Ici, l’auteure nous livre une histoire très personnelle, intime. Elle y raconte ses chers disparus et les personnes qu’elle a connues depuis son arrivée en France. On y retrouve surtout sa mère, son frère poète maudit par leur père et son défunt mari disparu trop tôt. Elle nous dit comment elle communique avec eux, comment ils font partie d’elle, comment ils l’inspirent dans son travail d’écriture. Parfois elle a plutôt l’impression que c’est son frère qui écrit à travers elle. On retrouve dans ses romans la puissance des mots, la maîtrise du français, cette langue qu’elle a « boudé » un temps, parce que son mari n’était plus là.

Pourtant, pourtant, malgré toutes ses qualités d’écriture et la charge émotionnelle que cette histoire nous livre, j’en ai perdu peu à peu le fil. Peut être que les divagations réelles ou imaginaires, les questionnements sur la vie après la mort ont été de trop pour moi. Je ne saurai trop dire exactement.
Je garde pourtant en mémoire le beau portrait de la mère, omniprésente dans l’œuvre de l’auteure.

J’ai aimé cette lecture malgré ce bémol vers la fin. Il ne m’empêchera pas de continuer à suivre V. Khoury-Ghata et même de me tourner un peu plus vers ses poèmes.

Du même auteur : La maestra

Dédale

Extrait :

Penchée par-dessus mon épaule, mon analphabète de mère dirige ma plume comme bon lui semble. Elle n'a que faire de son village et de ses habitants. Elle préfère que je lui raconte comment elle est morte, sa mémoire lui ayant fait défaut dès qu'elle entra en agonie. Elle se souvient de ce qui avait précédé quand son fils l'avait bousculée sans raison puis précipitée à terre, brisant son épaule, et qu'une écharde d'os se mit à naviguer dans es veines jusqu'au cœur. C'est tout ce dont elle se souvient.
Accroupie sur le sol froid de ma terrasse, face à la masse compacte des arbres du bois, j'ai pleuré ce jour-là, comme on aboie, celle qui gisait quatre mille kilomètres plus loin sur un lit d'asile. Une nuit échevelée, le vent faisait frémir les châtaigniers, leur ombre oscillante sur la façade des immeubles ressemblait à l'aiguille d'un métronome géant. Armée d'un revolver, j'aurais pu tuer à travers la Méditerranée le fou qui avait assassiné sans le savoir sa mère. La seule personne au monde qui ne l'avait pas rejeté, la seule qu'il aurait pu étreindre s'il avait des bras capables d'étreindre et une bouche capable d'embrasser. Son retour dans la famille après vingt ans d'absence fit de la mère et du fils un couple fusionnel. Elle lui donnait la becquée pour qu'il accepte de manger, lui racontait des histoires pour qu'il s'endorme en douceur. Leurs dialogues pris sur le vif n'obéissaient à aucune logique. Elle se mettait au diapason de celui qui finit par prendre l'asile psychiatrique pour un centre de vacances et les fous pour des touristes.

La maison aux orties
Éditions Actes Sud - 117 pages