Il m’est impossible de résumer cette histoire quelque part entre rêve et surréalisme. Il y a les deux jumeaux évoqués précédemment, il y a la narratrice, il y a sa grand-mère Célia, la grand-mère berbère, et sa cousine Célia en deuil. Et il y a la dentiste. Et il y a la petite Magdalène. Et il y a Doña à qui s’adresse tout ça.

Mais est-ce vraiment important cette histoire ? Ceux qui aiment les récits narratifs dans la plus stricte expression du terme seront nécessairement déçus. Ceux qui aiment la poésie ne le seront pas. J’ai adoré ce livre dont l’atmosphère onirique m’a complètement happée pendant des pages et des minutes et encore des pages et des minutes. Chaque phrase existe en elle-même avant de devenir avec ses sœurs moins un récit qu’une mélopée. Ou une prière peut-être ? Ce livre serait un mantra que cela ne m’étonnerait pas.

Alors de quoi ça parle. D’art : «L’art, c’est mordre dans l’éphémère.» Ça parle de littérature : «Il paraît qu’on écrit toujours au présent, même ce qu’on a déjà écrit.» Ça parle de sentiments : «Il y a des jours, des fois, on est dans le désespoir d’être. Et puis des jours, des fois, le bonheur sauvage d’être.» Ça parle des relations inter-générationnelles : «Il n'y a jamais rien qu'on puisse faire face à la douleur des vieux parce qu'on ne peut même pas les appeler bébé. Ou leur dire le temps qui passe. Ils le savent déjà, eux, que ça ne passe pas.» Ça parle d’exil : «Immigrant ça veut dire touriste. Pour un peu plus que la vie entière.» Ça parle d’amour aussi bien sûr : «Il y a quelque chose d’une catastrophe naturelle dans les yeux de l’amour blessé.» Et ça parle de peau…

Bien entendu, il y a aura des pas à faire. Peut-être le prochain sera plus accessible, moins touffu quitte à se perdre. Mais comme j’ai aimé ce livre ! De cet amour un peu triste parce qu’on sait qu’il ne sera pas toujours facile à partager.

Par Catherine

La Recrue du mois est une initiative collective qui met en vedette le premier ouvrage d’un auteur québécois. Pour lire les autres commentaires sur ce livre vous pouvez donc vous rendre sur le site de La recrue du mois

Extrait :

Ce doute qu’il voit dans tes yeux, parfois, quand il te dit : je t’aime, quand il t’inonde de sa tendresse, pour te faire taire, parce que tu ne parles pas, justement, pour que tes lèvres se mordent. Quelque part, tu sais déjà qu’il t’aime, dans toutes les langues et dans la tienne. Te quiero, Doña, te quiero mucho. Il te le dit jusqu’à plus soif, jusqu’à se saturer de mots. Tu sais, oui, mais tu restes une peau. Tu fourmilles, tu écoutes, ta bouche se pose sur ses artères, le sang qui bat fort sous tes lèvres, maintenant, c’est toi tout contre lui. Serrée contre son corps, ton corps corde tendue jusqu’à la déchirure, et chaque particule de ta peau qui aspire son odeur sous ta main qui abrite son épaule. Caresse, du bout des doigts, dessine sa force et ta tête sur son autre épaule. Voudrait mordre, goûter. Sourit. Tu la secoues, ta tête, sans bruit ; tu as enlevé tes boucles, pas celles d’après : corail et argent peint, que tu as reçues en colis, à l’hôpital, c’est pour toi, Doña, des boucles qui font du bruit. Qui tintent.

Ce n’est pas vraiment de la tristesse, de la colère. Ce n’est même plus de l’exaspération. Ce n’est même plus le doute. C’est le froid qui s’installe, après. Tu grelottes. Les couvertures, aussi, sont des arrache-cœur.

De cœur, de corps, de collisions.

La peau des doigts
Éditions XYZ - 102 pages