Comment vous est venue l'envie d'écrire ?

En fait,portrait de Russell Banks
© Bruno Nuttens / Actes Sud
j’ai d’abord fait de la peinture, je pensais que j’allais devenir peintre. Je savais que j’allais devenir un artiste et c’était le seul talent que je semblais avoir. Quand vous êtes doué en peinture ou en dessin, en math ou en musique, ça se révèle assez tôt. En littérature par contre ça met souvent du temps. Je n’étais pas du tout versé dans la littérature, je ne suis pas issu d’une famille particulièrement cultivée. J’ai grandi dans un milieu ouvrier.
En décembre 58, j’avais dix-huit, dix-neuf ans, j’ai quitté la Nouvelle Angleterre pour le Sud. Je suis descendu jusqu’à Miami en auto-stop. J’avais dans l’idée de rejoindre Cuba pour venir en aide à Fidel Castro et au Che dans leur lutte contre la dictature de Batista. Je ne savais pas trop comment j’allais faire pour m’y rendre mais je pouvais au moins aller à Miami facilement. Et c’est là-bas, en février 59, que je me suis retrouvé coincé ; Fidel Castro et ses révolutionnaires avaient marché sur la Havane. Ils n’avaient plus besoin de moi.
Je me suis donc trouvé un petit boulot (j’installais du mobilier dans un hôtel) et je me suis remis à la peinture dans une chambre que j’avais louée. Je me sentais seul. C’est là que j’ai commencé à fréquenter la bibliothèque municipale. Je partais de zéro, je ne recevais les conseils d’aucun professeur. Je lisais tout ce qui me passait entre les mains et c’est comme ça que je suis tombé amoureux de la littérature. J’ai lu Hemingway, Faulkner, Melville, tous les grands auteurs américains et je me suis également intéressé pour la première fois aux auteurs européens.
Je me suis mis à imiter les écrivains qui me plaisaient, le style d’écriture qui me touchait. Je lisais du Hewingway et j’essayais d’écrire comme lui, je lisais un poème de Walt Whitman et j’essayais de faire de même etc. C’est comme ça que j’ai commencé à écrire, un jouant les singes savants. Un des romans qui m’a le plus marqué à cette époque est Sur la Route de Jack Kerouac, qui venait de paraître. Kerouac décrivait plus ou moins la vie que je menais alors. J’étais sur la route, même si je n’en avais pas conscience. Je me prenais pour un artiste sans trop savoir où j’allais. Les gens qu’il peignait me ressemblaient beaucoup et dans un sens ça m’inspirait.
Ça ne m’a pas forcément poussé à devenir écrivain. Par contre, ça me confortait dans ce que je faisais instinctivement. Ça donnait une certaine dignité, un sens, une forme à mes actes.
Quelques années plus tard, je compris que me vie tournait autour de l’écriture. Mes amitiés, mes relations avec les gens, mon mode de vie s’organisaient autour de cette activité.
A vingt-deux, vingt-trois ans, je compris que je devais être écrivain puisque tout dans ma vie tendait vers cet objectif. Je ne me suis pas dit à un moment précis « Je vais devenir écrivain ». C’est en revenant sur les deux trois années précédentes que je me suis dit « Faut croire que je le suis. » Je n’avais pas encore été publié, je n’étais pas écrivain aux yeux de la société, mais moi je savais que je l’étais.

Vous peignez toujours ?

Oui, de temps en temps. Je peins et j’écris des poèmes mais je n’expose pas mes travaux. Je ne le fais que pour mon plaisir.

Quels sont vos rituels d'écriture ?

La plupart des écrivains en ont je crois. C’est un bon moyen de quitter la réalité, la routine et d’entrer dans l’univers de la fiction, des mots, où selon certains, l’esprit est libre. Un monde où on ne soucie plus des factures impayées ou des coups de fil à donner, où on se consacre entièrement à son œuvre.
Hemingway taillait une douzaine de crayons tous les matins. Moi je travaille dans une petite baraque à un kilomètre de chez moi. C’est une sucrerie dont on se servait dans le Nord-est des États-Unis pour distiller la sève d’érable afin d’en faire du sirop. Je l’ai rénovée pour pouvoir y écrire.
Je m’y rends le matin et je mets tout de suite de la musique. Grâce à elle, je dresse un mur entre le monde extérieur et moi. Ce que j’écoute est toujours lié au sujet que je traite. Par exemple, quand j’ écrivais La Réserve, qui se déroule en 36-37, j’écoutais les classiques jazz des années trente. Benny Goodman, Lester Young, Cole Porter, Tin Pan Alley. Quand je mets un disque, c’est comme si le film commençait et que j’en entendais la BO. Tout dépend du livre et de l’univers qu’il décrit. La musique est une sorte d’accompagnement.

Vos livres sont toujours très documentés (sur les rastas, le Libéria, etc). Quelle est la part de recherches, par rapport à l'écriture à proprement parler, dans la construction de vos romans ?

Les réalités sociales, historiques et géographiques jouent un rôle important dans la fiction, à différents niveaux. Tout d’abord, elles offrent à mes personnages un contexte historique. Tout le monde en a un, c’est notre toile de fond. Si j’écrivais mon autobiographie aujourd’hui, il faudrait que je mentionne la guerre en Irak, les élections américaines… parce que ce sont des événements très importants qui font partie de ma vie, même si je n’en ferais pas le sujet principal du livre.
Ensuite, ces réalités offre la possibilité de donner des détails concrets, de créer une réalité palpable. Pour cela, il me faut mener des recherches, trouver des informations. Par exemple quand j’écris un livre sur le Libéria, si je dis qu’ils prennent leur petit déjeuner, il faut que je sache ce que les Libériens mangent au petit déjeuner afin que la scène soit plausible.
Enfin, j’aime utiliser des personnages historiques dans mes œuvres, des gens qui ont vraiment existé. Dans La Réserve apparaissent Hemingway, John Dos Pasos et dans American Darling, Charles Taylor qui est aujourd’hui en prison à La Haye. Je ne fais pas un travail de journaliste ou d’historien. Dans mes romans, j’en fais des icônes. Je n’écris pas des biographies sur eux mais je sais que si je les mentionne, une certaine image va apparaître dans l’esprit du lecteur et lui permettre de pénétrer dans la fiction. Par exemple, dans American Darling je mêle personnages fictifs et historiques. J’aurais pu inventer un pays, un dictateur appelé John Smith mais quel intérêt  ? C’est plus pratique de se servir de la réalité.

Dans L’Ange sur le toit vous expliquez que votre mère s'inventait sans cesse un passé pour se faire aimer. Avez-vous l'impression de reproduire ce schéma ?

Dans un sens oui. Je ne sais pas si c’est pour être aimé comme vous l’entendez. Tout artiste tente de façonner un objet qu’il aime, que ce soit un tableau, un roman ou un poème dans l’espoir que les autres l’aiment aussi. Je ne crois pas que ce soit une démarche égocentrique, que ce soit dans le but d’être aimé par un inconnu. L’artiste cherche plutôt à partager cet amour. Ma mère nous racontait souvent des histoires afin d'être aimée et même si ce n'étaient que des histoires, nous les adorions. Elle les inventait, elle transformait la réalité, elle embellissait les choses. De ce point de vue là, mes parents étaient différents. Si je demandais à mon père comment s'était passée sa journée, il me répondait : « Pas si mal, ça peut aller » et la conversation s'arrêtait là. Si je posais la question à ma mère, elle répondait : « Tu ne devineras jamais qui j'ai rencontré aujourd'hui! » Et elle se lançait dans un récit dont la moitié seulement était vraie. Et on était fasciné! Elle refaisait les dialogues, incarnait les personnages... C 'était agaçant d'une certaine façon parce que je voulais une réponse courte.

En tant qu’écrivain, pensez-vous qu’il soit important de critiquer le rêve américain  ?

Il me semble que nous ne devrions pas vivre selon un rêve qui ne correspond pas à la réalité. Le rêve américain n'est qu’une utopie. Il ne correspond pas à la réalité des Américains. On en a fait un outil de manipulation, un moyen de contrôler les gens, de les amener à sacrifier une grande partie de leur vie et de celle de leurs enfants en leur faisant croire que le rêve en vaut la peine, que la vie de la génération suivante sera meilleure que la leur.
La vérité, c'est que 90% des gens qui naissent dans la pauvreté n'en sortent jamais, tout comme leurs enfants et leurs petits enfants. Le rêve américain prétend le contraire : vous pouvez naître pauvre mais si vous le restez, c'est de votre faute.
C'est donc insidieux et ce doit être dénoncé. C'est un rêve sublime mais en fait ce n'est pas un rêve, c'est une utopie.

Dans Le pourfendeur de nuages, pourquoi avoir choisi le fils pour nous raconter la vie de John Brown ?

cloudspider Si j'avais fait de John Brown le narrateur, il aurait été très difficile d'éprouver de la compassion pour lui car c'est un personnage tellement vertueux, tellement sûr de sa vision du monde, de sa mission. Il aurait été ennuyeux de l'écouter raconter son histoire pendant mille pages. Cela dit, je voulais être proche de lui. Je cherchais un narrateur qui l'aime mais qui éprouve également une certaine crainte à son égard. Il me fallait donc quelqu'un qui le connaisse intimement, qui soit conscient de ses défauts et de ses faiblesses tout en admirant ses principes et qui ait assisté à tous les événements importants de sa vie. Ce devait être un enfant, un disciple, un adjuvant, et s'est imposée à moi la figure du fils, Owen. Le véritable Owen Brown est mort en 1889 mais je tenais aussi à ce que le narrateur soit vivant aux moments des faits qui se déroulent au début du XXème siècle afin qu'il y ait des résonnances avec notre présent. Parce que d'une certaine façon, le livre traite du terrorisme, phénomène très présent dans notre société actuelle. Je lui ai donc octroyé par licence littéraire une dizaine d’années de plus, ce qui m'a permis de situer mon intrigue en 1903.

Vous faites un portrait de John Brown très critique. S’il n’avait pas lutté contre l’esclavage, le lecteur aurait pu le percevoir comme un terroriste. Est-ce une façon pour vous d'aborder le problème de la foi par l'autre côté de la lorgnette ?

C'est tout à fait juste. S’il n'avait pas lutté contre l'esclavage (dont tout le monde s'accorde à dire qu'il faut l'éradiquer, même par la violence) nous verrions en lui un terroriste. Ce qui est d'ailleurs le cas de bon nombre de citoyens américains, particulièrement chez les Blancs. Les Noirs ont tendance à le considérer comme un héros alors que les Blancs le prennent pour un fou, un terroriste. Ils décrivent son raid sur Harper’s Ferry avec les mêmes termes que ceux qu'ils emploient aujourd'hui pour décrire les attentats terroristes islamistes. C'est curieux et ça en dit long.
Je trouvais ça intéressant de me pencher sur le point de rencontre entre la violence et la foi. Dans l'histoire américaine elles ont souvent été mêlées. Et cette tendance a désormais gagné le monde entier. La violence guidée par des principes n'est pas identique à la notion de violence telle qu'on l'entend habituellement. On tue au nom de Dieu en quelque sorte. Ce n'est pas facile pour une personne comme moi qui suis athée de comprendre ce phénomène car le premier réflexe est de n'y voir que du nihilisme et de la folie.

Pensez-vous que la violence politique se situe à un autre niveau ?

C'est légèrement différent en effet. La violence politique est guidée par des idéaux, comme pour les Weathermen dans les années 60, 70, mais d'un autre côté, l'idéologie ne fait-elle pas de la politique une religion, une doctrine universelle plutôt que circonstancielle ?
Il y a cependant une distinction entre politique et religion. On tue pour un dieu différent (comme dans le fascisme et le marxisme par exemple), on tue au nom de l'avenir. C'est une vision apocalyptique.

Comment les Américains ont-ils réagi à sa publication  ?

Il est intéressant de noter la différence entre les lecteurs blancs et noirs, qui correspond plus ou moins à celle que j'évoquais au sujet de l'opinion qu'ont les gens de John Brown. Ceux-ci ne discutent pas les faits mais les interprètent différemment. C'est pour ça que les Afro Américains ont accueilli le livre comme je l'espérais, à savoir le portrait honnête mais compatissant d'un personnage qui a ses qualités et ses travers et qu’ils perçoivent dans toute sa complexité. Les Blancs par contre se sont demandé si John Brown était un fou dangereux. Néanmoins, avec le temps, le livre a fini par trouver son public. Il est maintenant étudié dans les universités où il est d'avantage perçu comme un roman sur le terrorisme et la foi que comme un pan de l'histoire de l'esclavagisme.
Le livre a été écrit avant le 11 septembre 2001 (en 89 pour être précis) à une époque où les terroristes anti-avortement qui plastiquaient les cliniques et tuaient les médecins invoquaient la mémoire de John Brown pour justifier leurs actes. Les Weathermen, lorsqu'ils protestaient contre la guerre du Vietnam, faisaient de même dans les années 70 pour justifier leurs attentats. En l'espace de vingt ans, John Brown est passé du statut d'icône d'extrême gauche à celle d'extrême droite.

Dans De beaux lendemains, Mitchell Stephens, l’avocat est en colère contre la situation dans laquelle vit sa fille (droguée, perdue). Pourquoi avoir si peu développé cette relation ?

Cette relation n'est pas au centre de l'intrigue, il s'agit d'une autre histoire dont on pourrait tirer un livre. Mitchell a perdu sa fille sur le plan psychologique et filial alors que les autres ont littéralement perdu leurs enfants. C'est le thème que je cherchais à développer : les enfants perdus, laissés à l'abandon par la société. Je voulais explorer toutes les ramifications de ce phénomène à travers ce parallèle. Sur le plan sociologique, on a fait de nos enfants des consommateurs et un moteur essentiel de notre économie en les manipulant comme de simples objets.
A mon sens, il existe un lien ténu entre De beaux lendemains et Sous le règne de Bone. Si l'on considère le premier comme le portrait des enfants perdus tel qu'il est vu par les parents on peut voir dans le second ce même portrait du point de vue des enfants. Dans l'idéal, il faudrait les publier conjointement.

Pourquoi avoir mis en avant cet aspect peu glorieux de la presse à l'affût du scoop et des avocats prêts à tout pour décrocher un contrat ?

Cela nous permet d'aborder la question de la responsabilité sous un angle juridique. Comme vous le savez, les Américains adorent résoudre les problèmes de causalité et de responsabilité devant les tribunaux. On est très procédurier, on adore traîner son voisin en justice. C'est en quelque sorte un déni du mystère, de l’inexplicable dans la vie. Pour nous, tout doit avoir une cause et les hommes de loi personnifient ce besoin, ce désir. Je tenais à ce que le personnage de l’avocat fasse partie du tableau. Je voulais aussi qu'un des narrateurs ne soit pas du village afin de rattacher celui-ci au monde extérieur. Je ne voulais pas que le lecteur puisse se dire “c'est ce genre de choses qui arrivent dans les petits villages”. C'est ce qui arrive partout dans le monde. Je souhaite qu'on y voie une fable dont la morale nous concerne tous.

couverture Dans American Darling, Hannah dit : “C’est qu’il ne reste plus personne qui ne soit pas déguisé d’une façon ou d’une autre. Alors, tu fais confiance à qui ?” L’écriture est-elle un moyen de faire tomber ce masque ou bien d’en porter plusieurs tour à tour ?

C'est un moyen pour l'auteur d'entendre et de voir ce qu'il ne verrait ni n'entendrait jamais dans la réalité. L'écriture est donc une façon d'ôter au monde ses apparats et d'entrer réellement en contact avec son personnage. C'est une véritable démarche qui s'inscrit dans le processus d'écriture. Cependant l'une des stratégies qui s'offre à l'auteur pour atteindre ce but consiste à revêtir différents déguisements afin d'entrer dans la peau de ses personnages. Dans un sens, le travail d'écrivain est plus proche de celui de comédien que de celui de metteur en scène. Avant de fréquenter l'univers du cinéma, je croyais le contraire. Et puis au contact des acteurs, je me suis rendu compte qu'ils se mettaient comme moi dans la peau de leurs personnages. Ce qui est une façon de mettre un masque je suppose.

Vous dites aussi que vous vous imaginez souvent à la place d’un personnage à l’écoute du héros ou de l’héroïne afin de retranscrire son histoire…

Oui, l'interlocuteur est un autre personnage que je dois inventer. Je dois incarner les deux à la fois.

Le personnage d’Hannah est très dur. Quelle réaction attendiez-vous de la part du lecteur  ?

De l’appréhension qui je l'espérais laisserait peu à peu place à de la compassion. Mais tout d'abord, de l'appréhension, peut-être un peu de terreur. Ce qui a été le cas la plupart du temps. Ce que l'on comprend finalement au sujet d'Hannah, c'est qu'elle tente de découvrir et de dire la vérité sur sa vie en toute honnêteté. Si le lecteur connaît ses faiblesses, c'est uniquement parce qu'elle les confesse. Parce qu'elle se juge avec moins d'indulgence que la plupart d'entre nous, j'espère qu'au bout de 350 pages, on éprouve de la compassion pour elle, voire de l'affection et du respect.

Dans Trailer Park et L’ange sur le toit, la façon dont vous agencez les histoires est essentiel à la dramaturgie. Les premiers et derniers récits sont « à part », plus forts, plus intenses. Comment construisez-vous un recueil de nouvelles ? Quand décidez-vous de l'ordre des récits ?

Dans Trailer Park l'ordre des nouvelles est délibéré. J'avais cette structure en tête dès le départ. Je les ai écrites dans l'ordre où elles ont été publiées et où elles doivent être lues, comme un roman, même si bien sûr, ce n'est pas une obligation. J'ai fait en sorte que tous les personnages apparaissent dans la première et la dernière nouvelle, et qu'entre les deux, chacun ait son espace d'expression. La structure de Trailer Park est donc plus fragmentée que celle d'un roman classique bien qu'elle comporte une ligne narrative. Je désirais écrire un roman composé de nouvelles. Pour L'Ange sur le toit, c'est différent. Je voulais orchestrer les nouvelles comme on pense un concert où on a 20 morceaux à jouer. On n’enchaîne pas deux chansons du même genre, on fait varier le rythme, l'ambiance. C'est d'avantage vers ce genre d'orchestration musicale que je tendais.

Il y a beaucoup d’humour dans Trailer Park, même si le fond est assez pessimiste. Pourquoi ne pas plus souvent verser dans ce registre ?

Parce que je ne suis pas très drôle, je ne manie pas très bien l'humour. Je suis doué pour l'ironie mais pas pour la comédie. C'est comme ça que je suis, je dois faire avec. On n'échappe pas à sa personnalité, elle transparaît forcément dans l'écriture. J'aimerais pouvoir écrire un roman humoristique comme Kurt Vonnegut par exemple, voir les choses avec plus de légèreté, mais je n'y arrive tout simplement pas. Je n'ai pas le don de T C Boyle ou d'autres.

Dans Le livre de la Jamaïque et dans une moindre mesure American Darling, le personnage principal (qui est un adulte) ne peut jamais vraiment se défaire de ses racines alors que dans Le règne de Bone, notre jeune héros semble y parvenir. Les enfants sont-ils plus aptes à toucher à l’essence profonde d’une culture étrangère ?

J'en ai fait l'expérience personnellement. J'ai vécu en Jamaïque avec mes filles. La plus jeune avait six ans, la plus âgée, treize. Elles jouaient avec les gamins du coin, on habitait à la campagne. C'était les seules blanches du village. Six semaines après notre arrivée, j'étais incapable de différencier à l'oreille si c'était mes enfants ou des Jamaïcains qui parlaient. Elles s'étaient fondues dans ce nouvel univers et observaient le monde à travers le regard de leurs camarades.
Bone subit plusieurs transformations en Jamaïque. Au départ, il se prend pour un Jamaïcain. Il se laisse pousser des dread locks, vit au milieu d'une plantation, se considère comme un esclave. Mais peu à peu, particulièrement après la mort de I Man, il prend conscience que de part la couleur de sa peau, dans une société raciste, il ne sera jamais une victime comme son ami l'a été. Un homme lui dit “Si tu n'étais pas blanc, tu serais mort”. Il décide alors de couper ses dread locks, signe qu'il a atteint une conscience plus profonde des réalités raciales. Il cesse de s'identifier à la victime, il se détache d'elle pour acquérir une conscience politique, chose qu'il était incapable d'accomplir jusque là malgré tous ses efforts.

Enfin, pour clore cette interview fleuve, nous vous laissons, comme c'est la tradition sur le site, les derniers mots pour vos lecteurs.

Je suis ravi de constater que l'Internet offre de plus en plus de possibilités aux auteurs. Cela facilite d'abord la diffusion des écrits mais également la communication avec le lecteur. En cela, l'existence de ce blog m'enchante.

Interview de Russell Banks, jeudi 06 mars 2008 - traduction Cécile & Stéphane - Tous droits réservés Biblioblog

Romans ayant permis de préparer cette interview: