Paul Sheldon est un auteur à succès. Sa série de romans sur Misery Chastain, jeune femme intrépide du XIXème siècle, a su captiver les ménagères en mal d'aventures et de romantisme. Mais Paul Sheldon accepte difficilement cette reconnaissance qu'il ne trouve pas digne de l'écrivain qu'il est. Après avoir mis un terme définitif aux péripéties de son héroïne, il décide que sa carrière doit prendre un tournant radical et écrit le livre qui fera de lui un "grand" écrivain reconnu par la critique.
Malheureusement, un accident de la route va compromettre tous ses projets. Les jambes brisées, il est recueilli par Annie Wilkes, "sa fan numéro un", une ex-infirmière au passé trouble qui est bien décidée à ce que Misery Chastain renaisse de ses cendres.

Ce que j'aime -  que dis-je - que j'adore chez Stephen King, c'est quand il verse dans le registre de la terreur plutôt que dans celui du fantastique (j'ai toujours trouvé que les dénouements de ces récits fantastiques tenaient du grand-guignol). Avec Misery, Stephen King signe ici un roman époustouflant, et ma seconde lecture fut aussi éprouvante que la première.
Si Misery fonctionne aussi bien, c'est que l'auteur a mis en place un huis-clos absolument insoutenable : alors que Paul Sheldon, cloué dans son lit, dépend entièrement des volontés d'une psychotique, le lecteur quant à lui est prisonnier des pensées de Paul. Impossible de reprendre son souffle et ses esprits en profitant d'un changement de point de vue. Non, nous sommes Paul Sheldon pour le meilleur et pour le pire. Et le pire est toujours au-delà ce que l'on pourrait imaginer.
Car Annie Wilkes, de tortionnaire, se transforme peu à peu en démiurge fou tandis que la santé mentale de Paul Sheldon vacille lentement. La seule bouée de sauvetage qui lui reste, c'est l'écriture de cet ultime épisode des aventures de Misery Chastain.

Stephen King a l'art et la manière pour nous faire dresser les poils sur la tête. En dehors de deux ou trois scènes absolument insupportables de violence explicite (je me suis surprise à lire les yeux à demi fermés, le livre à bout de bras), toute l'horreur de ce récit réside dans la torture psychologique et l'atroce sentiment de dépendance que Paul Sheldon développe pour sa geôlière. Le syndrome de Stockholm à côté, c'est le joli monde des Bisounours... Plus l'histoire avance et moins l'on envisage d'issues possibles pour le pauvre Paul. En dehors d'une folie irrémédiable, accompagnée d'une perte de mémoire salutaire, on ne voit pas comment le héros de cette histoire pourrait s'en sortir.

En alternance avec ce récit encadrant, il y a également le roman encadré, celui qu'écrit Pail Sheldon pour Annie. Stephen King détaille alors le processus d'écriture; l'angoisse de la page blanche; le trou dans la feuille quand l'inspiration est au rendez-vous; les saurais-tu? si nécessaires à la invraisemblance; les relations troubles que l'écrivain entretient avec ses personnages. Alors que Paul Sheldon avait "tué" Misery avec grand plaisir, il se rend compte peu à peu qu'il est en train d'écrire son meilleur livre.

Misery est vraiment un grand roman. 18 ans se sont écoulés entre ma découverte et sa relecture, pourtant, c'est avec la même terreur que j'ai tourné les pages cette fois encore. Et même s'il ne m'a fallu que deux jours pour le relire, mes nuits, comme lorsque j'étais adolescente, n'ont pas été de tout repos...

Du même auteur : Cujo, L'histoire de Lisey, Juste avant le crépuscule

Laurence

Extrait :

« Je pensais réellement à vous », dit-elle en lui glissant une cuillerée de soupe dans la bouche, puis en lui essuyant les commissures avec un mouchoir d'un geste professionnel. « C'est ce qui rend la coïncidence si extraordinaire, vous comprenez? J'espérais enfin trouver Misery's Child en poche, mais malheureusement il n'y était pas ».
Une tempête menaçait, ajouta-t-elle, mais jusqu'à midi les types de la météo avaient affirmé péremptoirement qu'elle se dirigeait vers le sud, c'est-à-dire avec le Nouveau Mexique et les monts Sangre de Cristos.
« Oui », répondit-il, les souvenirs lui revenant au fur et à mesure. C'est ce qu'ils ont dit. C'est d'ailleurs pour ça que j'ai pris la route. Il essaya de bouger les jambes. Le seul résultat fut un violent élancement douloureux, et il poussa un gémissement.
« Surtout ne faites pas ça, dit-elle. Si vous commencez à faire bavarder vos deux jambes, Paul, il n'y aura pas moyen de les arrêter. Et je ne peux pas vous donner d'autres gélules avant deux heures. Je vous en donne d'ailleurs déjà trop. »
Pourquoi ne suis-je pas à l'hôpital? Telle était la question qu'il aurait voulu poser, mais il n'était pas sûr d'en avoir envie et encore moins qu'elle aurait aimé y répondre. Pas pour le moment, en tout cas.
« Au magasin d'aliments pour animaux, Tony Roberts m'a dit que je ferais mieux de ne pas traîner et de rentrer avant le commencement de la tempête, et je lui ai répondu...
- À quelle distance sommes-nous de cette ville? la coupa-t-il.
- Un bon bout de chemin », fit-elle vaguement, détournant les yeux vers la fenêtre.
Il y eut un bizarre moment de silence, et Paul fut effrayé par ce qu'il vit sur son visage - ou plutôt par ce qu'il n'y avait pas : un visage vide, le néant d'une crevasse cachée dans les plis d'une prairie de montagne, des ténèbres où ne poussait aucune fleur et dans lesquelles une chute pourrait durer longtemps. Le visage d'une femme qui venait de larguer momentanément tous ses ancrages vitaux, tous ses points de repères, une femme qui non seulement avait oublié le souvenir qu'elle était en train de raconter, mais toute mémoire.


Éditions J'ai lu - 439 pages