Cette vie elle parle d’un frère mort prématurément (peut-être trop peu présent dans le récit), de la Deuxième guerre mondiale, de cette femme, Mary, qu’il aura tant aimé, de son meilleur ami Dan, de la vie universitaire, des erreurs et des bons coups. Cette vie parle aussi de maintenant : de la nouvelle cellule familiale autour de la fille Agnes, son gendre Jacques, son petit-fils François et de la maladie de sa sœur Ruth-Ann. Elle parle d’un peu de tout, et en filigrane elle parle de la minorité anglophone au Québec. Sans être un ouvrage foncièrement politique, cette question des deux solitudes linguistiques du Québec est présente en tout temps.

Voici un livre bien écrit, bien maîtrisé. Pendant la première moitié du livre, j’ai attendu une intrigue qui ne vient jamais vraiment, mais qui explose finalement vers la fin de l’ouvrage. Malgré cette absence d’intrigue pendant de longues pages, la lecture coule comme si nous lisions un journal réel, un journal d’un homme ordinaire mais qui a vécu une part du siècle à Montréal, un homme rarement attachant mais dont l’humanité finit tout de même par émaner. Les personnages sont crédibles, comme tout le temps chez Neil Bissoondath, et la psychologie des rapports humains y est à la fois dense et juste, entre autres en ce qui concerne les relations père et fille.

Je crois pourtant avoir préféré le livre La clameur des ténèbres déjà commenté de cet auteur : le thème me rejoignait davantage et le propos me semblait plus percutant. Ici l’essence sociologique et politique du livre explose dans les dix dernières pages sans toujours laisser l’espace et le recul pour bien y adhérer.

Du même auteur : La clameur des ténèbres, Tous ces mondes en elle

Par Catherine

Extrait :

J’avais l’habitude de dire à mes étudiants – ceux du premier cycle, s’entend – que leurs dissertations devaient aller du général au particulier. Curieusement, le particulier, c’est-à-dire moi, est à peu près tout ce qu’il me reste aujourd’hui; pour ce qui est du général, je dois aller à sa recherche.

Outre le pyjama que j’avais sur le dos quand on m’a sorti du duplex, je ne porte plus que des vêtements neufs. Pour un homme de mon âge - «avancé» est le terme poli -, m’y habituer n’est pas une mince affaire. Je dois m’adapter à une nouvelle peau après avoir mis des décennies à me faire à l’ancienne. Même ma canne est toute neuve, un bout de teck sculpté et poli qu’Agnes a choisi dans l’échoppe d’un brocanteur de Québec. C’est un peu comme si le nouveau membre qu’on m’a greffé refusait de prendre tout à fait. Je ne vois pas de meilleure comparaison.

Quant à mon pyjama de coton décoloré, ses fibres sont désormais imprégnées d’une odeur de fumée. Rien n’y a fait, ni les lavages à répétition ni les assouplisseurs parfumés. Agnes a voulu me convaincre de m’en défaire, mais j’ai résisté en y mettant, par moments, la véhémence d’un enfant. J’ai même fermé mon appareil pendant qu’elle me parlait, ce qui équivaut à raccrocher au nez de son interlocuteur, mais en plus grossier puisque je l’avais en face de moi.


Éditions Folio - 386 pages