Nous voici plongés au coeur d'un huis-clos aux contours définis par les murs de cette propriété au coeur de la Vendée sous Napoléon III. Un huis-clos tendu, perturbant parfois où les caractères, les pensées de ces deux hommes, l'aristocrate fantasque, sombrant parfois dans la mélancolie puis survolté de politique et le garde-chasse terre à terre mais plein du bon sens des terriens, attaché à ses bois, sa meute et surtout à sa fille, vont se jauger, tenter de s'amadouer et finalement s'affronter.
Ouest, c'est surtout une écriture pour le moins déroutante au début. Il n'est pas aisé d'en prendre le rythme, de se faire à l'insertion de « baron » par-ci ou «Lambert » par-là. Et puis peu à peu, cette façon de parler, de penser ne nous surprend plus. Elle fait partie intégrante des personnages, du pays, de l'Ouest, de l'époque du roman également. Il faut ce temps de prise de connaissance. Il faut prendre patience pour que toute la puissance de cette confrontation, de ces passions exacerbées, entre les deux hommes vous captive.
Depuis le temps que ce roman m'intriguait sur les étalages des librairies (surtout par la photo de couverture que je trouve superbe et énigmatique), je suis contente d'y avoir cédé, d'être partie à la découverte de cet Ouest si mystérieux.
Une bonne lecture, une belle découverte d'un auteur.
Du même auteur : Métamorphoses, Le voyage des grands hommes, Groom, Madame Angeloso, L'incendie du Chiado, Vacarme dans la salle de bal, Les sœurs Brelan
Lire l'interview de François Vallejo pour le Biblioblog
Dédale
Extrait :
L'habitude s'est prise d'aller ensemble, le père, la fille. Presque neuf ans, Magdeleine, en ce temps, et elle commence à savoir sa forêt aussi bien que le garde-chasse, et elle en veut pas manquer une course, une drôle d'enfant, pense Lambert, ce n'est pas d'une fille, mais le fait est : une vraie bête de chasse, elle aussi, infatigable par les taillis, plus rapide dans les pentes que son gros père, curieuse des traces comme le plus habile limier de la meute, flairant la bête noire de loin, après relevé des empreintes ou des botis, chienne parmi les chiens, et marche, et cours, et tire. C'est à Lambert de tirer, mais il lui arrive, quelquefois, de laisser le fusil à Magdeleine, une fille, neuf ans seulement, lourd, un canon comme ça, tirant sur l'avant-bras. Elle épaule, elle a l'air de basculer en arrière, sous le poids de la crosse, sur le cul, Magdelaeine, ça fait de la gaité dans toute cette tristesse.
Une fois pourtant, elle n'ajuste pas mal, un marcassin déjà bien avancé dans son année, égaré, traversant un bout de lande à bruyère, à la point nord-est du domaine, déjà en dehors, venus des terres du voisin. Lambert n'aurait pas admis cela en temps ordinaire, mais on manque, et c'est sa fille. Ils glissent l'animal à couvert, devenus des voleurs malgré eux. Le marcassin laisse des traînées à vous trahir jusqu'au bout du Haut-Maine, avec, en plus, cette odeur ferreuse du sang qui s'imprègne partout. Le père et la fille jettent des poignées de terre un peu boueuse pour les effacer, comme si cela pouvait tromper le garde de l'autre côté, ils en rient ensemble. A l'arrière de la lande, côté domaine des Perrières, c'est un étang, abrité par des saules, un peu marécageux, on est tranquille, là. Ils lavent la livrée du marcassin, le jaune presque doré revient sous le rouge foncé, comme si Eugénie faisait les bronzes : Ton premier gibier, Magdeleine. Oui, ton premier gibier, mais faut le dire à personne, surtout pas à ta mère, qu'est-ce qu'elle irait penser ? Faut pas, Madgeleine, faut pas. Une gamine de neuf ans, menue comme elle, pâlichonne, faisant éclater le flanc gauche d'une bête presque adulte ? En plus, il lui a montré comment l'écorcher. Non, non, ne n'est pas une histoire pour les terres de l'Ouest, ni pour les mères de l'Ouest. Magdeleine en siffle dans les taillis, son premier gibier, son premier gros secret aussi, à partager avec son père, ce type aussi large et noir qu'un solitaire des bois, c'est quelque chose, ça aussi. Tout ça parce qu'un baron ne vous a rien laissé d'argent. Les chiens en bavent autour de l'animal, ils rentrent dans un tapage de révolution.
Éditions Viviane Hamy – 267 pages
Commentaires
jeudi 10 avril 2008 à 09h48
Celui-ci figure dans la (longue) liste des livres qu'il me reste à chroniquer.
J'en avait entendu tellement de bien à l'époque de sa sortie que, même si j'ai aimé, j'ai été déçu. J'attendais un texte plus retors, plus pervers quant à l'évolution de la relation dominant/dominé des deux personnages centraux.
jeudi 10 avril 2008 à 09h51
Il figure dans ma bibliothèque, et devrait être ouvert très bientôt.
J'espère ne pas être déçu, après la très belle découverte de Groom.
lundi 14 avril 2008 à 14h11
Un excellent roman écrit comme je l'aime ! Si tu es curieuse de savoir ce qui se serait passé si le baron avait rencontré victor Hugo (un passage que François Vallejo à supprimer pour alléger le roman), je te conseille "Dérives" que Viviane Hamy à publié à part. Histoire de continuer le plaisir ;-)))
lundi 14 avril 2008 à 19h59
Laurent, merci pour le tuyau. Je note "Dérives" sur mon calepin
lundi 21 avril 2008 à 08h59
Voilà, je viens de le terminer, et j'ai lu ce roman avec un immense plaisir.
Après Groom, je reste sous le charme de cet auteur. Et je note Dérives, merci pour l'info.
mardi 16 septembre 2008 à 10h03
Je viens de lire ce merveilleux livre dont le style surprend au début car la conversation se mélange à la narration. Histoire en clair-obscur, déroulement de l'action digne d'Hitchcock, ce livre vous emporte et le dévorez avec plaisir.
jeudi 15 août 2013 à 20h23
Très bon roman que j'ai chroniqué aussi.