Plusieurs mois après avoir lu ce livre, je ne sais toujours pas comment me positionner par rapport à lui. Je n’arrive pas à me décider. Je suis partagée. J’ai aimé l’histoire, l’intrigue, les personnages, mais la forme du récit m’a beaucoup dérangée.
Ce roman est un récit raconté à la première personne, par une jeune étudiante, Bleue Van Meere. Bleue raconte dans le prologue que ce récit est nécessaire pour exorciser les démons qui la hantent, qu’elle a besoin de raconter ce qui s’est réellement passé quelques années auparavant, quand elle était adolescente. Une accroche efficace, qui capte tout de suite l’attention du lecteur. On sent qu’on va se retrouver face à un mystère, on anticipe des révélations, on se dit que le roman va être passionnant. Bleue est sortie plus ou moins indemne de cette histoire, on s’en doute puisqu’elle écrit son témoignage des années après les événements, mais que s’est-il passé ? Intriguée, je n’ai pu résister à l’envie de tourner la page et de découvrir la mystérieuse histoire de Bleue. Sauf qu’après ce début prometteur, il nous faut traverser un désert d’au moins 250 pages avant de voir quelque chose se passer… oui, vous avez bien lu, 250 pages. J’ai failli me décourager à plusieurs reprises mais j’ai décidé de persévérer et grand bien m’en a pris car après avoir joué avec la patience du lecteur pendant tout ce temps, Marisha Pessl nous offre ensuite une aventure assez passionnante où se mêlent des meurtres, des complots, des secrets. Les personnages, étranges, tous aussi atypiques les uns que les autres, sont attachants et très complexes. On voyage beaucoup avec ce roman, sur les traces de Bleue et de son père. Ce qui est dommage, c’est qu’avant de pouvoir profiter de l’histoire, il faut prouver qu’on en est digne et passer au travers de toute cette non-action dans laquelle Bleue décrit son quotidien, où elle montre à quel point son père est merveilleux, intelligent et passionnant. Et ça, c’est un tour de force. Le lecteur a la sensation de piétiner, de ne pas avancer. Je déteste ce sentiment. J’aime sentir qu’on va quelque part, que le récit fait avancer les choses mais là, le début est vraiment très lent. Et cette impression de lenteur est renforcée par le style qu’a choisi Marisha Pessl. On arrive là au cœur de ce qui m’a le plus dérangée dans le roman, à savoir la forme. Le récit est truffé de références en tout genre à des propos soi-disant tenus par des personnalités célèbres (ayant ou non existé) et de citations tirées de romans (ayant ou non été réellement publiés), qui viennent freiner la lecture et qui, au final, n’apportent pas grand-chose au récit. On a plutôt l’impression d’un étalage de connaissances. Bleue semble ne pas être capable de réfléchir par elle-même, elle doit toujours appuyer tous ses propos avec une référence ou une citation, comme si elle avait besoin de les justifier d’une manière ou d’une autre. Pour ne rien arranger, j’ai trouvé qu’il y avait trop de passages descriptifs et pas assez de dialogues, et cette manie de mettre des majuscules partout (du moins dans la version anglaise, Marisha Pessl accentue au maximum cette tendance de la langue anglaise à mettre des majuscules aux noms communs, un peu à tort et à travers) m’a vraiment beaucoup gênée et pas mal freinée dans ma lecture.
A côté des défauts que j’ai trouvés au roman, il faut quand même reconnaître qu’il y a des points positifs : par exemple, Marisha Pessl a eu l’excellente idée de donner à chaque chapitre le titre d’une œuvre majeure de la littérature, classique ou contemporaine. J’ai trouvé cela amusant, comme une sorte de défi lancé au lecteur pour qu’il retrouve les similitudes entre le récit de Bleue et l’œuvre en question. J’ai bien entendu essayé de relever ce défi à chaque chapitre (avec plus ou moins de succès, il faut l’avouer, car à ma grande déception, je n’ai pas toujours vu le rapport entre le titre et l’histoire). Et puis, je ne peux pas ne pas parler de l’excellent discours de Bleue à la cérémonie de remise des diplômes, dans lequel elle parle du poisson rouge qui, parce qu’il a une mémoire très courte, passe sa vie à redécouvrir les merveilles du monde…
Par certains côtés, c’est un roman qui m’a beaucoup fait penser au roman de Donna Tartt, Le Maître des illusions : une jeune fille très douée intègre un collège très prisé, où elle se voit acceptée par une bande de copains, tous assez étranges, il faut bien le dire. Son « mentor » est un professeur émérite, qui fait l’admiration de tous. Il y a une histoire de meurtre, des secrets. Ces similitudes entre La Physique des catastrophes et Le Maître des illusions n’étaient pas pour me déplaire, même si je n’ai pas pu me défaire d’un certain sentiment de déjà-vu.
En conclusion, je pense que je vais devoir relire ce roman, pour me faire une seconde opinion en ayant déjà l’histoire en tête. Une amie m’a dit un jour qu’il y avait un temps pour chaque roman et je pense que le temps de ce roman n’était pas encore venu pour moi. Je n’ai pas pu l’apprécier réellement et c’est dommage. A chaque fois qu’un élément me plaisait, il y avait un point négatif qui venait atténuer le plaisir de la lecture. Mais je recommande quand même à chacun de le lire pour se faire sa propre opinion, car ce roman a fait couler beaucoup d’encre et a quand même rallié beaucoup de lecteurs.
Pimpi
Extrait :
Nous étions au rayon surgelés de Fat Kat Foods quand je vis Hannah Schneider pour la première fois, deux jours après mon arrivée à Stockton.
J'attendais près du caddie que Papa choisisse un parfum de glace.
« 'La plus grande contribution de l'Amérique au monde n'a pas été Elvis, ni même l'observation assez fine que les hommes préfèrent les blondes, mais la perfection atteinte en matière de crèmes glacées. » Papa adorait faire des commentaires.
Éditions Gallimard - 624 pages
Commentaires
mercredi 18 juin 2008 à 07h42
J'avais vraiment très envie de lire ce roman quand il est sorti en France; mais mes finances et et mon emploi du temps ont fait que cela ne s'est pas encore concrétisé. À lire ton billet, je me dis que finalement ce n'est pas plus mal : peut-être est-ce un roman qui se prête plus à des périodes de vacances, quand le temps se dilate. Alors, qui sait, cet été peut-être...
mercredi 18 juin 2008 à 15h41
Il me tente toujours ce roman, mais un peu comme Laurence, j'avais très envie de le lire à sa sortie et je ne l'ai toujours pas fait.
Je l'emprunterai, probablement, de peur d'être un peu déçue...
mercredi 18 juin 2008 à 16h33
C'est drôle, j'ai ressenti exactement la même chose que vous : je suis incapable de dire si j'ai aimé ce livre ou pas, il m'a surprise, intriguée et me laisse une impression assez floue. Mais c'est amusant : ce qui m'a dérangée, ce ne sont pas du tout les mêmes choses que vous ! J'ai adoré la kyrielle de références improbables, les commentaires sur tout et n'importe quoi, la créativité exubérante du style, bref, j'avoue que j'avais la sensation de trouver une grande soeur américaine, et cela me réjouissait. Ce qui m'a gênée, c'est cette fin en queue de poisson, où rien ou presque n'a été résolu, où nombre d'événements marquants restent inexplicables, bref, je me suis dit qu'après 600 pages de lecture religieusement fidèle, j'avais au moins le droit de savoir ce qui s'était passé.
Bref, je crois que j'ai aimé ce livre, et pourtant je l'ai déconseillé à ma mère, sûre qu'il l'exaspérerait.
Peut-être que les oeuvres vraiment nouvelles provoquent toujours un tel sentiment d'étrangeté ?
mercredi 18 juin 2008 à 20h15
Laurence et Allie : tentez-le quand même, je pense que ce livre entre dans la catégorie des livres qui peuvent être perçus complètement différemment selon la personne qui le lit, alors je ne peux ni le conseiller, ni le déconseiller. Je pense que chacun doit se faire sa propre opinion. Je peux tout à fait comprendre que de nombreuses personnes aient aimé. Moi-même, je pense que j'aurais aimé à un autre moment.... bref, tout ce que je peux vous dire à toutes les deux, c'est de vous faire votre propre opinion. Vous avez déjà la mienne !!!
Ariane : je vous remercie de partager votre point de vue avec nous. On peut effectivement se demander si les styles nouveaux provoquent réellement ce sentiment d'étrangeté... une remarque assez juste, car j'ai eu la même impression avec le roman de Jonathan Safran Foer, Extrêment près et incroyablement fort. Je ne sais pas si j'ai aimé ou pas, il m'a laissé une impression ambigue, notamment par la forme du récit... Je dois avouer que j'avais eu envie de lire le roman de Marisha Pessl pour ce qui au final m'a déplu, toutes les références!! Dommage, mais je ne baisse pas les bras, je le relirai, pour être sûre!
mercredi 18 juin 2008 à 21h04
Ce livre est dans ma PAL depuis sa sortie en France. Quand j'ai vu que les chapitres avaient pour titre des noms de classiques, constatant que certains d'entre eux étaient aussi dans ma PAL, j'ai voulu les lire avant de commencer ce roman... Je vais essayer de m'y mettre rapidement.
mercredi 18 juin 2008 à 23h09
Joël: n'hésite pas à nous tenir au courant de tes impressions de lecture, je suis curieuse de savoir ce que tu en penses!
mercredi 18 juin 2008 à 23h15
Je suis en communion spirituelle avec vous, Pimpi : j'allais faire la même remarque sur Safran Foer
Mais je n'ai pas lu Extrêmement près et incroyablement fort : c'est Tout est illuminé qui a causé cette réaction. J'avoue ne pas avoir réussi à le lire "linéairement" : je l'ai lu de manière totalement décousue, volant de chapitre en chapitre, revenant en arrière, ouvrant au hasard... Comme j'avais un mal fou à identifier une intrigue, cela ne me paraissait pas très grave. J'aimais l'originalité radicale et l'exubérance du style, mais elles me fatiguaient en même temps, et m'empêchaient de lire le roman... comme un roman, en respectant l'ordre prescrit et se montrant soucieuse de la progression du récit.
Je suis très impatiente de voir ce que Marisha Pessl va écrire maintenant. J'ai du mal à imaginer quel genre de livre pourra succéder à celui-ci. Je guetterai !
(Je sais, je le dis à chaque fois que je viens ici ou presque, mais cela mérite d'être répété pour la ixième fois : bravo pour la qualité de ce blog. Il est d'une richesse et d'une élégance vraiment appréciables. :))
jeudi 19 juin 2008 à 11h52
J'attends avec impatience la sortie en poche de ce roman... J'ai vraiment été passionné par Le livre des illusions, je vous dirai l'effet produit par celui-ci !
jeudi 19 juin 2008 à 11h54
PS : Ariane, je te conseille vivement Extrêmement fort et incroyablement près. Depuis cette lecture, je suis intimement convaincue que Safran Foer est un génie !
jeudi 19 juin 2008 à 13h35
Céline : nous serons tous enchantés de savoir ce que tu as pensé de ce roman ! Tiens-nous au courant surtout ! Je note aussi la référence que tu donnes, si je tombe dessus un jour, je verrai si je le tente !
mercredi 2 juillet 2008 à 17h02
Tout comme vous je ne sais pas vraiment si j'ai "aimé" ce livre. Le début a été un peu laborieux, intéressant mais un peu long.
Personnellement les multiples références n'ont pas spécialement gêné ma lecture, c'est incroyable de voir à quel point la culture littéraire et cinématographique de l'auteur est importante, j'ai été bluffée.
Et au final je pense aussi que le lecteur est récompensé par son opiniâtreté, son obstination à ne pas lâcher le livre sur les premières centaines de pages. J'ai été bouleversée par la fin du roman, j'ai eu des doutes à propos de la place réelle de certains personnages (comme son père) et je pense sincèrement qu'il n'est pas difficile de reconnaitre le meurtrier d'Hannah.
lundi 7 juillet 2008 à 00h46
Je viens de finir ce livre. Je lis parfois en anglais, mais il faut des circonstances particulières pour me motiver suffisamment pour le faire. Je l'ai donc lu en français et ne l'ai vraiment pas aimé. Comme Pimpi, j'ai été ennuyé par ces références explicites à ces œuvres ayant ou non existé (le style étant déjà passablement alambiqué par ailleurs). L'histoire avance trop lentement. Le rythme ne s'accélère pas avant la dernière centaine de pages, et au moment des révélations, on se sent un peu berné.
lundi 17 août 2009 à 15h20
Je tombe ici par hasard, plus d'un an après : j'ai lu le livre que dernièrement. Et je suis particulièrement étonnée des commentaires laissés ici, car pour ma part : j'ai ADORE !
En fait, tout ce qui vous a déplu dans le livre représente justement, ce qui m'a plu et, il me semble, ce qui fait sa force et illustre le génie de l'auteur.
Je m'explique.
Comme dans toutes œuvres magnifiques, la forme doit se justifier par rapport au fond. Sinon, c'est de l'écrit, pas de la littérature. N'est-ce pas ? La forme ici, c'est cet exposé de 700 pages, référencé, indexé et illustré.
Le fond, maintenant : le père de Bleue (tant aimé) est un universitaire. Dès le début du livre il lui dit à peu près ceci (je cite de mémoire) "il faut que tu écrives du sérieux avec des références et des exemples bien choisis sinon il y aura toujours un imbécile au fond de la classe qui agitera ses bras telles des nageoires pour te dire "mais non ce n'est pas ça monsieur, vous n'avez rien compris "" Plus loin dans le récit, il lui suggère même le titre de physique des catastrophes. Voilà pourquoi son "exposé" doit être impeccable si elle veut être prise au sérieux.
De toute façon, le personnage a un père si particulier que si l'auteur avait choisi une forme de récit totalement différente cela aurait été une faute ou, du moins, un livre fort banal !
En effet, que peut écrire Bleue avec un père pareil ?! Logique, non ?
D'où les références (et quelles références ! Sachant que l'auteur n'a que 27 ans à l'époque, qui peut se vanter d'en savoir autant ? ) et la construction de l'ouvrage en dissertation (le sommaire regroupant l'intitulé des chapitres est en fait une "liste lectures obligatoires" tel un devoir). N'oublions pas aussi qu'elle se destine à l'élite : Harvard.
Et au final pour quoi faire ? Que dénonce-t-elle ? Voir la "morale" de l'histoire (juste avant le QCM) je ne vous la livre pas ici, pour laisser un peu de suspens à ceux qui ne l'ont pas lu.
Quant au rythme et au côté polar qui survient qu'à la page 600, il se justifie par ce que dénonce justement l'auteur. Et donne aussi ce coté si réaliste, suivant la chronologie des évènements.
Quelle ambition, ce n'est pas courant tout de même, il faut le reconnaitre ! Quant à la fin, elle est pourtant bien expliquée, enfin, l'auteur donne de sérieuses réponses avec ce QCM improbable. Ça aussi, c'est peu banal ! non ?
Pour moi, c'est LE livre de mon année (2009, désolée pour le retard !) D'ailleurs, une fois fini, j'ai vite recommencé dès le début (si on suit la chronologie, le début arrive après le dernier chapitre !)
lundi 21 septembre 2009 à 14h24
je suis tombée sur votre critique par hasard, je suis en train de lire le livre, je suis encore dans la première partie et je trouve le style fabuleux, je suis littéralement prise avec Bleue et ses métaphores, ses analogies, ses références, ce style est juste succulent! (je me rends compte que je rejoins l'avis juste au dessus du mien)
mardi 12 janvier 2010 à 21h48
Je viens de terminer ce roman et je voudrais partager également mon enthousiasme avec Marie et Labeille sur l’originalité de sa construction, son ton humoristique.
J’ai eu aussi l’impression de trouver une petite soeur américaine avec son personnage d'anti-héroine, Bleue, qui, même bardée de connaissances et des avis sur la vie, la mort, les vaches de son adoré de papa, n’en demeure pas moins bien mal à l’aise parmi ses congénères de collègiens, et surtout parmi son élite, “le sang bleu”.
De ce décalage naît l’humour, Bleue, n’a pas son pareil pour analyser chaque situation, chaque comportement mais pas forcément l’étoffe du héros pour y répondre.
Certes il faut s’accrocher car dans toute la première partie du roman, il ne se passe pas grand chose, Bleue nous présente son p’tit monde, son papa, son nouveau collège à Stockton, “le sang bleu”, le groupe d’ados le plus envié et haï du collège, et que par la grâce de sa bien aimée et mystérieuse professeur Hannah Schneider elle intégre.
Car si dès les premières pages, on sait qu’Hannah est morte, il faudra attendre plus de la moitié du roman pour savoir dans quelles circonstances.
Les références m’ont un peu génée au début mais pas longtemps, surtout quand je me suis aperçue que la plupart étaient certes inventées, mais avec une certaine forme d'affabulation de la réalité.
En fait, c’est le poème qui m’a mis la puce à l’oreille.
Bleue parle d’un poème que son père récite souvent et d’un soi disant auteur allemand. Autant vous dire que le poème, “Mein Liebling » en allemand, par le défunt poète Schubert Koenig Bonhoeffer (1862-1937),” n’est qu’invention de l’auteur.
“Bonhoeffer était infirme, sourd et borgne, mais papa prétendait qu’il était davantage à même d’appréhender la nature du monde que la plupart des individus en possession de tous leurs sens.”
A partir de là, je me suis amusée de ses références inventées, de ses comparaisons.
La fin n’est pas ouverte même si Bleue ne nous désigne pas noir sur blanc le coupable, mais elle donne suffisamment d’indices au lecteur, et notamment à travers son QCM pour comprendre le fin mot de l’histoire.
Quant à sa morale de l’histoire, son roman n’est que la dissertation, dont elle nous donne le sujet à la fin.
Alors 20 sur 20, non allez 19, pour les langueurs du début qui pourrait décourager les correcteurs non avertis.
Et je recommande de relire l’introduction après le mot “fin”, elle devient limpide.
Un livre réjouissant et un vrai coup de coeur pour moi d’une fin de début d’année.
dimanche 6 novembre 2011 à 05h17
Je suis en accord avec la plupart des commentaires positifs sur ce livre. Le seul bémol, selon moi, concerne les histoires du Sang bleu et les relations amoureuses réelles ou imaginées de Bleue. Pour ma part, cela occupe une trop grande place dans le récit et n'y ajoute rien. Les membres du Sang bleu sont complètement dérangés mais peu intéressants. Peut-être incarnent-ils la stupidité du peuple tout simplement? Je suis tout de même très content d'avoir traversé les pénibles descriptions de diners chez Hanna pour arriver au dénouement surprenant et palpitant dévoilé dans les 200 dernières pages.