C’est que, sans doute, voilà une harassante aventure d’animer, comme le fait Henri Deluy depuis près de cinquante ans, une revue de l’importance d’Action Poétique.
Si grand qu’on soit déjà, on en sort grandi, mais assurément pas sans blessures et, à l’instar du « dévot populaire » de Joachim, j’admire ! D’autant que l’arbre porte encore des feuilles et drues (par nature, évidemment). A priori, pourtant, je me serais trouvé des raisons de me méfier : tous ces patronymes de théologiens médiévaux, de Flamandes mystiques, de poètes, ces Maïakovski côtoyant Che Guevara, Joyce, Kafka, ces Communards et Louise Michel et Frida Kahlo et Tina Modotti et Mata Hari ; Kid Chocolate, cité parmi les Blanqui, Althusser, Walter Benjamin ou Jodelle ; tous ces toponymes qui nous promènent des légitimes Marseille ou Paris à Mumbay ou Mexico ; et encore le travesti cubain Raquelita Capote ou le sous-commandant Markos feraient redouter une promenade racoleuse à la d’Ormesson, depuis tant d’années que les Déon et autres nous font le coup.
Il n’en est rien : c’est une existence, ce sont des engagements, des meurtrissures qui se livrent, une culture qui est celle de notre époque et qui la transcende. Avec une immense pudeur. L’ouvrage est dédié à Liliane – Giraudon, j’imagine - ; de celle-ci, on croit deviner le regard à chaque instant ; partout paraît la passion, mais l’écriture ne la dit qu’en prétendant dérisoire l’élan du cœur :

L’indicible
Collé au sol
Rendait
Illusoire
Toute émotion

Déchirement pourtant que le souvenir des fondateurs de la revue, Gérald Neveu et Jean Malrieu, ou celui de Pierre Guéry.
Sympathie irrésistible pour la souffrance, notamment celle des femmes : « Il n’était pas facile / De ne pas être une femme ».
La quatrième de couverture évoque un lyrisme « froid ». Parlera-t-on vraiment de froideur pour « […] souffrir / Etait ne pas souffrir assez » ? Henri Deluy dit le « Buste / Blême de l’étrangère à elle-même […] Et le poème alors / Devenait une forme / Fixe ». Mais les poèmes n’ont pas une forme fixe, partout l’émotion déchire les coutures du « buste blême » et le poète peut bien « S’enfoncer dans l’écriture », il y trouve la vie.

Par jnf

Extrait :

Janvier 1917

A l’autre bout du monde, le
Capitaine Samano, de l’armée
Rebelle, mourait,
Debout, face aux pauvres
Soldats de l’armée
Mexicaine. Cigare à la
Bouche,


.

Mains dans les poches,
Sourire aux lèvres. Car,
Ce qui ne pourrait
Le poème le dit.

couverture
éditions Flammarion, 272 pages
avec une encre de Liliane Giraudon sur la couverture