Bhasi le timbré, le curieux peintre en bâtiment du village va tenter de sonder l'âme de Mukundan pour en faire un homme meilleur, qui ne sacrifierait pas l'amitié et l'amour pour le prestige d'une plus haute position sociale au sein du village.

Parmi les auteurs indiens actuels, Anita Nair est probablement celle dont le style (une fois traduit en français) me semble le plus intéressant, aux images littéraires aussi recherchées que leur lecture en est agréable. J'avais beaucoup apprécié son roman Compartiment pour dames, et dans une moindre mesure le recueil de nouvelles Un chat karmique. Je n'ai pu m'empêcher de dévorer ce premier roman.

Elle nous emmène donc dans un petit village du Kerala et nous décrit la vie de ses habitants, leurs plaisirs, leurs drames, leurs rivalités, de la gargote de thé au débit de boissons, en passant par le bureau de poste. Le personnage apathique de Mukundan évolue sous l'influence des autres villageois et surtour de Bhasi, et si les prétentions quasi-magiques de ce dernier pour « guérir » Mukundan m'ont un peu énervé au début du roman, le récit de leur amitié progresse de façon très intéressante jusqu'aux explosives fêtes de Pooram...

Du même auteur : Les neufs visages du cœur, Balades indiennes, Quand viennent les cyclones

Par Joël

Extrait :

Si la fluidité est l'essence de la peinture, alors la peur est celle de ta vie. Une peur qui semble ne connaître aucune limite, n'avoir ni début, ni fin. Une peur qui te traverse comme la route traverse ce village. Qui marque la frontière entre ce que tu pourrais être et ce que tu n'es pas. Quand j'ai attaché les murs de ta maison avec des poignées de fibres rêches de coco pour ôter à la fois la couche de saleté et les marques incrustées par le temps, j'ai essayé de comprendre comment je pourrais arriver au même résultat avec toi. Pour débarasser ton âme des scories qui l'encombrent et laisser s'évacuer la peur, j'ai besoin de savoir ce qui te retient ainsi prisonnier d'une telle terreur.

Dis-moi, Mukundan, dis-moi ce qui te hante à ce point. Parle-moi des ténèbres qui obscurcissent ta vie. Explique-moi pourquoi tu plies si méticuleusement ton mouchoir en huit. Pourquoi tu insistes pour que chaque filament de fibre de noix de coco aille rejoindre un tas bien précis quand il est usé. Pourquoi tu t'es ainsi rendu esclave de la pendule. Dis-moi ce qui donne tant de prix à la perfection. Dis-moi pourquoi tu portes sur toi l'odeur de l'animal traqué.

Dis-le-moi. C'est ta seule issue. Ton seul espoir et peut-être, un jour, la clé de ton bonheur.


Éditions Picquier poche - 475 pages
traduit de l'anglais par Marielle Morin