Voici ce qu'en dit, Georges Perec, notre observateur, car il s'agit de lui : «Un grand nombre, sinon la plupart, de ces choses ont été décrites, inventoriées, photographiées, racontées ou recensées. Mon propos dans les pages qui suivent a plutôt été de décrire le reste : ce que l'on ne note généralement pas, ce qui ne se remarque pas, ce qui n'a pas d'importance : ce qui se passe quand il ne se passe rien, sinon du temps, des gens, des voitures et des nuages. »

Pour certains, il ne s'agira que d'une suite sans fin de listes, de faits insignifiants de la vie. Mais un regard, une perception humaine - un tantinet photographique - de ces faits de rien du tout, vous en révélera les vibrations, les variations du temps, de la lumière, ces petits détails qui font le charme de la vie quotidienne dans une grande ville.

A l'origine, ce texte parut en 1975. Il est extrait du Pourrissement des sociétés, n° 1/1975 de la Revue Cause commune dirigée par Jean Duvignaud et dont Georges Perec était un des animateurs. Mais un texte de Georges Perec ne devait pas rester inaperçu. Le sortir de l'ombre a été une très bonne chose.

J'ai vraiment bien aimé cette idée d'observations, surtout sous la plume et l’œil toujours en éveil de G. Perec, qui ne peut dans ses notes, s'empêcher de glisser quelques pointes d'humour et jeux de mots – l'Oulipo toujours. Cela donne des petites choses savoureuses comme :

« Passe un homme qui marche le nez en l'air, suivi d'un autre qui regarde par terre »

ou

« il est 18h45
passent des ouatures »

« passe un 63 presque vide
Passe un papa poussant poussette »

Et le lecteur sur cette lancée d’observations, ne pourra s’empêcher d’en faire lui aussi. Il notera entre autres que le vert pomme était très mode à l’automne 1974, que la circulation des bus était, semble-t-il, plus régulière, plus fluide, que les touristes Japonais étaient déjà bien présents dans la capitale.

C’est court mais très plaisant. Vraiment une très bonne lecture qui donne bien des idées.

Du même auteur : Un cabinet d'amateur, Quel petit vélo à guidon chromé au fond de la cour ? et L'art et la manière d'aborder son chef de service pour lui demander une augmentation

Dédale

Extrait :

Les scouts quittent Saint-Sulpice en file hindoue.
L'un d'eux qui est venu jusqu'ici téléphoner les rejoint en courant ; il grimpe les escaliers de l'église et les redescend quatre à quatre, portant son sac à dos et le fanion de la patrouille (j'ai quand même une bonne vue)
L'agent de police n° 5976 va et vient dans la rue du Vieux-Colombier. Il offre une certaine ressemblance avec Michael Lonsdale.
Les « Coches Parisiens »
L'homme à la minerve (il était tout à l'heure rue du Vieux Colombier, il est maintenant rue Bonaparte)
Précédé de 91 motards, le mikado passe dans une rolls-royce vert pomme
Cityrama : une Japonaise absorbée dans ses écouteurs
J'entends : « Il est trois heures et quart »
Un homme en imperméable fait de grands gestes
Des Japonais dans un car
Les cloches de Saint-Sulpice se mettent à sonner (ce serait, entends-je, un baptême)
Les oiseaux font un tour de la place
Les deux aubergines de la veille repassent ; elles semblent soucieuses, aujourd'hui
Légère animation dans le café, dans la rue
Un homme qui vient d'acheter un paquet de Winston et un paquet de Gitanes déchire l'enveloppe de cristal (cellophane) du paquet de Winston.
Léger changement de luminosité
Des Japonais dans un car ; ils n'ont pas d'écouteurs ; l'hôtesse est japonaise
Tous les pigeons se posent sur le terre-plein.
Les feux passent au rouge (cela leur arrive souvent)
Des scouts (ce sont les mêmes) repassent devant l'église
Une deux-chevaux vert pomme immatriculée dans l'Eure-et-Loir (28)
Un car. Des Japonais.
Rassemblent de quelques individus devant Saint-Sulpice. J'entrevois en haut des marches un homme qui balaie (est-ce le bedeau ?). Je sais qu'il va y avoir un mariage (par deux consommateurs qui viennent de partir pour, justement, y assister). Une petite fille, encadrée par ses parents (ou par ses kidnappeurs) pleure
Un car (Globus) aux trois quarts vide.

Tentative d'épuisement d'un lieu parisien
Éditions Christian Bourgois - 50 pages