Joe Broz, ancien rescapé du Vietnam, travaille pour Universal Security. C'est une compagnie de surveillance à laquelle ont souvent recours les stars hollywoodiennes. Justement, ce matin-là, la sublissime Magdalena Lazlo, actrice aux charmes envoûtants, le supplie de l'aider : depuis que Lincoln Beagle a interrompu brutalement le tournage où elle devait tenir le rôle titre, elle se sent menacée et est persuadée que Beagle trame quelque chose dans son dos. Mais comme Universal Security travaille pour RepCo (l'agence d'artistes la plus puissante de L.A.), Maggie exige de Joe qu'il cache à son employeur les motifs réels de la mission. Joe n'est pas vraiment chaud pour ça, mais Maggie sait trouver les arguments pour le persuader. Et les dernières réticences de Joe tombent définitivement quand il s'aperçoit que Universal Security joue également un double jeu et l'a mis sous surveillance.
Que peut donc tramer le réalisateur Beagle pour déchaîner un tel branle bas de combat?

Les courts chapitres intercalés dans le scénario principal nous donnent quelques indications. Les personnes qui y interviennent nous sont beaucoup plus connues : Lee Atwater, James Baker (secrétaire d'État) et George Bush (père). Nous sommes au tout début de l'année 1990 et la popularité de Président Bush commence à fléchir. Avant de mourir, Lee Atwater (directeur de la campagne présidentielle en 1988) confie à James Baker un mémo P.V.Y.S. (pour vos yeux seulement), sensé relancer le Président dans les sondages. Mais l'idée paraît tellement folle et machiavélique que ni Baker ni Bush n'imagine qu'elle soit réalisable. Sauf que...

Soyons clairs : Reality Show n'est pas un thriller haletant mais une fiction politique saisissante. Il ne faut donc pas entamer cette lecture en s'imaginant être embarqué dans un rythme effréné de courses poursuites et d'actions retentissantes. Pourtant, retentissant, ce roman l'est sans aucun doute.
Comme je l'expliquais au début de ce billet, l'auteur s'amuse sciemment à faire intervenir des célébrités (John Travolta, Mélanie Griffith, J.C.V., Madonna...) et brosse un portrait acide du show business américain. Mais le propos est bien plus grave qu'un simple pamphlet de l'industrie cinématographique. Ce qui est en jeu ici, c'est une guerre que le monde entier a vu sur son petit écran; une guerre filmée, scénarisée, à laquelle on avait même donné un titre digne des meilleurs blockbusters : Tempête du désert.

La quatrième de couverture nous indique que ce roman a été accueilli dès sa sortie aux U.S.A. comme un « livre révélation » et c'est tout à fait compréhensible. Comme tout scénario basé sur une théorie du complot, Reality Show avance lentement les pions, sélectionne les faits qui servent à sa démonstration, sème insidieusement le trouble dans l'esprit du lecteur, pour que ce dernier finisse par se demander où s'arrête la réalité et où commence la fiction. Le dernier chapitre est à ce titre remarquable.
Un roman troublant donc, puisque c'est au lecteur de se forger sa propre opinion et de choisir lequel des deux mots du titre du roman doit avoir le plus de poids.

Laurence

Extrait :

« George, dit Atwater, est un tocard. Ambitieux, intriguant, revanchard, mais n'empêche... Et il va plonger, Jim. S'il ne...
- Plonger ? Qu'est-ce que tu veux dire ?
Dans les sondages, » répondit Atwater comme on énonce une évidence, puisque rien d'autre n'importait. « Et s'il ne réagit pas, la réélection... » C'était difficile, après le pilonnage de Reagan d'abord, Reagan ensuite, puis Bush/Quayle avaient infligé à l'opposition, d'imaginer que la réélection pût ne pas être dans la poche.
« Ne n'inquiète pas pour ça, fit Jim, sûr de lui. On veille au grain.
- C'est mon boulot. Ma mission. » D'une main, Atwater agrippa Baker par la manche et l'attira vers lui. Il avait une méchante haleine. Rance, fétide. Nom de Dieu, pensa Baker, ils pourraient quand même lui brosser les dents et lui filer un coup de badigeon. « J'ai un plan. » Atwater leva son autre main, celle qui était crispée sous les couvertures. Elle tenait une enveloppe froissée. « Si George plonge, ouvre ça. C'est le contre-feu, l'ultime instrument de la victoire.
- Et merci, fit Baker avec diplomatie. J'en parlerai à George. Il sera touché de savoir que, dans ton état, tu penses à lui.
- Arrête tes conneries. Je pense à la victoire. N'oublie jamais ça, Baker. Il n'y a que deux choses... vaincre et mourir. » Il gloussa. « Ne lui montre pas maintenant. Même toi, ne regarde pas encore. Attends...
- Attendre quoi ?
- D'être dans la merde et d'en avoir besoin.
- C'est un sou magique dans un conte de fées, quelque chose comme ça ?
- Quelque chose comme ça.
- Pourquoi je peux pas regarder tout de suite ?
- Parce que tu penseras... - Il s'interrompit pour reprendre son souffle - que c'est dément. Et ça te fera peur. Mais c'est tellement sensé, tellement logique que tu ne pourras pas résister à la tentation et tu t'en serviras trop tôt.
- Et alors ?
- Et alors ça ne marchera peut-être pas. »


Éditions Folio Policier - 552 pages