Comme j’aurai aimé être petite souris pour voir et écouter des érudits comme Aldo Manuzio et ses amis. Ces hommes et femmes – comme Isabelle Este ou Lucrèce Borgia, Albrecht Dürer ou Erasme pour ne citer qu’eux – ouverts aux connaissances anciennes, maîtrisant tant le grec, le latin, l’hébreux, les préceptes de Platon, Socrate ou Aristote, ayant développés une ouverture d’esprit, une curiosité pour toutes les sciences, les arts, vont permettre la diffusion au plus grand nombre de la connaissance, parfois même au péril de leur vie tant les puissants et le Vatican vont tout faire pour préserver leurs pouvoirs et leur omnipotence.
Comme on peut le lire sur un cartouche à l’entrée de l’Institut du Monde Arabe, « le savoir confère un pouvoir éternel ». Cette maxime découverte peu de temps avant ma lecture ne pouvait mieux illustrer l’idée principale de ce roman.

L’auteur, spécialiste des nouvelles technologies, des nouveaux médias et de l’encre électronique, dont il suit de près les applications dans le monde du livre, sait donc de quoi il parle. J’ai trouvé intéressant la juxtaposition des deux mondes : le nôtre avec le développement de l’Internet, source de connaissances plus aisément accessibles et celui d’Aldo Manuzio. L’auteur nous donne aussi à réfléchir sur cette accessibilité croissante, sur le fait qu’il faut toujours garder un esprit critique sur les documents et informations que l’on peut obtenir, d’user de la logique si chère aux philosophes grecs. Je serais indulgente pour les quelques anachronismes ou allusion, un peu déplacée à mon sens, à une société où l’auteur a lui-même travaillé. Je ne suis pas non plus certaine qu’Aldo Manuzio aurait utilisé le vocabulaire économique moderne (cf l’extrait) pour expliquer l’impact de son invention. Ces notions existaient certainement au XVIème siècle, mais pas forcément avec ce vocabulaire. Tout cela est pardonné par le fabuleux travail de recherche historique effectué pour étayer cette histoire, pour nous présenter ce génie vénitien.
J’ai donc vraiment bien aimé ce roman. Les sauts dans le temps sont forcément nécessaires et pas si perturbants que cela. Au final, je ressens presque un sentiment de frustration. Comprenez bien, on vous présente un personnage extraordinaire, une époque pleine d’effervescence et puis après un peu plus de 300 pages, plus rien. J’aurai tellement voulu continuer à suivre Aldo Manuzio et ses amis artistes et savants.
Je sais maintenant à qui je dois l’italique et surtout le plaisir de lire un livre que je peux transporter partout avec moi.

Dédale

Extrait :

Puis elle le voit, il est là, humble, discret mais magnifique. Entre deux livres in-quarto, un petit chef-d’œuvre : la maquette d’un livre in-octavo, un huitième d’une feuille standard, le premier ouvrage imprimé de si petite taille. Elle le prend dans la main, il lui va bien. Elle caresse sa couverture, on sent son envie d’en tourner les pages. Elle est sous le charme. Aldo jubile. Il a gagné, il le sait. Elle est son premier lecteur, son premier client.
- Ma chère Maria, comprends, mais comprends donc, lui dit-il en lui serrant les mains. Cette nouvelle typographie inclinée, à l’image de l’écriture manuscrite grecque, permet de gagner en lisibilité, et donc de passer à un format réduit de moitié. C’est miraculeux.
Pour la première fois, quelqu’un a réussi à parfaire tous les éléments permettant d’atteindre cette précision. On ne peut pas faire plus petit, ou alors les yeux seraient incapables de lire. La taille des caractères, leur forme, permettent de plier le papier une fois de plus, et tout change : l’encombrement, le prix, la portabilité. Aldo pressent des bouleversements considérables dans la diffusion de la connaissance. Plus rapide, elle touchera plus de monde, partout. Le prix abordable fera exploser le marché ; les coûts de production réduits autoriseront les rééditions, corrigées d’une version à l’autre, qui prendront en compte les critiques. C’est une première. Tout va s’accélérer.

Passions et secrets d'un vénitien de génie
Éditions Librii - 322 pages