Pour une première lecture d'une oeuvre de la littérature brésilienne, j'ai été servi. C'est assez déjanté, étonnant, hallucinant, débridé, mais en racontant cette histoire avec cruauté et passion, dans un langage parfois cru et sans concession, Heloneida Studart s'est lancée dans un portrait à l'acide de la société brésilienne et de la dictature qui a meurtri le pays dans les années 60 à 80. C'est là une étude au scalpel de la psychologie des personnages, un examen de ce moment crucial où l'être humain bascule de la paix aux tourments, les ramifications du mal, l'emprise de la religion, des superstitions en tout genre. Au final, on en ressort secoué mais ravi de cette surprise. C'est vraiment une histoire, une écriture étonnante.

La personnalité de l'auteur explique certainement tout ceci. Heloneida Studart est née en 1932 au Brésil au sein d'une famille aristocratique – je vous recommande la présentation de cette fameuse aristocratie du Nordeste. Cela vaut son pesant !!! Elle s'oppose assez vite à la conception familiale et traditionaliste de la place de la femme. Là encore, on reste secoué et plombé à la fois. Ce roman est un autre de ses pavés dans la mare de cette société brésilienne machiste. Cela n'est pas pour rien que l'on surnomme l'auteur : la Simone de Beauvoir brésilienne. Un engagement politique et personnel dans la lutte contre l’arbitraire sert de terreau à l'auteure.

Indépendamment de cette forte personnalité, la qualité de ce roman m'incite vraiment à la lecture de ses autres titres. Je ne m'étonne pas non plus de ce choix d'édition réalisé par Christine Bouchard, l'éditrice hyper dynamique de Les Allusifs et qui refuse de suivre les sentiers battus. Pour notre plus grand plaisir !

Dédale

Extrait :

J'attendis que le soleil se lève pour prendre ma douche. Pour moi, c'était un jour différent, la première journée d'un homme amoureux. J'étais amoureux de Dorinha et j'avais beau m'insulter - « Tu vas voir, crétin, elle te crachera dessus ! » - , un espoir confus m'envahissait. L'espoir du condamné à qui l'on affirme que l'enfer est provisoire. Mon visage dans le miroir de la salle de bains me parut rouge, comme si j'avais de la fièvre ou que j'avais passé la journée à la plage. Dans la salle à manger, je mangeai avec appétit la banane cuite, la part de gâteau de tapioca, le fromage frit. Dona Bonina surgit, le dentier mal fixé, et commença à poser des questions indiscrètes. Avais-je déjà conclu mes affaires ? Je répondis que non et je disais la vérité. Je lui suggérai d'installer l'air conditionné dans les chambres, mais elle rejeta l'idée. Sa plus grande inspiration pour le progrès était de faire remplacer ce petit ventilateur inefficace par un autre fixé au plafond, avec de grandes hélices en bois. J'abandonnai ma suggestion (« Cela donne le rhume », insistait dona Bonina) et demandait à quelle heure ouvrait la bibliothèque municipale. Elle ne savait pas mais promit de téléphoner pour s'informer. Elle traitait ses hôtes avec sollicitude, mais ironie. Le bruit courait qu'elle aimait surnommer ses clients. Un juriste était sorti de chez elle avec le surnom de Filet de Papillon, qui ne le quitta plus, même lorsqu'il eut grossi et réussi son concours de magistrat. Je terminais mon jus de pitanga lorsqu'elle revient, m'informant que la bibliothèque ouvrait à neuf heures.
- Je n'y suis jamais allée, confessa-t-elle d'un air pudique. Il doit y avoir beaucoup de livres indécents, impropres à une femme aussi pure qu'au jour de sa naissance.
Avec cette phrase, elle voulait me faire part de sa virginité moisie.
J'étais d'accord avec elle. Le major Fernando détestait certains livres : « Cela ne sert à rien de découper un homme en morceaux si les livres qu'il écrit subsistent et contaminent tout. »

Le bourreau
Editions Les Allusifs – 345 pages
Traduction du portugais (Brésil) par Paula Salnot et Inô Riou