1978. Le narrateur se tient au-dessus de sa victime qu'il vient de jeter sous les roues d'une voiture. Il semble heureux et libéré de l'emprise qu'exerçait sur lui sa victime.

2006. Pau. Véronique Radkov se réveille dans un appartement qu'elle ne connaît pas. Elle ne conserve aucun souvenir des heures qui précèdent. Mais en voulant rentrer chez elle, elle s'aperçoit avec horreur qu'elle n'est plus celle qu'elle a toujours été. Les vitrines des magasin lui renvoient l'image d'un homme qu'elle ne connaît pas. Les cicatrices sur sa poitrine et l'appendice à son entre-jambes confirme l'inimaginable : elle a été victime d'une phaloplastie.
2006. Montreuil. Jean-Paul est connu comme le loup blanc dans le quartier. Les jeunes l'appellent l'handi et les vieux s'inquiètent de sa santé mentale. Il faut dire que depuis des années, avec son fauteuil roulan, il erre dans les rues de la ville en parlant à voix haute avec un homme que personne, à part lui, ne voit. Ses divers séjours en hôpital psy ne semblent lui être d'aucun secours.
2006. Internet. Maxime Girard est un entrepreneur nouvelle-génération. Sa société spécialisée en système de freinage pour les voitures est une vraie réussite et la fusion avec la société GTL la placera parmi les premières mondiales. Mais Maxime Girard, depuis quelques années, vit en véritable ermite. Personne ne l'a vu, pas même sa plus proche collaboratrice. Il traite tout depuis son ordinateur. Bien sûr, les rumeurs vont bon train, mais il s'en moque, il sait que rien ne pourra arrêter son ascension.

Quand on commence cette histoire, on se sent au départ un peu perdu. Le style est très simple, parfois même neutre ou inexistant; les retours à la ligne assez nombreux. On ne comprend pas très bien où Mouloud Akkouche veut nous emmener. La narration à trois voix laisse une impression de fouillis, de désordre. Trois narrations très différentes les unes des autres :
une focalisation externe pour Jean-Paul entrecoupée de ses monologues déjantés. Il parle à l'Autre, celui qui l'a mis dans un fauteuil roulant il y a 30 ans de ça. Il lui en veut tellement. À cause de lui, il a tout perdu : ses rêves, ses ambitions, une vie normale quoi.. Et puis Sophie, la belle et désirable Sophie. L'Autre a tout pris, sans se retourner; alors Jean-Paul a décidé de se venger.
La narration à la première personne est pour Véronique, et il fallait bien ça. Véronique qui découvre qu'elle n'est plus femme mais homme; qu'elle est morte il y a deux mois. Véronique qui venait tout juste de sortir de la rue et de trouver un boulot. Véronique qui tente maintenant de comprendre ce qui lui est arrivé.
La troisième narration est en fait la correspondance par mail de Maxime Girard. Mouloud Akkouche adopte donc la mise en page requise par ce type d'écrit, et laisse volontairement le soin au lecteur de combler les vides.

Un peu perdue, donc, au début, je me suis quand même rapidement laissée entraînée par cette histoire surprenante. Naviguant sans cesse entre le machiavélisme, la folie et la tendresse, Mouloud Akkouche assemble lentement les pièces du puzzle; Jean-Paul et Véronique sont deux paumés, deux égratignés de la vie et l'on se sent tout de suite proche d'eux, sans réellement comprendre les tenants et aboutissants. Comme dans un bon roman policier (sans policier cette fois) on ne prend la mesure de l'ensemble qu'aux dernières pages. Un bonne histoire, bien ficelée, avec des personnages attachants. L'intrigue aura donc été à la hauteur de la couverture.

(1 : La collection Noire est dirigée par l'Association Noire de Pau, qui promeut l'écriture noire sous toute ses formes.)

Extrait :

Je traversai à toute vitesse la salle du resto, descendit l'escalier et direction les chiottes.
Je fermai la porte et me plantai devant le miroir. Le cauchemar continuait.
Je tirai sur la peau de mes joues. Fallait arracher ce masque d'homme... Fini le carnaval. J'avais des trucs à faire. Un taf à terminer.
Le masque restait collé à ma chair.
Ça va s'arrêter, me rassurai-je, habituée aux mauvaises descentes. Par chance, je n'avais pas jamais raté une marche. Certains postes cherchaient encore leur mère derrière une radiateur... En tout cas, le prochhit devait être particulièrement bon pour faire autant d'effet, et si longtemps. Comme toujours, le trip s'arrêterait. Et le temps remettrait les pièces du puzzle en place.
Demain, il fera jour.
Je m'aspergeai d'eau le visage, reculai d'un pas et soulevai mon T-shirt. super inquiète.
Ma poitrine avait disparu. Une cicatrice démarrait sous les aisselles et suivait le tracé de mes...
Qu'est-ce qui m'arrivait? J'étais en train de virer complètement barge.
Respire, Véro, respire.
J'approchais lentement les doigts de ma peau... C'était plat, tout plat. Je sentais mes côtes. Où était ma poitrine? Mes seins qui aimantaient les hommes? Tous avaient envie d'y coller leur nez. Déjà au collège, les copines enviaient mes seins: mon seul diplôme. Un diplôme qui m'avait permis de croûter à un moment. Et là, plus rien! Rayés de mon corps. Je touchai encore une fois...
Après mon visage, mes seins... Je plaquai la main devant les yeux. Faut redescendre Véro. Allez, un effort pour chasser ces saloperies d'images. Va-y...
Je glissais la main entre mes cuisses.
Putain!
Je me déshabillai entièrement. Plus le moindre doute : je ne vivais pas une hallu de junk. Non, je n'étais pas défoncée. J'étais passée sur un billard d'hosto. On m'avait charcutée.

couverture
Éditions l'Atelier In8 - 173 pages