Le recueil commence donc avec cette fameuse Boîte noire... et mon instinct ne m'avait pas trompée. Le texte de Tonino Bencquista est très en-dessous de l'adaptation cinématographique. Pour tout dire, le récit paraît ici assez pauvre et inabouti. Disons qu'il y a l'idée de départ... Richard Berry et Éric Assous ont fait un magnifique travail sur le scénario. Là où Tonino Benacquista propose une ébauche d'intrigue, les deux scénaristes ont réussi à créer un univers et à donner la matière nécessaire à un bon polar. Le film est bien plus intéressant et complexe. La nouvelle ne fait d'ailleurs que quelques pages (26 pour être précise) et ne parvient pas à réellement décoller. Je crois que c'est bien la première fois que j'adhère plus au film qu'au récit écrit.

Malheureusement, tout le reste du recueil est à l'avenant : Tonino Benacquista a de bonnes idées, mais à chaque fois, on finit la nouvelle avec une désagréable sensation d'inachevé. C'est d'ailleurs extrêmement frustrant. En entrant dans le récit, on se dit que l'idée est excellente; que l'auteur, avec un tel sujet, va nous surprendre; et puis l'histoire tourne rapidement en eau de boudin...

Moi qui apprécie beaucoup le genre de la nouvelle, j'ai été très déçue par ce recueil. Mais il est vrai que la nouvelle est un exercice périlleux : difficile de créer un univers, de proposer une intrigue qui ait de la matière, une fin cohérente et étonnante, le tout en quelques pages seulement. Il faut pour cela une grande maîtrise de l'écriture. Tout à L'ego reste pour moi un brouillon, une liste de propositions à développer et travailler.

Voir aussi l'avis de Thom.

Du même auteur : Quelqu'un d'autre

Laurence

Extrait :

Le 17 juillet 1994 entre 22 et 23 heures

Vous savez, vous, ce que vous faisiez le 17 juillet 1994 entre 22 et 23 heures ? Non ? Moi non plus. Personne ne le sait.
- Il m'a fallu des années pour remonter jusqu'à toi, c'est dire si j'ai de la patience à revendre. Je n'en suis plus à une nuit près et je ne sortirai de ce bureau qu'avec tes aveux signés !
Pas la peine de hausser le ton, inspecteur. Cela fait partie de vos méthodes et de vos privilèges, je sais, mais ça m'empêche de réfléchir. Si vous aboyez, comment voulez-vous que je fouille dans mes souvenirs ? Seul le coupable sait ce qu'il faisait le 17 juillet 1994 entre 22 et 23 heures. L'innocent l'a oublié depuis longtemps. Surtout si on lui pose la question.
- On y mettra le temps qu'il faudra, mais tu parleras.
Si le soir du 17 juillet 1994 j'avais tué un type, je m'en souviendrais. Ces choses-là marquent. Le 17 juillet 1994 entre 22 et 23 heures, je n'ai tué personne. De nos jours, l'erreur judiciaire a quelque chose de désuet. De honteux, presque. L'innocent que je suis pensait que la police avait fait des progrès, depuis le temps. Comme la médecine. À l"heure où l'on guérit deux cancers sur trois, on est en droit d'espérer que la police est capable de dépister deux innocents sur trois suspects. Le problème, c'est que pour l'instant votre seul suspect, c'est moi. Et je ne sais pas ce que je faisait le 17 juillet 1994 entre 22 et 23 heures.

Tout à l'ego
Éditions Folio - 187 pages