Intrigué, il tente d’apporter son aide à la jeune femme, puis, son devoir fait, poursuit sa route et finit par oublier cette étrange apparition, jusqu’à son arrivée chez M. Fairlie et sa rencontre avec ses deux jeunes élèves, Marian Halcombe et Laura Fairlie. En apercevant cette dernière, il se rend compte à sa grande stupeur qu’elle ressemble étrangement à la mystérieuse Dame en blanc…
Quel sera donc le destin de notre cher professeur de dessin, preux défenseur de ces dames ? Quel mystère entoure cette Dame en blanc aux paroles si étranges ? Que cachent Sir Percival Glyde et le Comte Fosco ?

J’ai voulu découvrir cet auteur sur les conseils d’une amie qui, connaissant mes goûts littéraires, était sûre qu’il me plairait…. Et elle n’avait pas tort car avec La Dame en Blanc, j’ai découvert un roman absolument époustouflant. Dès les premières pages, j’ai été conquise par le style, emballée par l’intrigue, fascinée par les personnages.

Il faut savoir que ce roman, écrit en 1859 et publié sous forme de roman en 1860, est considéré comme l’ancêtre des polars et romans policiers. Wilkie Collins a choisi une écriture à plusieurs voix pour sa narration, sur le principe d’un rapport d’enquête. Dès le début du roman, le lecteur est prévenu que ce qu’il va lire sont des témoignages « objectifs », le but étant de procéder à l’examen des faits par le biais de témoignages écrits et formels et non de ouï-dire. Le lecteur est donc comme mis à la place d’un juge, dont le devoir est d’écouter chacun sans préjugés. Il  se retrouve donc à lire les « minutes » d’un procès qui n’a pas eu (et n’aura jamais) lieu, des témoignages écrits par les différents protagonistes et rangés dans l’ordre chronologique des événements. Ce procédé d’écriture (qu’il reprend également dans Pierre de Lune, son autre roman phare) est assez inhabituel pour l’époque, assez novateur, et il permet au lecteur d’entrer dans la tête de tous les personnages, de voir les événements de leur point de vue, voire de se mettre à leur place. Au début, ce changement régulier de point de vue est assez déstabilisant mais on s’habitue très vite. Au final, je dois avouer que c’est un procédé assez ingénieux et extrêmement efficace.

Plusieurs témoignages donc, mais tous extrêmement différents les uns des autres, tant par leur nature (témoignage, journal intime, lettres, etc.) que par leur fiabilité (on a d’un côté les gentils et de l’autre les méchants) et par l’importance du protagoniste dans l’intrigue (personnage principal, personnage secondaire, témoin indirect, domestique, etc.). Et là où le roman devient réellement diabolique, à mon sens, c’est que le lecteur, à mesure qu’il prend connaissance de ces différents témoignages, peut recouper petit à petit les événements et percer à jour la vraie personnalité des protagonistes et par conséquent, savoir exactement et très rapidement qui sont les gentils et qui sont les méchants; quels sont les personnages fiables et quels ceux dont il faut se méfier. Il voit très clair au travers des différents témoignages des « méchants ». Et pourtant, il ne peut rien faire, ce malheureux lecteur, écœuré par tant de machiavélisme, par tant de sournoiserie (écœuré, mais fasciné en même temps par l’ingéniosité dont ils font preuve, ces méchants). Simple spectateur, il ne peut pas entrer dans le livre pour sortir les ignorants et les crédules de leur ignorance; leur dire d’ouvrir les yeux, de ne pas laisser ces manipulateurs parvenir à leurs fins. Diabolique, non ! J’ai manqué de hurler de frustration devant mon impuissance au moins une dizaine de fois… Tout en dévorant le roman tellement j’étais prise dans l’histoire !

Bon, il n’y a pas que l’intrigue qui est excellente : j’ai adoré les personnages du roman. J’ai trouvé qu’ils étaient très finement dessinés, même si les deux protagonistes principaux semblent un tout petit peu caricaturaux : Walter Hartright se pose en sauveur de ces dames et Laura Fairlie est fragile et charmante à souhait. Mais mon personnage préféré, c’est Marian Halcombe, une femme de peu de charmes mais pleine de passion, d'une intelligence et d'une vivacité remarquable, d’un modernisme et d’une énergie à couper le souffle, d’une volonté de fer ; c’est une femme qui s'évertue à protéger sa demi-sœur envers et contre tout et tous et qui refuse de se taire, malgré son statut de femme (on le sait, la femme n’avait pas grande valeur à l’époque et son opinion ne comptait pas le moins du monde)… Et son pendant, le comte Fosco, un homme retors et manipulateur, extrêmement cultivé et très amateur de pâtisseries, au génie à la fois fascinant et horripilant. Sans oublier M. Fairlie, un hypocondriaque aux nerfs fragiles… Et la mystérieuse Dame en blanc… Ces personnages, dépeints avec un réalisme saisissant et une finesse psychologique parfaite, permettent à l’auteur de dresser un portrait assez réaliste de la société bourgeoise victorienne, de dénoncer le poids des convenances et pose la question du statut de la femme à une époque où l’on en faisait bien peu cas.

Un petit mot quand même sur le style de l’auteur et la langue délicieusement surannée et désuète (normal, vous me direz, c’est un roman du 19è), mais en même temps vive et alerte. L’auteur fait preuve d’une grande virtuosité en passant d’un style à l’autre en fonction de la personnalité du témoin. Je suis toujours émerveillée par cette faculté qu’ont les écrivains à endosser différentes personnalités et à adopter la manière de parler qui correspond à cette personnalité. Dans ce roman, Wilkie Collins fait preuve, à mon sens, d’une extrême agilité avec les mots. N’oublions donc pas de complimenter au passage le traducteur (ou la traductrice, je ne sais pas), un(e) certain(e) L. Lenob, pour son excellent travail, car la traduction littéraire est déjà un exercice très difficile en soi et quand en plus la langue à traduire n’est plus utilisée, comme celle-ci, cela demande beaucoup de compétences et une connaissance très fine de la langue française ! Je tenais que soit rendu à César ce qui est à César…

Il est difficile de vraiment en parler sans trop en dévoiler sur l’intrigue. Comme vous l’avez compris, je me suis totalement laissée emportée par l’histoire, si diabolique, j’ai été conquise par les personnages, séduite par la langue. J’ai aimé ce roman, sans restriction, avec tout ce que j’ai dans le cœur et dans la tête. Ce fut mon premier coup de cœur de l'année. Je ne peux vraiment que recommander ce chef d'œuvre qui n'est à mon avis pas assez connu et admiré à sa juste valeur. Un roman à déguster enfoui(e) dans un confortable fauteuil, avec une grande thermos de thé à portée de main… et prévenez votre entourage que ce n’est pas la peine d’essayer de vous joindre pendant une semaine (ou moins, pour les lecteurs rapides, le roman fait 600 pages), parce que tout contact avec le monde extérieur sera autant de temps que vous ne passerez pas à lire. Et croyez-moi, je n’ai jamais été aussi asociale que la semaine où j’ai lu ce livre !

Du même auteur : Armadale

Pimpi


Je ne partagerai pas l'enthousiasme de Pimpi pour ce roman, comme elle s'en doute. À ma décharge je citerai Souchon "Moi l'amour 1830, pathétique et romantique, je trouvais ça démodé...". N'étant pas très 19e, donc, j'ai eu du mal dans ce récit avec... l'aspect 19e. Je t'aime pour la vie donc j'enferme une mèche de mes cheveux avec un cahier à dessin dans un tiroir à clé. En tant qu'anti-romantique qui s'assume, ce n'est pas trop pour moi. Ajoutons qu'en tant que fan des courts romans, 600 pages, ça fait beaucoup  !

Cela dit, je reconnais tout à fait l'aspect novateur de la narration sous plusieurs points de vue, ainsi que la force d'évocation de certains personnages assez originaux. Comme Pimpi, j'ai aimé surtout le personnage de Marian Halcombe: forte, généreuse et intelligente. Je le conseillerais sans hésitation à tous ceux et celles qui aiment le genre.

Par Catherine
le 03 janvier 2009

Extrait :

Je me retournais vivement, les doigts crispés sur le pommeau de ma canne.
Là, derrière moi, au milieu de la nuit, se tenait une femme, sortie de terre comme par miracle ou bien tombée du ciel. Elle était tout de blanc vêtue et, le visage tendu vers moi d’un air interrogateur et anxieux, elle me montrait de la main la direction de Londres. J’étais bien trop surpris de cette soudaine et étrange apparition pour songer à lui demander ce qu’elle désirait. C’est elle qui parla la première.
Est-ce la route de Londres ?
Je la regardai avec attention, étonné de sa singulière question. Il était alors près d’une heure. Je distinguai au clair de lune un visage jeune, pâle, maigre, fatigué ; de grands yeux au regard grave, des lèvres frémissantes et des cheveux d’un brun doré. Il n’y avait rien de vulgaire ni de grossier dans ses manières ; elle était calme et semblait pleinement maîtresse d’elle-même. Quelque chose en elle évoquait la mélancolie, une certaine méfiance peut-être. Sans avoir l’attitude d’une lady, elle n’avait rien d’une femme de basse extraction. La voix, pour le peu de paroles que j’avais entendues, m’avait parue curieusement éteinte et mécanique, malgré une élocution rapide. Elle tenait à la main un petit sac, et ses vêtements, d’après ce que je pus en juger, n’étaient pas luxueux. Elle était mince, et de taille plutôt supérieure à la moyenne. Sa démarche et ses gestes étaient tout à fait normaux. Ce fut tout ce dont je pus me rendre compte dans la demi-obscurité et dans l’étonnement où me plongeait presque jusqu’à l’étourdissement cette rencontre inattendue, bizarre. Quelle sorte de femme était-ce ? Et comment se trouvait-elle seule, sur la grand-route, en pleine nuit ? J’étais incapable de le deviner. J’étais certain d’une seule chose : l’homme le moins pénétrant ne se serait pas trompé sur le sens de ses paroles, même à cette heure suspecte et en ce lieu désert.

La dame en blanc
Éditions du Phebus - 554 pages
Traduit de l’anglais par L. Lenob