Sans un mot d’explication, sans une valise, sans un sac, sans dire au revoir, Kataline abandonne mari et enfants pour passer à l'Ouest, pour y trouver une vie meilleure que celle proposée par cette Hongrie de 1956 où nul espoir n'est possible.

Depuis son départ, Kálmán son mari, enfermé dans la mélancolie, Kata, l'ainée et Isti, petit garçon rêveur, capable d'entendre la neige tomber, les herbes parler, errent d'une région à l'autre, des membres de la famille à d'autres qui pourront les accueillir. Ils vont découvrir que la vie continue malgré l'absence de la mère. On pourrait craindre qu'il ne se passera rien, que l'histoire va se dérouler en longueurs, mais il n'en est rien. L'émotion est présente, elle nous maintient à flots, nous enveloppe, nous conduit de paragraphes en paragraphes. Elle nous attache immanquablement aux personnages.

Il s'agit d'un livre plein de richesse, de délicatesse, d'insouciance comme seule peut être celle des enfants. Le roman est un patchwork d'une multitude de brefs moments de la vie de kata et Isti, leur attirance profonde pour l'eau, leur seule source de bonheurs, décrits par la voix légère, toute en poésie et pureté, de la narratrice, l'aînée des deux enfants. Ce roman tient au fil ténu qui relie les enfants aux adultes, à ce monde des grands dont ils ne souhaitent pas en comprendre toutes les subtilités, toutes les difficultés, même s'ils n'en sont pas moins attentifs à ses changements.
Insouciance de l'enfance, certes, mais le gouffre est bien là. Il menace autant qu'il attire. La tension est présente elle aussi, comme un orage qui gronde au loin. Jusqu'à...

Vous l'aurez donc compris. Je suis définitivement tombée sous le charme de la plume de Zsuzsa Bánk. Il me tarde aussi de lire son prochain ouvrage, en espérant que l'auteur s'y exprimera encore avec cette richesse, cette pureté et poésie qui la caractérise.

Du même auteur : L'été le plus chaud

Dédale

Extrait :

Avec Ági, les choses étaient étranges. Isti et moi avions un petit peu peur d'elle, et nous l'aimions un petit peu. Parfois Isti me demandait qui me plaisait le plus : Zósfi ou Ági ?, et je disais : Ági. Lorsqu'elle me réveillait, le matin, elle laissait longtemps sa main sur ma joue et enroulait mes cheveux autour de ses doigts. Tant que nous étions au lit, elle nous chantait Bonne matinée c'est le laitier, puis Isti et moi nous levions d'un bond, nous regardions les ceps et l'eau à travers une fenêtre minuscule où nos têtes passaient exactement. Le soir, lorsque Virág s'en allait quelques villages plus loin, derrière un guichet de poste, écrire des adresses dans un cahier et peser les lettres expédiées vers des lieux dont nous n'avions jamais entendu parler, Ági nous rejoignait sous le toit et nous racontait des histoires dont nous pouvions, Isti ou moi, donner la première phrase. Les histoires d'Isti commençaient par « Ma mère avait un chapeau » ou « ma mère savait faire cuire des gâteaux » ou « Une fois ma mère a voulu chanter », tandis que mes histoires à moi commençaient par « Lorsque vole l'oiseau » ou « Lorsque vient le printemps » ou « Sa majesté s'est annoncée ». Les histoires d'Ági se terminaient toujours bien, et je commençais à me faire à l'idée que cela puisse exister : une histoire avec une bonne fin.

couverture
Éditions Points – 313 pages
Traduit de l'allemand par Olivier Mannoni.