Dans mon histoire avec la musique, les Variations Goldberg de Johann Sebastian Bach jouent un rôle particulier puisqu'elles étaient au programme du premier concert de musique classique auquel j'ai assisté ; j'en ai de nombreux enregistrements. Cette œuvre pour clavecin est constituée d'un Aria, de trente variations, et de l'Aria da Capo.

La romance, puisque ce livre est ainsi sous-titré, commence en même temps que la musique. Pendant l'aria, ce sont les pensées de Liliane qui nous sont dévoilées. Comme tout public de musique classique qui se respecte et malgré leur goût divers pour Bach, les invités ne peuvent qu'écouter religieusement cette musique. Néanmoins, ils ne s'arrêtent pas de penser.
La parole passe d'un invité à l'autre au fil des variations, parfois brutalement, au milieu d'une phrase. La longueur de ces chapitres est étonnamment régulière, la musique n'attend pas.

C'est avant tout l'idée originale d'architecturer ainsi ce roman qui en fait sa qualité. La faculté de présenter de nombreux points de vue est un grand talent de l'auteure. En parvenant à nous faire voir Liliane sous tant d'angles, elle en obtient un étonnant portrait collectif.

Du même auteur : Passion d'Annie Leclerc, Lignes de faille, La virevolte

Par Joël

Extrait :

Sa musique, n'était-ce pas son île à elle ? C'est là que moi je me sentais largué en tout cas, là que j'étais coupé, moi, de toutes mes références.
Encore une fois, elle me le reprochait avec une joue mauvaise. « Tu ne sais pas simplement écouter, il faut qu'on te raconte des histoires. » Pour elle, j'aurais volontiers supporté, dans le silence et à la suite, toutes les symphonies de Beethoven. Mais pas ces mots. Dans la musique, comme dans tout le reste, il ne s'agissait pas pour elle d'une question de goût, mais de philosophie de la vie. Donc elle me poussait dans mes retranchements. « Pourquoi tu aimes l'opéra ? Hein ? Tu crois que c'est un hasard ? » C'était une de ses phrases préférées, comme pour les psychanalystes : « Ce n'est pas un hasard si... » Et j'ai fini par lâcher une énormité ; que dans la musique instrumentale, je n'entendais pas la lutte des classes. Ella a hurlé de rire, évidemment.

[...]

Splendide, splendide. Et hop ! la main gauche saute par-dessus ! Elle tombe sur juste le bon accord, pendant que la main droite chatouille les touches d'en bas. Bravo ! À la fin je vais me lever pour le dire : « Bravo ! » Elle nous en aura fait voir ce soir, des vertes et des pas mûres, si j'ose dire.
Elle nous aura chatouillé toutes les cordes de l'âme les une après les autres ! On aura vécu quelque chose ensemble : même si on se connaît ni d'Ève ni d'Adam, ça sera comme si on se connaissait. La musique aura servi à rompre la glace, après il restera plus qu'à trinquer. « À la santé de l'artiste ! » Quelle merveille, quand même, cette langue universelle. Peu importe si on vient de milieux différents, peu importe si on a des idées politiques différentes, la musique ca nous rapproche tout de suite -- parce que les émotions, c'est l'humanité tout entière. C'est vrai. « Vive Jean-Sébastien »

Les variations de Goldberg
Éditions Babel - 250 pages