C'est avec le journal de cette dernière que nous suivons ces jours fragiles, cette longue et douloureuse agonie, les souvenirs du fugueur, du scandaleux frère, le poète : Arthur Rimbaud.
Les jours fragiles nous parlent aussi d'une famille. D'un poète épris de liberté et de soleil, de deux sœurs Vitalie décédées dont l'absence pèse encore, d'Isabelle, petite souris d'église, étouffée par la vie dans les Ardennes natales, de Frédéric, l'aîné banni par la mère parce qu'il s'est marié ailleurs. De cette mère au cœur sec, acharnée de travail, âpre au gain, handicapée des sentiments, toujours en muets conflits permanents avec le flamboyant rebelle.
Des portraits déchirants, fascinants. On comprend le besoin d'évasion du poète, de l'homme qui ne voulait pas être enseveli vivant. On comprend aussi tout ce qui sépare le frère et la sœur, les points d'achoppements : la religion, les mœurs, les aspirations profondes et tout ce qui les relient pourtant. Cette fraternité incontournable, l'amour d'Isabelle pour son frère, la conscience de son talent sans pour autant avoir jamais lu ses textes, son besoin de le protéger contre tous, contre lui. Elle sera la gardienne de sa mémoire. Isabelle nous parle de son frère. Elle nous parle aussi d'elle, de sa vie gâchée de façon lucide, pudique. Le contact avec ce volcanique frère n'est pas sans incidences. Isabelle éprouvera bien quelques révoltes.
Arthur est revenu. Il ne sera bientôt plus là. Et rien ne sera plus jamais comme avant.
Ecrire une telle fiction sur un personnage réel, et quel personnage ! Le défi est brillamment relevé. Les jours fragiles : c'est beau, fort, poignant, lumineux. Bravo Mr Besson.
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Du même auteur : Se résoudre aux adieux, En l'absence des hommes, Retour parmi les hommes, Son frère, L'arrière saison, Un garçon d'Italie, Un instant d'abandon, Un homme accidentel et La trahison de Thomas Spencer
Dédale
Extrait :
Que croient-ils tous à me voir ainsi impassible ? Que je suis insensible ? Se fient-ils à ce point aux apparences ? Sont-ils à ce point incapables de deviner que j'ai envie à chaque minute de hurler comme un chien attaché depuis trop longtemps à une laisse et que je m'en empêche parce que j'entends que la dignité l'emporte à la fin ? Ne comprennent-ils pas que je me retiens de pleurer au long des couloirs mornes de cet hôpital, que je ravale mes larmes ainsi qu'on me l'a appris dès l'enfance, que je m'oblige à ne pas céder parce que, dans notre famille, on ne cède pas ? Songent-ils sérieusement que je traverse cette épreuve sans rien ressentir, sans être lacérée par la souffrance, la peur, le désespoir ? N'envisagent-ils jamais que la blancheur de mon visage puisse n'être qu'un masque, qui dissimule ma terreur, mes désirs d'abdication, mon impuissance ? Conçoivent-ils que je déploie des efforts formidables juste pour ne pas devenir folle ? Je voudrais leur crier que mon chagrin et mon désordre intérieur sont sans bornes, les appeler à l'aide, au secours dans les instants du plus grand désarroi, tomber à genoux et ramper pour qu'ils aient enfin un peu pitié de moi, mais je tiens en horreur depuis toujours ceux qui se donnent en spectacle si bien que je me résigne à leur mépris silencieux, à leur stupidité d'ignorants. Et puis je me souviens trop du calvaire de mon frère pour laisser s'échapper une plainte. Je sais que ces jours me consument, me détruisent, m'anéantissent, et que ce qui m'attend désormais, ce n'est rien d'autre qu'une existence d'éclopée, de convalescente irréparable.
Éditions Julliard - 188 pages
Commentaires
mercredi 25 juin 2008 à 09h52
est-il vraiment vraiment bien? J'envisage de le mettre sur ma liste de livres à lire absolument, ce billet me tente bien.
mercredi 25 juin 2008 à 12h40
Oui, Via-ferata, c'est vraiment, vraiment bien