C'est un roman à trois voix que nous propose ici Philippe Besson, auteur que l'on ne présente plus, mais maître toujours des relations humaines, des amours flamboyants ou contrariés.
 
Encore et toujours cette écriture si simple, délicate, toute en retenue, juste, qui va droit à l'émotion, sans sentimentalisme pour autant. On y retrouve encore les thèmes chers à l'auteur, les sentiments amoureux, l'homosexualité, les relations de couple, la douleur de l'absence, du manque de l'autre, le poids des regrets.
 
Même si j'ai bien aimé cette histoire, ce roman ne sera pas mon préféré. La personnalité de Luca m'a gênée. Luca n'était pas seul, mais il n'était avec personne. Peut être est-ce une conséquence du secret posé sur une partie de sa vie, Luca me semble jouer avec tout le monde. Il est certes pris dans une toile d'araignée. Mais comment peut-on aimer sincèrement des êtres quand on leur cache l'essentiel ? J'ai franchement eu du mal avec cette question. Il me semble que Luca a perdu son âme à vouloir jouer sur tous les tableaux.
J'ai ressenti de l'empathie bien sûr pour Anna qui résiste tant qu'elle peut contre l'idée d'une vie sans Luca, malmenée par les découvertes qu'elle fait le concernant. Elle a du courage à vouloir coûte que coûte connaître la vérité. Petit papillon toujours attiré par la lumière qui le brûlera. Qui était donc Luca, cet homme qu'elle a aimé, qu'elle aime toujours ?
Et puis il y a Léo, cet écorché vif qui avait enfin trouvé un peu de paix depuis sa rencontre avec Luca... et voilà que tout disparaît. Il ne le dira jamais, il n'avouera pas... mais la douleur, le deuil est déjà à l’œuvre.
 
Voici donc une autre bonne lecture d'un ouvrage de Philippe Besson, une de mes valeurs sûres. Le Garçon d'Italie ne sera pas mon préféré car il m'a dérangé avec ce Luca si mystérieux... Mais finalement, le but est bien atteint. Les interrogations sont là, les réponses viendront peut être un jour. Une raison supplémentaire à aimer lire cet auteur.

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Du même auteur : Se résoudre aux adieux, En l'absence des hommes, Son frère, L'arrière saison, Les jours fragiles, Un instant d'abandon, Un homme accidentel et La trahison de Thomas Spencer

Dédale

Extrait :

Anna
S'écrouler, enfin. Pleurer à chaudes larmes. Pleurer toutes les larmes de son corps, c'est bien comme ça qu'on dit ? Non, c'est encore le téléphone qui sonne, des lettres qui arrivent, des télégrammes. Des fleurs aussi, tout le monde ne lit pas le journal.
Insupportables, les fleurs. Ce sera presque impossible d'en racheter, un jour. Il faudra jeter tous les vases.
Etre terrorisée à l'idée de se retrouver seule, dans l'appartement où il n'est plus, d'avancer au milieu du silence, dans les pièces vides. Et à d'autres moments, sans qu'il s'agisse le moins du monde d'un paradoxe, vouloir être seule, absolument, ne plus s'adresser à quiconque, débrancher le téléphone, fermer les portes à clé, ne plus s'occuper de rien, s'avachir dans le canapé, se laisser tomber, envahir, balayer par le chagrin, par la souffrance. Comprendre ce que signifie l'expression « souffrance pure ».
Alors repartir dans le cirque, rebrancher le téléphone, rouvrir les portes, parler, parlementer, négocier des prix, prévoir tous les détails de l'enterrement, affronter l'hébétude indépassable des parents, mes presque beaux-parents, se montrer courageuse, un vrai petit cheval, sourire parfois, d'un sourire contraint, épuisé, qui retombe aussitôt, faire les choses mécaniquement, parce que quelqu'un doit faire ces choses. Ne pas être seule, s'épargner cette terreur.
Et, à nouveau, réclamer le calme, la paix, se mettre à l'abri du monde.
Un mouvement de balancier qui pourrait rendre folle, et qui a pour seule vertu de me maintenir en vie.
 
Léo
Ce dénouement est un abandon, un délaissement. Presque un dessaisissement. Je n'ai jamais ressenti autant qu'aujourd'hui la sensation d'être amputé, amoindri, diminué. C'est une sensation très précise, que je sais localiser, qui me tord le ventre, m'oblige à me plier en deux, les bras enroulés autour des côtes. C'est quelque chose de physique, de charnel, une secousse, une dévastation, qui explique les tremblements incontrôlables de ma carcasse. C'est même spectaculaire si j'en juge par les regards d'effroi qu'on m'adresse. Je mesure combien je fais peur, combien j'inquiète. Il doit leur sembler, à ceux qui sont mes voisins, que je suis sous l'emprise d'une bestiole fabuleuse, qui grandirait à l'intérieur de mon corps, et qui ne demanderait qu'à être expulsée. Ils paraissent terrorisés à l'idée de l'imminence de cette expulsion. Je ne suis même pas fichu de leur expliquer que rien ne surgira, presque, au contraire, ça se vide au-dedans, ça pourrit, ça se dissout. Nul monstre qui grandit, plutôt une entreprise implacable d'anéantissement, de déliquescence. Ce que j'ai à affronter, c'est un retranchement, un démembrement, un éboulement.
...
Je n'avais pas imaginé les ravages que la perte de lui était susceptible de provoquer. Peut-être tout bêtement parce que je n'avais pas imaginé la perte de lui.


Éditions Julliard - 221 pages