C'est tant mieux. Voici de quoi vous appâter plus encore.
Dans un vieux palais de Venise, Schultz, éditeur typographe, ancien capitaine de la marine marchande, mène une vie sans enchantements. On pourrait croire que l'on va s'ennuyer mais que nenni ! L'auteur a tout prévu. Notamment un alter ego pour Schultz, répondant au nom de Paso Doble, un personnage mystérieux, qui aime danser et cacher des objets un peu partout dans le palais. Il y a aussi une très belle femme de cire nue sous un manteau de poil de chameau installée dans une autre pièce du palais. Tout cela vous paraît bien étrange ? Et vous avez raison. Mais c'est sans compter avec la découverte, sur le haut d'une armoire, d'un manuscrit oublié ; un roman ancien, sans nom d'auteur ou même de titre.
En ouvrant ce mystérieux livre, dont certaines pages sont restées blanches, Schultz est projeté dans une aventure endiablée qui le mènera, le lecteur avec lui, de Londres à Venise en passant par Amsterdam, au début du XIXème siècle. Schultz va suivre les aventures de Jacob Flint, amoureux fou et même franchement sexuellement obsédé de la belle et incendiaire Nina, patronne de la Taverne du doge Loredan. On croisera aussi un des amants de la Belle, le redoutable contrebandier, mais néanmoins gentleman, doté d'une tare des plus horribles (je me tais mais c'est redoutable), le dénommé Fielding.
Je ne vous en dis pas plus pour ne pas vous gâcher le plaisir de la découverte, mais aussi parce que c'est presque inracontable tant cette histoire est un feu d'artifices aux milles couleurs et personnages.
Une dernière chose ! En ouvrant ce livre, acceptez de voir disparaître les frontières entre le réel et l'imaginaire. Sinon, vous y perdrez votre entendement.
Mon seul regret est que les autres ouvrages d'Alberto Ongaro, auteur italien et vénitien ne soient pas plus traduits en français, ni plus connus. Parce que telles histoires, on en redemande !
Dédale
Extrait :
Mais à toi, demande brusquement Paso Doble, ce Jacob t'est-il sympathique ? Schultz y pense un moment. Non, répond-il, je ne crois pas, mais je ne saurais dire pourquoi. Il réfléchit encore un instant. Et il n'est pas tout à fait vrai que je ne l'aime pas, ajoute-t-il. J'aime la plénitude de vie qui vient de son récit, sa certitude que l'on peut raconter n'importe quoi, j'aime aussi son avidité, son obsession sexuelle comme structure portante de sa vie... Que diable n'aimes-tu pas alors ? Demande l'autre. Je ne sais, dit Schultz, peut-être le fait qu'il vive à une époque où il est facile de construire des personnages comme le sien. Ainsi, je n'aime pas, ou peut-être mieux, j'envie son privilège, sa chance. Aujourd'hui tout personnage peine pour vivre beaucoup plus qu'il n'a jamais peiné. Le fait est, continue Schultz après une pause, que les personnages du siècle passé ne savaient pas qu'ils étaient des personnages tandis que ceux de ce siècle ne le savent que trop bien. Regarde-les, ceux de l'époque de Jacob étaient sûrs d'eux, ils vivaient leurs histoires comme si c'étaient des histoires réelles, souffraient, aimaient, riaient, faisaient l'amour, prenaient tout au sérieux, mouraient même et étaient ensevelis dans de vraies tombes, dans de vrais cimetières. Aujourd'hui, ah ! aujourd'hui tout a changé. Aujourd'hui les personnages savent que rien n'est vrai, ils le savent et comment ! C'est là tout leur malheur. Eh oui, dit Paso Doble, les pauvres.
Éditions Anacharsis – 303 pages
Traduit de l'italien par Jacqueline Malherbe-Gaby et Jean-Luc Nardone
Commentaires
samedi 22 mars 2008 à 13h58
Londres et Venise, deux cités que j'adore ! La capitale anglaise pour son côté bucolique, avec ses parcs qui en font une capitale campagnarde, et la cité des doges pour sa dimension intemporelle !
lundi 24 mars 2008 à 17h22
Tietie007, je te conseille vivement cette lecture. Ces villes sont un excellent décor pour cette histoire pleine d'aventures.... très intemporelles !!
mardi 10 juin 2008 à 16h49
Bonjour,
La Taverne est un chef-d'oeuvre intemporel, dont votre chronique fait honneur.
J'aimerais signaler la sortie récente de l'excellent Secret de Caspar Jacobi en français du même auteur aux mêmes éditions, avec les mêmes traducteurs(gage de qualité). D'autre part, si vous en avez l'occasion, n'hésitez pas à dénicher La partita(uniquement disponible en occasion en grand format ou en poche), une autre histoire trépidante à travers l'Europe, qui mène le lecteur et ses personnages par le bout du nez.
Ces deux livres sont chroniqués sur mon site, sur lequel j'ai aussi mis en ligne un interview avec Alberto Ongaro.
@ bientôt.
mardi 10 juin 2008 à 20h25
Bonsoir Edwood,

Contente que ce billet sans façon vous ait plu. Je prends aussi bonne note des autres titres de l'auteur. S'ils sont de la même veine que "La taverne..", je vais me régaler. Merci pour cette info.
Quant à vos chroniques sur votre site, j'irai les lire... mais après mes lectures. Ce serait dommage d'être influencée. et de ternir les surprises.
A bientôt et merci pour la visite.
mercredi 11 juin 2008 à 10h31
Bonjour Dédale,
Ce n'est pas la prétention de l'article qui fait sa qualité. En l'occurence, la vôtre donne envie de découvrir le livre en question, et c'est bien là l'essentiel, non?
Vous pouvez vous jeter sans sourciller sur les deux autres Ongaro. Je comprends aisément que vous ne souhaitiez guère en savoir plus avant de les avoir lus car ils se dégustent avec surprise et délectation.
Concernant l'interview que j'ai eu avec Ongaro, il concerne davantage La Taverne et son oeuvre en général. Donc, cet article ne dévoile rien sur les deux autres oeuvres.
En ce qui concerne le secret de Caspar Jacobi, il vient de sortir et donc est encore assez facile à trouver. La Partita est plus difficile à dénicher. Cependant, vous avez de la chance puisqu'il reste quelques exemplaires grand format à moins de trois euros ici..
http://www.chapitre.com/CHAPITRE/fr...
N'hésitez pas à me dire ce que vous en avez pensé après les avoir découverts.
Salutations.
dimanche 23 novembre 2008 à 18h24
Je découvre votre article sur le net et me permets de vous signaler que La Libreria, librairie française et italienne, dont je m'occupe avec deux amis, reçoit (avec enthousiasme et c'est peu de le dire!) Alberto Ongaro et sa traductrice Jacqueline Malherbe lundi prochain 1er décembre 2008 à 19h.
La Libreria
89 rue du Fbg Poissonnière
75009 Paris
0140220694
www.lalibreria.fr
dimanche 14 décembre 2008 à 11h29
Merci Flore d'avoir évoqué cette rencontre. Hélas, j'ai vu votre message trop tard. De plus, j'habite vraiment trop loin de Paris.
J'en profite de mon passage ici pour vous annoncer la réédition prochaine chez Anarchasis de La Partita, excellent roman d'Alberto Ongaro. On devrait y goûter(ou y regoûter) en février 2009. Si vous voulez avoir une mise en bouche, je vous transmets le lien du billet que je lui ai consacré en début d'année. http://latavernedudogeloredan.blogs...
dimanche 14 décembre 2008 à 17h52
Mais où avais-je la tête, bon sang de bois !! Rater ainsi Alberto Ongaro ;; Grrr !!
Edwood, je note la sortie de La Partita. J'ajoute même une alarme sur mon calendrier pour ne pas rater la chose
Merci Edwood pour vos visites et commentaires.
lundi 16 février 2009 à 01h30
La sortie de La Partita c'est demain le mardi 17 février!
lundi 16 février 2009 à 07h50
Grand merci, Edwood. Je vais passer commande chez mon libraire