Voilà pour le concept de l'éditeur, passons aux textes découverts.
Le vagabond est la nouvelle qui m'a fait découvrir Leïla Sebbar. J'ai été touchée par la quête du jeune homme à la recherche de ses racines, de ce père qu'il ne connaît pas – sa mère en a si peu parlé.
« Bâtard fils de pute ». On insulte ainsi l'enfant né en Indochine. Père, tirailleur algérien. Mère, brodeuse à Saigon. Un jour, sur une photo du père, elle dit qu'il est soldat, qu'il a une belle voix, qu'il « chante dans sa langue un chant qui roule, profond, un chant de ravin sauvage ». Venu soldat pour la guerre d'Indochine, il est reparti avec l'armée vaincue. Il n'avait rien promis.
Le fils est arrivé dans le village de son père, la photo dans sa besace. Il ne trouvera qu'un vieux tirailleur plus pauvre que lui, sans terre et avec trop d'enfants à nourrir. Il repart marcher dans le désert... . Au-delà des mers et des mondes, sa mère l'attend.
Une quête superbement rendue, avec cette espérance de la rencontre, une errance sous un soleil cruel.
Dans Louisa, l'histoire se déroule en 1870. Des insurgés algériens sont déportés en Corse, dans un camp. On leur permet de cultiver leur jardin. Les femmes sont interdites. Naît une petite fille, Louisa, père prisonnier algérien, mère paysanne corse. Plus tard, Louisa est séquestrée dans la grande maison de l'oncle à Tiaret, en Algérie. Le mariage sera princier.
Où l'on retrouve les thèmes de prédilection de l'auteur : le lien à la terre, la dure vie de labeur pour gagner sa subsistance, la place des femmes dans la société maghrébine, l'histoire algérienne.
Un style toujours aussi net, sec, rapide, brûlant comme la terre du pays, une succession de phrases courtes comme une suite d'images, de flashs qui marquent le lecteur.
Avec La Blanche et la Noire, on retrouve Isabelle, cette jeune aristocrate russe, fascinée, envoûtée par le Maghreb, par le désert; libre de tout, surtout pas prisonnière de sa condition de femme. Isabelle raconte ses nuits dans le quartier des bordels à Khadija, sa vieille servante affranchie. Cette dernière conte son enfance de petite fille pauvre raflée pour les maisons closes de Tunis.
Si cette nouvelle se lit aussi bien que les précédentes, j'ai pourtant été moins à l'aise. Le fait de ne pas pouvoir déterminer si Isabelle est un pur personnage de fiction ou bien ayant réellement existé, enveloppé d'une aura d'intemporalité, m'a perturbé. Isabelle est libre, libre comme une plume au vent. Elle me semble trop coupée des réalités du monde, du pays qu'elle arpente inlassablement.
Cette nouvelle offre aussi l'occasion, si l'on commence avec elle, la découverte des oeuvres de Leila Sebbar, de présenter cette mystérieuse Isabelle. On la retrouvera dans bien d'autres écrits de l'auteur, comme dans une autre nouvelle publiée dans Le ravin de la femme sauvage
ou dans le roman Les femmes au bain.
De courts et bons moments de lecture, comme de petites mignardises. On en goûte une et puis....
Du même auteur : Fatima ou les Algériennes au square, Le ravin de la femme sauvage, Les femmes au bain
Dédale
Extrait :
Le vagabond
On l'a vu arriver un soir d'été.
Il avait fait chaud, très chaud. Hommes et bêtes à l'ombre des murs semblaient dormir. Enveloppés tout entiers, c'est à peine s'ils pouvaient ouvrir un oeil, on les aurait cru statufiés pour toujours, tournés vers eux seuls et le silence des plateaux. On ne soupçonnait pas, dans ces hommes dont rien ne les désignait comme des hommes, si ce n'est la forme apparente sous le pli des étoffes, la couleur de la terre qu'ils avaient travaillée à la fraîcheur de l'aube, ces heures clémentes qui leur permettaient de gagner le pain, on n'imaginait pas l'attention en éveil, la vigilance dans ces corps endormis.
Ils voyaient tout, ils entendaient l'herbe ou la pierre frôlées par un scarabée mordoré ou le jeun scorpion. Ils savaient.
Louisa
Louisa a sept ans.
Louisa, comme sa grand-mère.
La seule petite fille prisonnière. Elle ne sait pas qu'elle est prisonnière. Dans le camp c'est une princesse. Autour d'une cour carrée, les maisons sans femme.
La mère de Louisa habite à l'autre bout du village. Les oeufs et les poulets elle les vend aux hommes du camp. Lorsqu'ils travaillent à leur jardin de retour au camp, ils passent par la petite ferme, elle offre le café « meilleur que le café du Caouadji », le patron du café maure où ils jouent aux dominos, ils pourraient lui apprendre si elle voulait mais elle n'a pas le temps, un jour peut-être. Ils font des échanges, contre les poivrons rouges et les aubergines des jardins, du raisin de sa vigne, des cerises en été, des figues au mois de septembre, « elles sont meilleures que les figues de chez nous », ils mentent par politesse, la jeune femme les croit.
La Blanche et la Noire
La jeune Russe exilée à Bône puis à Tunis ne sait rien de tout cela, cette histoire n'est pas son histoire. Un jour, l'Algérie musulmane sera sa terre depuis sa jeune vie jusqu'à sa jeune mort à vingt-sept ans, une mort algérienne dans la crue de l'oued Sefra, à l'autre bout des Territoires du Sud que la France n'a pas encore pacifiés. Fouillant la boue au-delà de la maison, les soldats de Lyautey, qui admirait l'intrépidité, la sensibilité et l'insolence de la jeune femme, ont retrouvé ses manuscrits. La mère de ses jours vient de la quitter, elle repose dans le cimetière musulman de Böne. Pour elle, sa fille, ce sera le sable du Sud. Son vœu le plus cher : être allongée aux côtés de son bien-aimé, Slimène, une tombe dans le désert. Personne ne saura qu'ils ont été là ensemble, unis dans l'au-delà, le vent ne garde rien des traces de la vie qu'on veut lui imposer. Qu'importe. Morts, ils seront comme vivants. Mais Dieu, le Clément, le Miséricordieux, l'a séparée de l'Aimée. Dans les sables, seule. C'est le destin, son destin.
Éditions Bleu Autour
Le vagabond – 17 pages.
Louisa – 18 pages.
La Blanche et la Noire – 24 pages
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