Avec Les femmes au bain, on entre dans l’intimité des femmes, là où elles conservent un minimum de liberté, cet univers clos du hammam, où elles peuvent parler sans surveillance.

Les femmes au bain parlent de leur vie, de leurs espoirs, de leurs amours, du désir et des plaisirs à vivre. Quelle soit une toute jeune mariée ou une plus vieille qui a déjà tout vécu, elles chantent toutes l’Aimé, l’Etranger de sang, l’amant magnifique, celui qui les aime pour elles.
Mais l’Etranger de sang est en prison. Les frères de la Bien-aimée ont porté plainte contre lui pour viol, pour préserver l’honneur de la tribu.

Le hammam est aussi le lieu où les nouvelles s’échangent. Tenues à l'écart de la vie sociale, pour ne pas dire séquestrées – enfin si, disons-le car parfois, c’est bien le cas - elles s'échangent les rumeurs, les informations sur le monde extérieur. « Si elles ne sont pas admises à ces jours, à ces nuits de joie, toujours l'une d'elles, discrète a vu, toujours une domestique raconte au bain où se mélangent les femmes du palais et les femmes du peuple ».

En ce lieu, elles peuvent parler, exprimer leurs rêves, leurs envies, résister à l’arbitraire des hommes, aux mariages arrangés, évacuer la fatigue d’une vie sans espoir.

Je voudrais la lumière, l'impertinence, non pas cette violence qui nous détruit, et nos vies se passent dans l'ennui, la résignation, sans amour. Je ne suis pas de la tribu des femmes qui obéissent. (...) Ces hommes-là ont interdit les bains, douceur et volupté, les femmes doivent souffrir depuis la naissance jusqu'à la mort, non pas au service de dieu, au service des hommes, père, frères, mari... (...) Et la longue robe disgracieuse, empruntée à quel pays du Machrek ou du Maghreb, imposée avec le déferlement religieux, au nom d'un dieu que je ne reconnais pas, il a brûlé les âmes, arrêté les mots et les vers, décapité les corps des résistants et des résistantes, éventré, égorgé. Ces années ont tari les sources du pays, asséché les fontaines, détruit l'intelligence et la beauté

On retrouve des thèmes chers à l'auteur comme l'exil, le choc des cultures, la lutte des femmes... L'usage du langage oral, parfois âpre, râpeux, sec comme la terre des Hauts Plateaux, ce qui ne pas dire sans émotions, sans sans sensualité, l'utilisation d'un certain flou temporel. Aucune date n’est précisée, sauf peut être par des allusions éparses. Mais est-ce bien nécessaire de dater cette lutte de tout temps et toujours si actuelle, surtout en ces temps où le religieux assombrit tout.

Un beau roman, singulier, qui, une fois que l'on a lu vous accompagne encore. Un roman qui lors d’un trajet en bus, créera un lien, provoquera la discussion sur le sujet, sur la langue utilisée, sur l’auteur elle-même, avec une autre passagère. Un de ces livres qui crée des liens invisibles, fragiles, précieux.

Cet ouvrage est comme une ode sur les femmes, offerte aux femmes, à donner à lire au plus grand nombre.

Du même auteur : Fatima ou les Algériennes au square, Le ravin de la femme sauvage, Le vagabond, Louisa & La blanche et la noire

Dédale

Extrait :

Les rêveries des femmes dans la chambre et la cour carrelée où s'épluchent sur le sol encore frais les fruits et légumes à profusion. Les semoules humides dans les grands plats serrés entre les cuisses. Les sucreries des jours de fête, les eaux de rose, fleur d’oranger, géranium. Ces gestes des femmes, les hommes ne s’y attardent pas. Mais s’ils disparaissaient ? Si les femmes quittaient la maison, la chambre et la cour, abandonnant les mots et les rires frivoles pour l’étude austère dans les voiles noirs de la rue, de la vie publique, pour le bureau, les écritures de l’administration et de l’entreprise, pour les salles de classe où attendent les enfants, écoliers et écolières, pour le dispensaire et l’hôpital ? Partout où les gestes de la maison se perdront, plus de caresse avec l’histoire légendaire du soir, trop de fatigue. Plus de gourmandises sucrées, salées, trop de temps pour aller de l’œuf au gâteau, du poivron rouge à la frita, piment et tomate grillées, oignons frits. Et aujourd’hui plus de petites bonnes en nombre, à peine une pauvre femme pour le ménage, et pas toujours les jours, trop cher, le droit du travail….
Les hommes seraient perdus, en déshérence. Les femmes dispersées dans la ville, où les trouver pour l’enfance, pour l’amour, où ? Les maisons de plaisir ont disparu et les cafés chantant on les a fermés. Dans des cabarets pauvres pour les pauvres, des villas au milieu des pins, les terrasses sur la mer, les chiens de garde sont des molosses, pour les riches. Les femmes qu’on achète, les belles et les moins belles, les jeunes et les moins jeunes, sont au secret. Réservées.

Les femmes au bain
Éditions Bleu autour - Collection « d'un lieu l'autre » - 85 pages