Bien sûr, il pourrait faire comme bien d'autres et se mettre sous le protectorat de Vautour, mais Dylan sait trop bien ce qui lui en coûtera. Il n'a qu'à regarder Jenna ou Amber, deux jeunes filles à la rue, comme lui. Parmi les enfants de rues qu'il croise, il y a aussi Twitch, un adolescent illettré et drogué. Alors, régulièrement, Dylan tente de s'abriter du froid et de l'horreur, dans la bibliothèque municipale. C'est là qu'il tombe sur la biographie de Einstein, un autre théoricien.

Même si le sujet est on ne peut plus classique - des récits sur des gamins de la rue sont finalement relativement courant, il n'y a qu'à lire Sans famille ou Les misérables, Barbara Haworth-Attard a réussi a donné à son histoire beaucoup de force.
Elle ne minimise rien de la difficulté de vivre dans la rue à une aussi jeune âge. Elle évoque sans fausse pudeur, la drogue, la prostitution, l'inceste, la violence. À la lecture de cette histoire, les adolescents comprennent bien que l'on ne vit pas dans la rue, on se contente d'y survivre.
Certains passages sont très émouvants, et paradoxalement, ce ne sont pas les plus tristes, mais plutôt ces rares moments de répit où Dylan aime et espère.

La force de ce récit tient sans doute aussi au fait qu'il n'y a ni pathos ni happy-end à l'américaine, mais une réflexion plus profonde sur les choix et les possibilités qui nous sont offerts. Si certains adultes tendront la main à Dylan, ceux-ci ne pourront pas le sauver malgré lui. Il va falloir que Dylan soit prêt à se sauver lui-même, c'est à dire prêt à s'aimer et se sentir capable pour que son destin puisse changer.

Pour autant, n'oublions pas que ce roman est édité en littérature jeunesse. Mon analyse est donc celle d'une "vieille". La théorie de la relativité est avant tout un très bon roman pour les adolescents, qu'importe le message que j'y vois derrière. La narration, à la première personne permet, au jeune lecteur, une identification immédiate et le parcours chaotique du jeune Dylan est tout à fait prenante. L'écriture, fluide et rythmée, saura séduire le lectorat auquel il s'adresse.

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Extrait :

L'immeuble de bureau c'est mon territoire. L'église c'est le sien; ou plutôt, c'est celui de Vautour. D'ailleurs, le voilà qui rapplique à grands pas; on devine qu'il est furieux. Son vrai nom, c'est Brendan, mais ça fait trop mauviette pour un rapace de son espèce. Ce type est un oiseau de proie qui rogne tout ce qu'il peut chez les gens, jusqu'aux os. Un vautour, quoi. Quand il voit Jenna, le signe $ apparaît dans ses prunelles, comme dans les dessins animés. Pour lui, c'est un gagne pain.
Il lui crie après, il est furax car elle n'est pas arrivée plus tôt. Il lui arrache son bonnet, ses gants et son manteau. Jenna tente de récupérer son manteau, mais elle renonce rapidement. Personne ne donne de l'argent à un enfant des rues chaudement vêtu. D'un geste brusque, il arrache le bandeau qui maintient ses longs cheveux; elle se tient la tête à deux mains. Ça a dû lui faire un mal de chien. Salaud! Vautour arrange les cheveux blonds de Jenna autour de son visage, puis il pose sur ses épaule une petite couverture bleue et l'oblige à pencher la tête légèrement en avant. Soudain, je comprends : il a recréé l'image de la Vierge Marie telle qu'on le voit dans les tableaux. Il ne lui manque plus qu'un bébé allongé sur ses genoux pour compléter le tableau. Si elle reste dans la rue assez longtemps, elle fournira cet accessoire à Vautour un jour ou l'autre.

couverture
Éditions Thierry Magnier - 286 pages