Son écriture croque avec acuité l’absurde, le cruel et le dérisoire de nos vies, de notre monde, mais toujours, pour reprendre le titre d’un poème un ton sous l’ironie.
C’est avec compassion que ces textes «qui ont le goût et la couleur de la banlieue, mais n’en sont pas» évoquent le clochard «à six heures, au sortir du carton» (Sous le pont) ou « Dans le wagon aux tags rupestres / […] ce peuple / […] poussé par une soif / dont il ignore jusqu’au nom » (Des heures d’influence).
Ce qui frappe aussi, c’est la conscience, très grande tradition poétique, de la fuite du temps, aiguë, mais parfaitement assumée : « Être cela / une forme qui traverse » (D’un six milliardième). « Cette vie où chacun forcément / a oublié quelque chose, quelque part » (De l’avenue) offre à qui sait les saisir une foule de petits miracles : « un ange / étrennant des patins à roulettes » (Édouard, Tan, Abdel ou Yacouba), « les empreintes / s’évaporant sur le carrelage » du nu qui vient de traverser la cuisine (Les amants) et dans le musée « Le sifflet en terre cuite / ocre / exhumé à dix mille kilomètres / le rayon matinal / le porte à ses lèvres ».
Car bien que tout nous échappe, bien qu’on doive s’attendre à « la victoire aux échecs d’une intelligence artificielle », il y a du permanent dans l’homme : dans l’image de « l’arabe sans âge / qui ramène au troupeau / les caddies / éparpillés… » se disent à la fois l’aliénation de l’émigré et une sorte d’éternité.
Chaque texte est ciselé, sans mot de trop, simple et parfaitement musical. Dans ce qui sert de postface, Gérard Noiret cite Jacques Bouveresse : « Les choses les plus importantes ne peuvent pas se dire, mais seulement se montrer » et il explique : « j’écris aussi ( et, au final, surtout) les silences ». On peut estimer l’entreprise réussie et créditer Gérard Noiret de cette « singularité humaine » à laquelle il aspire.
Par jnf
Extrait :
Chaque matin, le nu de 7h01 traverse le couloir.
Lui, de la cuisine, tourne les yeux
afin de saisir au vol cet éclair.
Le prodige accompli, les empreintes
s’évaporant sur le carrelage, il boit son café
et n’a aucun mal
à imaginer Sisyphe heureux.
Éditions Obsidiane - 118 pages
Commentaires
lundi 7 avril 2008 à 08h44
Je ne connais pas du tout cet auteur, mais à lire ton billet et la courte citation, j'imagine que Gérard Noiret s'est nourri des essais philosophiques de Camus, jusqu'à le paraphraser : « La lutte elle-même vers les sommets suffit à remplir un cœur d'homme. Il faut imaginer Sisyphe heureux. » (A.Camus - Le mythe de Sysyphe -1942)
En tous cas, m'étant moi même délecté des écrits de Camus, cela me donne bien envie de lire cet auteur.
lundi 7 avril 2008 à 21h02
Je vous le dis, je ne suis pas rendue. J'ai à peine terminé un titre qu'il me faut noter celui-ci. Je ne sais pas si je dois te remercier, Jnf
En fait, si 
mardi 8 avril 2008 à 12h39
C'est toujours un mystère (et un plaisir) pour un auteur que d'apprendre que sa parole a eu un écho, un prolongement. Merci du fond des mots à Jnf et à Bruno qui a bien vu l'hommage rendu à l'auteur de L'étranger. GN
mardi 8 avril 2008 à 19h22
Bonsoir Gérard Noiret
L'équipe et moi même tenons donc à vous remercier d'avoir laissé une trace de votre passage ici.
Vous parlez de mystère, mais en votre présence ici l'est également pour nous.
jeudi 3 mars 2011 à 22h50
Gérard Noiret cite Jacques Bouveresse : « Les choses les plus importantes ne peuvent pas se dire, mais seulement se montrer ». Nous pourrions formuler la phrase autrement : « Les choses les moins importantes ne peuvent pas se dire, mais seulement se montrer ». Mais pourquoi parlerions-nous des choses qui sont moins importantes ? Et pourquoi montrer ces choses-là ? "Elles ne valent rien". Elles ne "servent" à rien. Et ce serait encore parler pour rien. Gérard (que j'ai rencontré) a probablement oublié ce que c'était que d'être rien" (je mets des guillemets car rien, c'est encore trop). Ce rien a avoir avec quelque chose qui n'en vaut pas la peine, c'est-à-dire pas "grand chose" car pas pris dans les choses, sans écho. Il n'y a rien à voir, rien à dire, rien à montrer, rien à entendre... Passez votre chemin, tout ça, c'était pour rien : seulement des mots qui se sont alignés, des phrases, encore des phrases, des phrases comme ça, pour la forme. Histoire de dire quelque chose qui n'en vaut pas la peine, c'est-à-dire pas "grand chose" car pas pris dans les choses, sans écho. Il n'y a rien à voir, rien à dire, rien à montrer, rien à entendre... Passez votre chemin, tout ça, c'était pour rien : seulement des mots qui se sont alignés, des phrases, encore des phrases, des phrases comme ça, pour la forme. Histoire de dire quelque chose qui n'en vaut pas la peine.
Etcetera.
Comme les nombreuses lettres que j'ai écrites et qui sont restées lettres mortes.
Comme les commentaires qui sont susceptibles d'être supprimés.