Ce court roman se décompose comme un roman chorale. Bernard Chambaz donne successivement la parole à chacun des protagonistes, à un rythme parfois très rapide. L'histoire prend donc forme à travers l'alternance de courts monologues internes de ces dix adolescents.
Chacun réalise que plus rien ne sera comme avant et tente de combler le vide laissé par la disparition de leur ami.

En tant que tel, le récit n'a rien de très original, et le procédé a déjà été vu des centaines de fois. Ce qui est intéressant ici en fait, c'est l'époque à laquelle se déroule l'histoire. 1967, un an avant la révolution étudiante, dans une France où le parti communiste est encore très influent.
Le nom même de leur groupe Komsomol (jeunes communistes) est d'ailleurs assez révélateur. À cette époque là, le monde était encore scindé en deux : ceux qui voyaient l'URSS comme le pays des possibles, et ceux qui rêvaient d'Amérique. On retrouve cette scission dans les goût musicaux de chacun, dans leur façon d'envisager l'avenir.

Bien sûr, on ne peux s'empêcher de se demander ce que le futur leur aura réservé : comment ces baby-boomer auront vécu la crise de l'emploi, auront-ils reniés leurs idéaux, se seront-ils transformés en papy-boomer consuméristes. Le roman ne nous donne évidemment pas de réponse à ces questions, puisque ce n'est pas le sujet. Bernard Chambaz ne nous offre que trois jours à la fin d'un été. Trois jours pendant lesquels les membres du Komsomol apprendront à devenir adultes.

En fait, ce qui m'a le plus gênée dans cette histoire, c'est sa forme même. En lisant les pensées d'une dizaines de personnes différentes, je m'attendais naturellement à rencontrer dix style différents. Après tout, même s'ils font partie du même groupe, ils sont tous uniques et cela devrait se ressentir dans leur phrasé. Or j'avais l'impression de lire la confession d'une seule entité, et seuls les intertitres (contenant le nom du personnage qui s'exprime) me permettaient de faire réellement la différence entre les uns et les autres.

Rien de renversant donc, mais une lecture néanmoins agréable et facile.

Extrait :

Un cœur véritable (songea Venise). Je me rappelle le jour où Colin m'a donné son avis sur le roman que je lui avais prêté. Un homme véritable, une épopée soviétique signée par Boris Polevoï et dédicacée par l'auteur en personne. Toute la famille l'admirait.
Moi, je l'avais beaucoup aimé, les cinq cents pages lues en moins d'une semaine, prête à répéter qu'on ne trouverait pas l'équivalent dans les romans américains, émerveillée qu'un aviateur abattu par un Messerschmitt, les pieds brisés et brûlé puisse traverser la taïga enneigée, avec en supplément la tempête et les ours, les souvenirs d'enfance qui le rattrapaient, le suspense, comment tout ça allait se terminer, toutes les histoires à l'intérieur de l'histoire, les drôles et les tristes et les passionnantes, qui donnaient envie de continuer, surtout qu'il s'en sortait puisqu'il pilotait à nouveau un avion malgré ses jambes artificielles, un homme véritable donc, c'était le titre, un héros, pas de doute, c'était à des types de cette trempe qu'on devait d'être là.
Lui, il voyait les choses autrement. D'abord, il sourit quand je lui confiais mon enthousiasme. Il affirma que bien sûr personne n'oublierait la victoire de Stalingrad, mais qu'il ne fallait pas oublier non plus les crimes du régime. ensuite, il avait déjà lu les aventures du "grand cirque", les aérodromes et les escadrilles, l'azur dans les cockpits. Alors les verstes parcourues les pieds cramés, les libellules et les bouleaux et les tourbillons de neige, les médailles, les morts édifiantes, les zincs étincelants sous leur peinture laquée bleue, le côté ronflant (pas seulement les hélices, dit-il), les derniers mots avec les majuscules : "un Homme Véritable, un Homme Soviétique", tout ça le faisait rigoler. Et tant qu'à prendre un aviateur autant choisir le Petit Prince, c'était plus sobre. Et plus court.

komsomol
Éditions Seuil- 126 pages