Mais surtout, cet homme a vécu sa vieillesse comme une lente déchéance, et un combat contre la maladie, qui l’a forcé à passer sur le billard tous les ans ces dernières années. Et la mort, qui l’a entouré toute sa vie, finit par s’abattre lentement sur lui.

Le héros de Philip Roth est un anonyme. A aucun moment on ne connaît son nom ni son prénom, même si sa vie et sa famille sont exposées de manière très détaillée. Le fait de ne pas connaître le principal protagoniste de ce roman provoque un effet de détachement qui en rend la lecture troublante. En effet, à plusieurs moments, la voix utilisée, celle d’un narrateur omniscient, est semblable à celle du héros inconnu. Et la narration, qui mêle éléments passés et présents, qui navigue entre différents ages du héros, crée une impression de flou, alors que le roman tourne autour du même personnage principal.

Mais au final, la construction du roman fait apparaître une réelle unité : celle d’un homme, qui a vécu sa vie de manière insouciante, et qui en fin de vie doit combattre la maladie. Ce livre n’est pas tant un livre sur la mort, même si elle ouvre le roman, qu’un livre sur la vieillesse, la maladie et la déchéance. Ceci est notamment sensible lorsque le narrateur présente la vie du héros dans les pavillons réservés aux personnes âgées. On y sent toute la détresse du personnage principal, qui voudrait retrouver sa jeunesse mais qui sait pertinemment qu’elle est inaccessible. Et qui est confronté à la déchéance de ses compagnons.

Philip Roth, éternel nobélisable, signe un livre très émouvant, où la sensibilité affleure à tout moment. Et il ne s’éloigne pas non plus de manière radicale de ses livres précédents, dans lesquels  l’histoire des Etats-Unis tient une grande place. Les passages où il décrit le travail de bijoutier de son père m’ont fait penser à ceux qui décrivent le travail du cuir dans Pastorale Américaine.

Un grand livre donc que cet opus sur la maladie et la vieillesse, émouvant sans être dramatique. Et c’est là que réside la force de Philip Roth.

L’avis de Laiezza et celui de Thom, qui a découvert le titre de ce roman qui a fait l’objet de la dernière énigme.

Du même auteur : Le complot contre l'Amérique, Le rabaissement

Par Yohan

Extrait :

Quand il avait fui New York, il avait élu domicile sur la côte parce qu’il avait toujours adoré nager dans les rouleaux et braver les vagues, et puis parce que cette partie du littoral était associée pour lui à une enfance heureuse ; en outre, même si Nancy ne venait pas vivre auprès de lui, il ne serait qu’à une heure de chez elle ; enfin, vivre dans un environnement relaxant et confortable ne pouvait qu’être bon pour sa santé. Il n’avait pas d’autre femme que sa fille dans sa vie. Le matin, avant de partir au travail, elle ne manquait jamais de l’appeler ; mais par ailleurs, son téléphone sonnait peu. L’affection des fils qu’il avait eus en premières noces, il avait cessé de la rechercher ; il n’avait jamais bien agi envers eux, ni envers leur mère, et, pour résister à leurs sempiternels griefs et à leur version du roman familial, il aurait fallu une combativité qu’il n’avait plus dans son arsenal. Une combativité qui avait fait place à une immense tristesse. S’il cédait, certaines longues soirées de solitude, à la tentation de les appeler, l’un ou l’autre, il en ressortait plus triste encore, et défait.


Éditions Gallimard - 153 pages