Bonjour Anna Gavalda, et bienvenue en ce lieu.
Chaque écrivain a un rapport particulier à l'écriture. Comment naissent les intrigues de vos romans? Et savez-vous dès le départ quelle en sera la fin ou aimez-vous vous laisser Portrait d'Anna Gavalda surprendre ?

Je ne sais pas comment naissent les intrigues... De mes rêveries probablement... Il me semble que je tiens une intrigue par jour... Après certaines sont plus obsédantes que d’autres et je les suis. Je commence à faire des recherches et à lire d’autres livres, ou témoignages, pour mieux cerner mon sujet (et mes sujets donc...). Je ne sais quelle sera la fin et c’est la raison pour laquelle je continue d’écouter les voix de mes personnages : pour la connaître enfin ! Cela peut paraître une coquetterie mais c’est vraiment comme ça que j’avance... Par pure curiosité.

Quand le temps de la réflexion est passée et que vous êtes dans l'écriture proprement dite, avez-vous des rituels, des petites manies d'écrivain?

Non. Je travaille la nuit le plus souvent mais je n’ai pas de manie particulière. Je tâtonne dans le noir...

Je voudrais que quelqu’un m’attende quelque part est votre première œuvre publiée. Est-ce un choix de commencer par un recueil de nouvelles plutôt que par un roman ?

Un pur hasard. Certaines nouvelles avaient été écrites pour des concours, j’en ai ajouté quelques autres et j’ai envoyé le tout par la poste.

Dans ce recueil, alors que les premières nouvelles ne débordent pas d'optimisme, on termine sur de belles histoires amusantes qui font rire aux éclats (Clic-clac et L’épilogue) Le choix de l'ordre des nouvelles dans un recueil est-il capital ?

C’est mon éditeur qui a choisi l’ordre. Je ne connais pas ses motifs mais je lui ai fait confiance... C’est très important de faire confiance à son éditeur, parce que si je ne devais compter que sur mes doutes, je ne publierais pas grand-chose, il me semble...

Toujours dans Je voudrais que quelqu’un m’attende quelque part vous achevez votre ouvrage par un épilogue : Ou comment se vit la première rencontre avec un éditeur ?
Comment s'est passée votre première rencontre avec votre propre éditeur ? Était-ce avec ces mêmes préparatifs et interrogations ?

Je voudrais que quelqu'un m'attende quelque partNon, c’était beaucoup plus simple. Il faut dire que Le Dilettante est aussi une librairie et que je suis toujours émerveillée d’entrer dans une librairie ! A cette époque et comme aujourd’hui, je suis davantage une lectrice qu’un auteur. J’ai fureté dans les rayons, trouvé de bons livres et, accessoirement, nous avons signé un contrat (et bu un verre !) avant que je ne reparte avec mon butin sous le bras. Tout cela était très symbolique de notre relation à venir : la littérature d’abord.

La nature est souvent réparatrice dans vos romans. Ainsi dans Je l'aimais, mais aussi dans La Consolante, c'est au milieu de la campagne que vos personnages pansent leurs plaies. L'homme ne peut-il se retrouver qu'au sein de la nature?

Je ne sais pas. Je ne suis pas gourou ou sociologue. Il se trouve que les personnages de ces histoires-là avaient besoin d’une rupture dans leurs vies quotidiennes et que la campagne leur a servi de révélateur. Mais je pourrais très bien imaginer un agriculteur qui se « répare » sur les Champs-Élysées, je n’ai de théorie sur rien... (Hélas...)

Ce qui fait le charme de vos romans, ce sont les failles de vos protagonistes. Ils sont si délicieusement imparfaits, qu'ils en deviennent émouvants. Ce qui est beau chez l'autre, ce sont ses défauts ?

C’est la certitude et l’acceptation de ses défauts plutôt. Un certain recul, une forme de tendresse vis-à-vis de soi-même.

Dans Ensemble c'est tout il y a une grande générosité qui transpire du roman, une légèreté salutaire en ces temps de sinistrose. Êtes-vous vous même une happycultrice ?

Non, je suis une grande dépressive ! Mais une dépressive généreuse. Je n’ai pas tellement confiance dans l’être humain mais j’ai une maison toujours très remplie et des bras immenses. Je crois que cette dualité est perceptible dans mes histoires. Je ne crois pas à grand-chose mais le peu auquel je crois : la bonté, l’attention aux autres, le pouvoir de l’art et des artistes, j’y crois dur comme fer.

La relation entre Camille et Paulette est particulièrement émouvante. Je pense notamment à la scène dans la salle de bain. Comment avez-vous abordé le lien entre ces deux femmes ?

Comme je vous le disais plus haut, je n’ai pas du tout de démarche intellectuelle quand j’écris. Je « n’aborde » rien, je me contente de donner naissance à des personnages et de les regarder vivre. Comme vous, j’aime beaucoup cette scène de la salle de bains. Je la trouve apaisante. A chaque fois que je croise une vieille dame ou un vieux monsieur qui m’émeut, j’essaye d’imaginer le jeune homme ou la jeune femme qu’ils étaient autrefois. Cette histoire de vieillissement des corps me fascine et il y aurait encore beaucoup à écrire...

A-t-il été difficile pour vous de voir vos personnages d'encre prendre chair dans l'adaptation cinématographique et qu'en avez-vous pensé ?

J’en ai vu d’autres, mais pas les miens. Les miens sont beaucoup plus vivants...

Comment choisissez-vous les prénoms de vos personnages ? Je pense notamment à Laurence, dans La consolante. C'est un prénom que j'ai peu l'habitude de rencontrer dans la littérature...

Dans mes histoires, il y a toujours un Pierre et une Mathilde. Je les garde comme des talismans et je serais incapable de vous dire pourquoi, mis à part le fait que ce sont deux prénoms que j’aime et qui sonnent beaux. Pour Laurence, je voulais un prénom élégant et un peu mystérieux, comme le personnage...

couvertureCharles Balanda est bien plus âpre que vos personnages précédents. Il est même assez antipathique au début du roman. D'ailleurs, vous vous adressez parfois directement à lui dans le roman, pour le bousculer. J'ai parfois eu l'impression que Charles menait la vie qu'il voulait et que vous aviez du mal à le contrôler. Les personnages de romans ont-ils leur propre vie ?

Oui. Charles et moi avons connu un bras de fer assez pénible, et pour moi écrivant et pour le lecteur lisant et pour lui luttant. C’était un coriace qui pliait mais ne rompait pas. Il a fallu que je l’affaiblisse physiquement en le forçant à traverser un  boulevard dangereux hors des clous pour qu’il se rende enfin... Quel soulagement pour moi quand j’ai compris qu’il était K.O. ! On allait enfin pour pouvoir sortir de cette descente aux enfers...

Avec La consolante vous avez adopté un style très différent de celui auxquels vos lecteurs étaient habitués. Pourquoi ?

Je n’ai pas de style particulier, je ne fais que vivre dans la tête de mes personnages. Il y a un style par personnage. C’était assez flagrant dans mes nouvelles, il me semble. Quand mes personnages vivent simplement, la lecture est fluide, quand ils vont mal, nous subissons tous cette zone de turbulences et nous en bavons avec eux.

Comprenez-vous les lecteurs quand ils se disent déstabilisés par cette nouvelle façon de raconter ?

J’en souffre parce que je me déçois de les décevoir  mais je ne les comprends pas vraiment. De toute façon, je n’aurais pas pu faire autrement. C’était ce que j’entendais dans mon oreille et j’ai été fidèle à ce que j’entendais. J’ai toujours travaillé ainsi. Les personnages d’abord. La justesse de leurs vies intérieures m’importe plus que notre confort de lecteurs. Je préfère perdre des lecteurs que de me forcer à écrire « facile » pour faire joli.

J'ai été assez frustrée que vous ne laissiez pas plus de place à Nounou, et je sais que je ne suis pas la seule. Est-ce envisageable qu'un jour nous le retrouvions dans un roman qui lui fasse la part belle ?

Qui sait ? Il me manque aussi... (Ils me manquent tous !) Mais le peu que j’ai raconté de lui me l’a rendu très présent. Avec ces quelques détails, il n’est pas difficile d’imaginer le reste de sa vie...

Aujourd'hui, votre position face aux médias est plus réservée. Ainsi, vous avez envoyé une lettre ouverte aux journalistes professionnels indiquant que vous ne désiriez plus répondre à des interviews. Quelle en est la raison, et pourquoi avoir accepté alors de répondre à nos questions de lecteurs ?

Peut-être parce qu’aucun journaliste ne m’a posé des questions aussi intéressantes que les vôtres !
Et puis je n’ai jamais dit que je ne voulais plus donner d’interviews, j’ai simplement précisé que je répondrai par e-mail uniquement et c’était surtout pour des raisons pratiques : on dit des choses plus profondes par écrit, on est obligé d’être plus honnête... Mais tout cela n’a aucune importance, ce sont les oeuvres qui comptent, pas le blabla de leurs auteurs. De toute façon, c’est la dernière fois que je m’exprime, y compris par écrit. Même si je continue de raconter des histoires, ce sera sans moi. J’ai besoin d’ombre comme d’autres ont besoin de lumière. Chacun son truc.

Depuis la sortie de La Consolante, vous êtes fort occupée avec les signatures aux quatre coins de la France. Trouvez-vous, malgré tout, le temps d'écrire et avez-vous déjà un autre roman en préparation ?

Toujours cette histoire de rêveries ! Je passe mon temps à me raconter des histoires, certaines commencent à devenir plus insistantes que d’autres et ce sont probablement celles-ci que j’essaierai de circonscrire un jour. Pour connaître la fin...

Avant que nous vous laissions repartir, nous vous remercions une fois encore du temps que vous avez bien voulu nous consacrer, et vous laissons les derniers mots pour les internautes.

Je vous en prie. Tout le plaisir était pour moi...

Un dernier mot pour les internautes ? Éteignez-moi cette saloperie d’écran qui phagocyte le plus clair de votre temps libre sans jamais vous nourrir vraiment (est-ce que ce n’est pas la vérité ?) et ouvrez un livre. N’importe lequel. Par exemple « Moi, boy » et « Escadrille 80 » de Roald Dahl (folio jeunesse). Là d’accord. Là vous aurez l’impression que l’on vous fait un cadeau. Un cadeau invisible mais qui vous inspirera et, de ce fait, vous aidera à vivre...

Interview d'Anna Gavalda - juillet 2008 - Tous droits réservés Biblioblog

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