Comment vous est venue l'envie d'écrire ?
En
fait,
© Bruno Nuttens / Actes Sud j’ai d’abord fait de la peinture, je pensais que j’allais devenir
peintre. Je savais que j’allais devenir un artiste et c’était le seul
talent que je semblais avoir. Quand vous êtes doué en peinture ou en
dessin, en math ou en musique, ça se révèle assez tôt. En littérature
par contre ça met souvent du temps. Je n’étais pas du tout versé dans
la littérature, je ne suis pas issu d’une famille particulièrement
cultivée. J’ai grandi dans un milieu ouvrier.
En décembre 58, j’avais dix-huit, dix-neuf ans, j’ai quitté la Nouvelle
Angleterre pour le Sud. Je suis descendu jusqu’à Miami en auto-stop.
J’avais dans l’idée de rejoindre Cuba pour venir en aide à Fidel Castro
et au Che dans leur lutte contre la dictature de Batista. Je ne savais
pas trop comment j’allais faire pour m’y rendre mais je pouvais au
moins aller à Miami facilement. Et c’est là-bas, en février 59, que je
me suis retrouvé coincé ; Fidel Castro et ses révolutionnaires avaient
marché sur la Havane. Ils n’avaient plus besoin de moi.
Je me suis donc trouvé un petit boulot (j’installais du mobilier dans
un hôtel) et je me suis remis à la peinture dans une chambre que
j’avais louée. Je me sentais seul. C’est là que j’ai commencé à
fréquenter la bibliothèque municipale. Je partais de zéro, je ne
recevais les conseils d’aucun professeur. Je lisais tout ce qui me
passait entre les mains et c’est comme ça que je suis tombé amoureux de
la littérature. J’ai lu Hemingway, Faulkner, Melville, tous les grands
auteurs américains et je me suis également intéressé pour la première
fois aux auteurs européens.
Je me suis mis à imiter les écrivains qui me plaisaient, le style
d’écriture qui me touchait. Je lisais du Hewingway et j’essayais
d’écrire comme lui, je lisais un poème de Walt Whitman et j’essayais de
faire de même etc. C’est comme ça que j’ai commencé à écrire, un jouant
les singes savants.
Un des romans qui m’a le plus marqué à cette époque est Sur la Route de
Jack Kerouac, qui venait de paraître. Kerouac décrivait plus ou moins
la vie que je menais alors. J’étais sur la route, même si je n’en avais
pas conscience. Je me prenais pour un artiste sans trop savoir où
j’allais. Les gens qu’il peignait me ressemblaient beaucoup et dans un
sens ça m’inspirait.
Ça ne m’a pas forcément poussé à devenir écrivain. Par contre, ça me
confortait dans ce que je faisais instinctivement. Ça donnait une
certaine dignité, un sens, une forme à mes actes.
Quelques années plus tard, je compris que me vie tournait autour de
l’écriture. Mes amitiés, mes relations avec les gens, mon mode de vie
s’organisaient autour de cette activité.
A vingt-deux, vingt-trois ans, je compris que je devais être écrivain
puisque tout dans ma vie tendait vers cet objectif. Je ne me suis pas
dit à un moment précis « Je vais devenir écrivain ». C’est en revenant
sur les deux trois années précédentes que je me suis dit « Faut croire
que je le suis. » Je n’avais pas encore été publié, je n’étais pas
écrivain aux yeux de la société, mais moi je savais que je l’étais.
Vous peignez toujours ?
Oui, de temps en temps. Je peins et j’écris des poèmes mais je n’expose pas mes travaux. Je ne le fais que pour mon plaisir.
Quels sont vos rituels d'écriture ?
La plupart des écrivains en ont je crois. C’est un bon moyen de
quitter la réalité, la routine et d’entrer dans l’univers de la
fiction, des mots, où selon certains, l’esprit est libre. Un monde où
on ne soucie plus des factures impayées ou des coups de fil à donner,
où on se consacre entièrement à son œuvre.
Hemingway taillait une douzaine de crayons tous les matins. Moi je
travaille dans une petite baraque à un kilomètre de chez moi. C’est une
sucrerie dont on se servait dans le Nord-est des États-Unis pour
distiller la sève d’érable afin d’en faire du sirop. Je l’ai rénovée
pour pouvoir y écrire.
Je m’y rends le matin et je mets tout de suite de la musique. Grâce à
elle, je dresse un mur entre le monde extérieur et moi. Ce que j’écoute
est toujours lié au sujet que je traite. Par exemple, quand j’ écrivais
La Réserve, qui se déroule en 36-37, j’écoutais les classiques jazz des
années trente. Benny Goodman, Lester Young, Cole Porter, Tin Pan Alley.
Quand je mets un disque, c’est comme si le film commençait et que j’en
entendais la BO. Tout dépend du livre et de l’univers qu’il décrit. La
musique est une sorte d’accompagnement.
Vos livres sont toujours très documentés (sur les rastas, le Libéria, etc). Quelle est la part de recherches, par rapport à l'écriture à proprement parler, dans la construction de vos romans ?
Les réalités sociales, historiques et géographiques jouent un rôle
important dans la fiction, à différents niveaux. Tout d’abord, elles
offrent à mes personnages un contexte historique. Tout le monde en a
un, c’est notre toile de fond. Si j’écrivais mon autobiographie
aujourd’hui, il faudrait que je mentionne la guerre en Irak, les
élections américaines… parce que ce sont des événements très importants
qui font partie de ma vie, même si je n’en ferais pas le sujet
principal du livre.
Ensuite, ces réalités offre la possibilité de donner des détails
concrets, de créer une réalité palpable. Pour cela, il me faut mener
des recherches, trouver des informations. Par exemple quand j’écris un
livre sur le Libéria, si je dis qu’ils prennent leur petit déjeuner, il
faut que je sache ce que les Libériens mangent au petit déjeuner afin
que la scène soit plausible.
Enfin, j’aime utiliser des personnages historiques dans mes œuvres, des
gens qui ont vraiment existé. Dans La Réserve apparaissent Hemingway,
John Dos Pasos et dans American Darling, Charles Taylor qui est
aujourd’hui en prison à La Haye. Je ne fais pas un travail de
journaliste ou d’historien. Dans mes romans, j’en fais des icônes. Je
n’écris pas des biographies sur eux mais je sais que si je les
mentionne, une certaine image va apparaître dans l’esprit du lecteur et
lui permettre de pénétrer dans la fiction. Par exemple, dans American
Darling je mêle personnages fictifs et historiques. J’aurais pu
inventer un pays, un dictateur appelé John Smith mais quel intérêt ?
C’est plus pratique de se servir de la réalité.
Dans L’Ange sur le toit vous expliquez que votre mère s'inventait sans cesse un passé pour se faire aimer. Avez-vous l'impression de reproduire ce schéma ?
Dans un sens oui. Je ne sais pas si c’est pour être aimé comme vous l’entendez. Tout artiste tente de façonner un objet qu’il aime, que ce soit un tableau, un roman ou un poème dans l’espoir que les autres l’aiment aussi. Je ne crois pas que ce soit une démarche égocentrique, que ce soit dans le but d’être aimé par un inconnu. L’artiste cherche plutôt à partager cet amour. Ma mère nous racontait souvent des histoires afin d'être aimée et même si ce n'étaient que des histoires, nous les adorions. Elle les inventait, elle transformait la réalité, elle embellissait les choses. De ce point de vue là, mes parents étaient différents. Si je demandais à mon père comment s'était passée sa journée, il me répondait : « Pas si mal, ça peut aller » et la conversation s'arrêtait là. Si je posais la question à ma mère, elle répondait : « Tu ne devineras jamais qui j'ai rencontré aujourd'hui! » Et elle se lançait dans un récit dont la moitié seulement était vraie. Et on était fasciné! Elle refaisait les dialogues, incarnait les personnages... C 'était agaçant d'une certaine façon parce que je voulais une réponse courte.
En tant qu’écrivain, pensez-vous qu’il soit important de critiquer le rêve américain ?
Il me semble que nous ne devrions pas vivre selon un rêve qui ne
correspond pas à la réalité. Le rêve américain n'est qu’une utopie. Il
ne correspond pas à la réalité des Américains. On en a fait un outil de
manipulation, un moyen de contrôler les gens, de les amener à sacrifier
une grande partie de leur vie et de celle de leurs enfants en leur
faisant croire que le rêve en vaut la peine, que la vie de la
génération suivante sera meilleure que la leur.
La vérité, c'est que 90% des gens qui naissent dans la pauvreté n'en
sortent jamais, tout comme leurs enfants et leurs petits enfants. Le
rêve américain prétend le contraire : vous pouvez naître pauvre mais si
vous le restez, c'est de votre faute.
C'est donc insidieux et ce doit être dénoncé. C'est un rêve sublime mais en fait ce n'est pas un rêve, c'est une utopie.
Dans Le pourfendeur de nuages, pourquoi avoir choisi le fils pour nous raconter la vie de John Brown ?
Si j'avais fait de John Brown le narrateur, il aurait été très
difficile d'éprouver de la compassion pour lui car c'est un personnage
tellement vertueux, tellement sûr de sa vision du monde, de sa mission.
Il aurait été ennuyeux de l'écouter raconter son histoire pendant mille
pages. Cela dit, je voulais être proche de lui. Je cherchais un
narrateur qui l'aime mais qui éprouve également une certaine crainte à
son égard. Il me fallait donc quelqu'un qui le connaisse intimement,
qui soit conscient de ses défauts et de ses faiblesses tout en admirant
ses principes et qui ait assisté à tous les événements importants de sa
vie. Ce devait être un enfant, un disciple, un adjuvant, et s'est
imposée à moi la figure du fils, Owen. Le véritable Owen Brown est mort
en 1889 mais je tenais aussi à ce que le narrateur soit vivant aux
moments des faits qui se déroulent au début du XXème siècle afin qu'il
y ait des résonnances avec notre présent. Parce que d'une certaine
façon, le livre traite du terrorisme, phénomène très présent dans notre
société actuelle. Je lui ai donc octroyé par licence littéraire une
dizaine d’années de plus, ce qui m'a permis de situer mon intrigue en
1903.
Vous faites un portrait de John Brown très critique. S’il n’avait pas lutté contre l’esclavage, le lecteur aurait pu le percevoir comme un terroriste. Est-ce une façon pour vous d'aborder le problème de la foi par l'autre côté de la lorgnette ?
C'est tout à fait juste. S’il n'avait pas lutté contre l'esclavage
(dont tout le monde s'accorde à dire qu'il faut l'éradiquer, même par
la violence) nous verrions en lui un terroriste. Ce qui est d'ailleurs
le cas de bon nombre de citoyens américains, particulièrement chez les
Blancs. Les Noirs ont tendance à le considérer comme un héros alors que
les Blancs le prennent pour un fou, un terroriste. Ils décrivent son
raid sur Harper’s Ferry avec les mêmes termes que ceux qu'ils emploient
aujourd'hui pour décrire les attentats terroristes islamistes. C'est
curieux et ça en dit long.
Je trouvais ça intéressant de me pencher sur le point de rencontre
entre la violence et la foi. Dans l'histoire américaine elles ont
souvent été mêlées. Et cette tendance a désormais gagné le monde
entier. La violence guidée par des principes n'est pas identique à la
notion de violence telle qu'on l'entend habituellement. On tue au nom
de Dieu en quelque sorte. Ce n'est pas facile pour une personne comme
moi qui suis athée de comprendre ce phénomène car le premier réflexe
est de n'y voir que du nihilisme et de la folie.
Pensez-vous que la violence politique se situe à un autre niveau ?
C'est légèrement différent en effet. La violence politique est
guidée par des idéaux, comme pour les Weathermen dans les années 60,
70, mais d'un autre côté, l'idéologie ne fait-elle pas de la politique
une religion, une doctrine universelle plutôt que circonstancielle ?
Il y a cependant une distinction entre politique et religion. On tue
pour un dieu différent (comme dans le fascisme et le marxisme par
exemple), on tue au nom de l'avenir. C'est une vision apocalyptique.
Comment les Américains ont-ils réagi à sa publication ?
Il est intéressant de noter la différence entre les lecteurs blancs
et noirs, qui correspond plus ou moins à celle que j'évoquais au sujet
de l'opinion qu'ont les gens de John Brown. Ceux-ci ne discutent pas
les faits mais les interprètent différemment. C'est pour ça que les
Afro Américains ont accueilli le livre comme je l'espérais, à savoir le
portrait honnête mais compatissant d'un personnage qui a ses qualités
et ses travers et qu’ils perçoivent dans toute sa complexité. Les
Blancs par contre se sont demandé si John Brown était un fou dangereux.
Néanmoins, avec le temps, le livre a fini par trouver son public. Il
est maintenant étudié dans les universités où il est d'avantage perçu
comme un roman sur le terrorisme et la foi que comme un pan de
l'histoire de l'esclavagisme.
Le livre a été écrit avant le 11 septembre 2001 (en 89 pour être
précis) à une époque où les terroristes anti-avortement qui
plastiquaient les cliniques et tuaient les médecins invoquaient la
mémoire de John Brown pour justifier leurs actes. Les Weathermen,
lorsqu'ils protestaient contre la guerre du Vietnam, faisaient de même
dans les années 70 pour justifier leurs attentats. En l'espace de vingt
ans, John Brown est passé du statut d'icône d'extrême gauche à celle
d'extrême droite.
Dans De beaux lendemains, Mitchell Stephens, l’avocat est en colère contre la situation dans laquelle vit sa fille (droguée, perdue). Pourquoi avoir si peu développé cette relation ?
Cette relation n'est pas au centre de l'intrigue, il s'agit d'une
autre histoire dont on pourrait tirer un livre. Mitchell a perdu sa
fille sur le plan psychologique et filial alors que les autres ont
littéralement perdu leurs enfants. C'est le thème que je cherchais à
développer : les enfants perdus, laissés à l'abandon par la société. Je
voulais explorer toutes les ramifications de ce phénomène à travers ce
parallèle. Sur le plan sociologique, on a fait de nos enfants des
consommateurs et un moteur essentiel de notre économie en les
manipulant comme de simples objets.
A mon sens, il existe un lien ténu entre De beaux lendemains et Sous le
règne de Bone. Si l'on considère le premier comme le portrait des
enfants perdus tel qu'il est vu par les parents on peut voir dans le
second ce même portrait du point de vue des enfants. Dans l'idéal, il
faudrait les publier conjointement.
Pourquoi avoir mis en avant cet aspect peu glorieux de la presse à l'affût du scoop et des avocats prêts à tout pour décrocher un contrat ?
Cela nous permet d'aborder la question de la responsabilité sous un angle juridique. Comme vous le savez, les Américains adorent résoudre les problèmes de causalité et de responsabilité devant les tribunaux. On est très procédurier, on adore traîner son voisin en justice. C'est en quelque sorte un déni du mystère, de l’inexplicable dans la vie. Pour nous, tout doit avoir une cause et les hommes de loi personnifient ce besoin, ce désir. Je tenais à ce que le personnage de l’avocat fasse partie du tableau. Je voulais aussi qu'un des narrateurs ne soit pas du village afin de rattacher celui-ci au monde extérieur. Je ne voulais pas que le lecteur puisse se dire “c'est ce genre de choses qui arrivent dans les petits villages”. C'est ce qui arrive partout dans le monde. Je souhaite qu'on y voie une fable dont la morale nous concerne tous.
Dans American Darling, Hannah dit : “C’est qu’il ne reste
plus personne qui ne soit pas déguisé d’une façon ou d’une autre.
Alors, tu fais confiance à qui ?” L’écriture est-elle un moyen de faire
tomber ce masque ou bien d’en porter plusieurs tour à tour ?
C'est un moyen pour l'auteur d'entendre et de voir ce qu'il ne verrait ni n'entendrait jamais dans la réalité. L'écriture est donc une façon d'ôter au monde ses apparats et d'entrer réellement en contact avec son personnage. C'est une véritable démarche qui s'inscrit dans le processus d'écriture. Cependant l'une des stratégies qui s'offre à l'auteur pour atteindre ce but consiste à revêtir différents déguisements afin d'entrer dans la peau de ses personnages. Dans un sens, le travail d'écrivain est plus proche de celui de comédien que de celui de metteur en scène. Avant de fréquenter l'univers du cinéma, je croyais le contraire. Et puis au contact des acteurs, je me suis rendu compte qu'ils se mettaient comme moi dans la peau de leurs personnages. Ce qui est une façon de mettre un masque je suppose.
Vous dites aussi que vous vous imaginez souvent à la place d’un personnage à l’écoute du héros ou de l’héroïne afin de retranscrire son histoire…
Oui, l'interlocuteur est un autre personnage que je dois inventer. Je dois incarner les deux à la fois.
Le personnage d’Hannah est très dur. Quelle réaction attendiez-vous de la part du lecteur ?
De l’appréhension qui je l'espérais laisserait peu à peu place à de la compassion. Mais tout d'abord, de l'appréhension, peut-être un peu de terreur. Ce qui a été le cas la plupart du temps. Ce que l'on comprend finalement au sujet d'Hannah, c'est qu'elle tente de découvrir et de dire la vérité sur sa vie en toute honnêteté. Si le lecteur connaît ses faiblesses, c'est uniquement parce qu'elle les confesse. Parce qu'elle se juge avec moins d'indulgence que la plupart d'entre nous, j'espère qu'au bout de 350 pages, on éprouve de la compassion pour elle, voire de l'affection et du respect.
Dans Trailer Park et L’ange sur le toit, la façon dont vous agencez les histoires est essentiel à la dramaturgie. Les premiers et derniers récits sont « à part », plus forts, plus intenses. Comment construisez-vous un recueil de nouvelles ? Quand décidez-vous de l'ordre des récits ?
Dans Trailer Park l'ordre des nouvelles est délibéré. J'avais cette structure en tête dès le départ. Je les ai écrites dans l'ordre où elles ont été publiées et où elles doivent être lues, comme un roman, même si bien sûr, ce n'est pas une obligation. J'ai fait en sorte que tous les personnages apparaissent dans la première et la dernière nouvelle, et qu'entre les deux, chacun ait son espace d'expression. La structure de Trailer Park est donc plus fragmentée que celle d'un roman classique bien qu'elle comporte une ligne narrative. Je désirais écrire un roman composé de nouvelles. Pour L'Ange sur le toit, c'est différent. Je voulais orchestrer les nouvelles comme on pense un concert où on a 20 morceaux à jouer. On n’enchaîne pas deux chansons du même genre, on fait varier le rythme, l'ambiance. C'est d'avantage vers ce genre d'orchestration musicale que je tendais.
Il y a beaucoup d’humour dans Trailer Park, même si le fond est assez pessimiste. Pourquoi ne pas plus souvent verser dans ce registre ?
Parce que je ne suis pas très drôle, je ne manie pas très bien l'humour. Je suis doué pour l'ironie mais pas pour la comédie. C'est comme ça que je suis, je dois faire avec. On n'échappe pas à sa personnalité, elle transparaît forcément dans l'écriture. J'aimerais pouvoir écrire un roman humoristique comme Kurt Vonnegut par exemple, voir les choses avec plus de légèreté, mais je n'y arrive tout simplement pas. Je n'ai pas le don de T C Boyle ou d'autres.
Dans Le livre de la Jamaïque et dans une moindre mesure American Darling, le personnage principal (qui est un adulte) ne peut jamais vraiment se défaire de ses racines alors que dans Le règne de Bone, notre jeune héros semble y parvenir. Les enfants sont-ils plus aptes à toucher à l’essence profonde d’une culture étrangère ?
J'en ai fait l'expérience personnellement. J'ai vécu en Jamaïque
avec mes filles. La plus jeune avait six ans, la plus âgée, treize.
Elles jouaient avec les gamins du coin, on habitait à la campagne.
C'était les seules blanches du village. Six semaines après notre
arrivée, j'étais incapable de différencier à l'oreille si c'était mes
enfants ou des Jamaïcains qui parlaient. Elles s'étaient fondues dans
ce nouvel univers et observaient le monde à travers le regard de leurs
camarades.
Bone subit plusieurs transformations en Jamaïque. Au départ, il se
prend pour un Jamaïcain. Il se laisse pousser des dread locks, vit au
milieu d'une plantation, se considère comme un esclave. Mais peu à peu,
particulièrement après la mort de I Man, il prend conscience que de
part la couleur de sa peau, dans une société raciste, il ne sera jamais
une victime comme son ami l'a été. Un homme lui dit “Si tu n'étais pas
blanc, tu serais mort”. Il décide alors de couper ses dread locks,
signe qu'il a atteint une conscience plus profonde des réalités
raciales. Il cesse de s'identifier à la victime, il se détache d'elle
pour acquérir une conscience politique, chose qu'il était incapable
d'accomplir jusque là malgré tous ses efforts.
Enfin, pour clore cette interview fleuve, nous vous laissons, comme c'est la tradition sur le site, les derniers mots pour vos lecteurs.
Je suis ravi de constater que l'Internet offre de plus en plus de possibilités aux auteurs. Cela facilite d'abord la diffusion des écrits mais également la communication avec le lecteur. En cela, l'existence de ce blog m'enchante.
Interview de Russell Banks, jeudi 06 mars 2008 - traduction Cécile & Stéphane - Tous droits réservés Biblioblog
Romans ayant permis de préparer cette interview:
- De beaux lendemains
- Le pourfendeur de nuages
- Sous le règne de Bone
- American Darling
- Trailerpark
- L'ange sur le toit
- Le livre de la Jamaïque
Commentaires
mercredi 16 avril 2008 à 18h39
Merci pour cette très belle interview et cette belle rencontre. Très intéressant. J'aime beaucoup cet auteur et j'ai tout à coup envie d'entamer un de ses livres..
mercredi 16 avril 2008 à 18h43
Waowwwwwwwwwwwwwwww !!!! Chapeau... et mille merci pour cette passionnante interview qui souligne encore si besoin la différence qui existe entre les auteurs anglo-saxons et français dans leur approche du "métier" d'écrivain... et qui me donne envie de me replonger dare-dare dans un roman du sieur Banks.
mercredi 16 avril 2008 à 18h45
Merci Kroustik d'être la première à laisser un commentaire sur ce billet.
Inutile de te dire que Dédale, Cécile, Stéphane et moi-même trépignions d'impatience de le mettre en ligne. Cette interview nous a demandé à tous beaucoup de travail en amont. En fait nous la préparons depuis l'été dernier.
Et puis, nous avons eu la chance que Russell Banks accepte de nous rencontrer en mars dernier (je n'ai malheureusement pas pu être présente, mais Cécile et Stéphane ont été parfaits). C'est avec beaucoup de gentillesse qu'il s'est prêté à l'exercice.
mercredi 16 avril 2008 à 18h48
In cold bog : "Waowwwwwwwwwwwwwwww !!!!"
oui, c'est ce que nous nous sommes dit quand nous avons réalisé ce que nous venions de faire 
Si tu veux te replonger dans les oeuvres de Mr. Russell Banks, je crois que L'Ange sur le toit (pour ceux qui aiment les nouvelles) est absolument fascinant, tant pas son écriture que par sa structure.
mercredi 16 avril 2008 à 18h49
Et bien ! Ca valait le coup d'attendre pour une si belle interview ! Bravo à tous les quatre, et merci de nous offrir cela. Je n'ai jamais lu cet auteur, ce billet m'a fortement donné envie !
mercredi 16 avril 2008 à 19h08
Merci infiniment Laurence et votre équipe pour cet interview.
Je suis très largement impressionée, d'autant que je découvre depuis peu ses romans, et que je compte bien en lire d'autres, et me laisserais sans aucun doute influencer par cet interview pour choisir le prochain.
Bravo (le compliment est banal, certes, mais je n'en vois pas d'autre !)
mercredi 16 avril 2008 à 20h27
Quel dommage de gâcher cet excellent interview par le petit commentaire démago final. On dirait Mick Jagger en train de nous pousser ses "I love yoouuuuu Pariiis" :-))
Sinon que dire...excellente interview, longue, bien fichue, questions pertinentes, réponses très intéressantes. Du contenu, du contenu, du contenu... :D
De vrais pros, sur Biblio. Foutent les boules, ces gens là...
mercredi 16 avril 2008 à 22h17
Attention, aucun des liens vers les billets de lecture ne fonctionnent...
jeudi 17 avril 2008 à 08h28
Bladelor : quelle chance tu as de ne pas encore le connaître. Tu vas pouvoir le découvrir !!
(et merci pour les liens, j'ai corrigé).
Amanda : même si ton compliment te paraît banal, il nous fait chaud au coeur. Je suis curieuse de savoir quel roman tu as envie de lire suite à la lecture de cette interview....
Thom : tss... j'en étais sûre, tu ne peux pas t'empêcher de voir la malice partout. Mais apparemment, d'après ce que Cécile a pu m'en dire, Russell Banks a montré tout au long de l'entretien son enthousiasme par rapport à nos questions. Alors sa dernière phrase est-elle peut-être sincère... (laisse moi une part de naïveté
).
Quant à la tienne, de dernière phrase, elle m'a bien fait rire.
jeudi 17 avril 2008 à 08h54
eh bien, plusieurs, en fait ! L'ange sur le toit, parce qu'une mère qui s'invente un passé pour se faire aimer, eh bien ça m'interpelle. Pourfendeur des nuages, parce qu'un fils raconte son père (et que je ne connais pas trop la vie de John Brown, American Darling parce que je n'en lis que de bonnes "critiques". Mais j'ai d'abord "Histoire de réussir", un recueil de nouvelles à lire.
C'est un auteur que j'ai découvert avec De beaux lendemains que j'ai énormément aimé. En revanche je n'ai pas aimé du tout son dernier roman "La réserve", mais, je ne saurais expliquer pourquoi, j'ai envie d'aller plus loin dans ma découverte de ses écrits.
jeudi 17 avril 2008 à 09h19
Vraiment : bravo. Pour tout le travail préparatif, les bonnes questions, la traduction : bravo. Je n'ai lu que "Sous le règne de Bone" et il faut que j'arrange ça rapidement.
jeudi 17 avril 2008 à 13h11
Je suis sûr que c'était sincère. Russell Banks passe d'ailleurs toute sa vie à lire les blogs, c'est connu
Bon...je viens sinon de m'envoyer l'intégralité de la VO. Eh bien c'est encore plus passionnant ! (oui : ceci est bel et bien un petit commentaire élitiste).
Que dire de plus sinon : BRAVO BIBLIO ! VIVE BIBLIO !
(P.S. : c'est qui Russell Banks ? :))
jeudi 17 avril 2008 à 15h17
Oui, bravo, vous avez de quoi être fiers de vous! Il ne manque plus qu'une grande photo en noir et blanc et on se croirait dans n'importe quel supplément littéraire, rubrique "Grand Portrait", du journal ***, voir même du magazine ***.
Une question (ce n'est pas un reproche, hein?) Pourquoi n'avoir pas parlé d'Affliction?
jeudi 17 avril 2008 à 16h54
Eh bien, voilà qui va me permettre de découvrir Russel Bank ! Eh non, jamais eu l'honneur de lire ce monsieur ! mais voilà, ce week-end, je vais lire cette interview à tête reposée (maybe in English...) parce que la semaine est un peu difficile et que là, j'ai pô le temps, et découvrir cet auteur grâce à votre formidable travail ! Encore une fois bravo à tous ceux qui se sont démenés pour que nous, lecteurs, puissions profiter tranquillement de cette intervieiw dans notre fauteuil (ou sur la chaise de bureau, pour ceux qui n'ont pas de portable !)
vendredi 18 avril 2008 à 08h21
Amanda : Je n'ai pas encore lu "La réserve", mais je me le suis noté dans un petit coin de ma tête, on verra bien.
Merci Ys
Thom : il n'a pas dit qu'il avait lu le blog... comme tu déformes !! Il était apparemment agréablement surpris par nos questions, d'où la phrase finale.
Quant à la v.o. je suis d'accord avec toi, et pourtant mon anglais est vraiment très scolaire.
Auteurtv : je suis très touchée par tes compliments.
Pour Affliction, nous ne l'avions pas lu, tout comme la réserve. Ceci expliquant cela.
Pimpi : bonne lecture alors.
samedi 19 avril 2008 à 13h41
"Affliction" j'adore, c'est le meilleur titre de bouquin de tous les temps. On le referme en ayant l'impression que le monde entier se repose sur nos (évidemment) frêles épaules.
Sinon, rien à voir, mais je viens d'avoir Russell au téléphone. Je rapporte ses propos : "Aaaaah ! Je viens de passe sur Biblio-blog ! Si j'avais su ! C'est quoi ce auteurs tivi ? C'est ça j'aurais dû faire".
samedi 19 avril 2008 à 19h18
Thom : tsss..... mais que ce garçon est bête....
mardi 22 avril 2008 à 04h06
M. Banks nous rend visite cette semaine ici au Canada, à Moncton dans la province du Nouveau-Brunswick plus précisément, au coeur de l’Acadie. Il est un invité spécial pour notre festival littéraire bilingue, le festival Northrop Frye. Je vais même assister à un atelier qu’il donnera (écrire pur le cinéma). Je ne connais pas son œuvre et je cherchais quoi que ça soit sur lui. Grâce à Wikipedia j’ai trouvé votre excellente interview, qui m’a donné une information de base très riche sur laquelle je pourrai mieux apprécier ses discours. Merci pour un très beau travail!
mardi 22 avril 2008 à 08h18
Merci Edward. J'avais effectivement vu que Russell Banks était annoncé pour un atelier d'écriture au Canada : vous en avez de la chance
.
vendredi 17 octobre 2008 à 09h14
Je termine la réserve à l'instant et cherchais des compte-rendus d'interview de R. Banks. Je trouve le vôtre et vous remercie de votre important travail de lecture et de préparation de vos questions à l'auteur. Je l'avais entendu sur france culture pour "la réserve", avais commencé ma lecture de lui par Américan darling. Un choc! Une écriture profonde sur la conscience de soi que la vie permet de développer en chacun. Russel Banks rend compte de cette intimité d'une puissante manière; il donne ainsi la parole à ceux qui ne parlent pas, ouvre l'espace de la découverte et de la connaissance de soi. La recherche de sa vérité. "American darling" est loin devant "la réserve". Je découvrirai avec bonheur d'autres de ses romans, et aurai des pistes de choix grâce à votre travail. Merci encore!
vendredi 17 octobre 2008 à 18h08
Bonjour Elisabeth et merci d'être venue déposer quelques mots en ce lieu. A bientôt peut-être...
dimanche 30 septembre 2012 à 08h08
C'est une interview passionnante car il dit des choses essentielles sur le métier d'écrivain. Cela m'a permis de comprendre certaines choses.