Mais pour pouvoir monter une telle œuvre, il faut des moyens humains colossaux : 4 solistes, 80 choristes et 60 musiciens. Comment réunir tous ces musiciens, quand les trains vers la mort ne s'arrêtent pas et emportent dans leurs wagons une partie de la formation?

Josef Bor, qui a lui même vécu l'horreur de cette anti-chambre d'Auschwitz, n'a pas voulu ici retranscrire l'horreur du quotidien des prisonniers. De fait, le récit ne fait que suggérer, mais avec quelle force, les tortures, les privations, les départs... Tout le récit repose en fait sur les épaules de Raphaël Schächter et de sa folle entreprise : faire résonner dans le camps la mélodie de Verdi.
L'action se déroule donc la plupart du temps dans la cave qui servira de salle de répétition : les auditions, la recherche de la juste interprétation, l'appropriation de ce Requiem qui résonne comme un chant de résistance. Car rapidement,  Raphaël Schächter se rend compte qu'il s'est trompé : chanter Verdi ne permettra pas de prouver l'imposture, mais donnera aux artistes du camps la force nécessaire pour supporter l'inconcevable.
Raphaël Schächter, sous la plume de Josef Bor, est loin d'être manichéen et ses réactions mettent parfois le lecteur mal à l'aise, comme quand certains de ses artistes choisissent, pour ne pas être séparés de leurs famille, la mort et la déportation plutôt que la musique :

« Il m'ont trahi, tous m'ont trahi. Pourquoi n'ont-ils pas accepté de laisser leurs famille partir sans eux, pourquoi avoir voulu absolument les suivre? »[...] Il se sentit trompé, son cœur était irrémédiablement bouleversé, son œuvre resterait inachevée. Une profonde amertume s'empara de son esprit sans doute n'avaient-ils en effet jamais vraiment cru à sa réussite : tant d'échecs, tant de difficultés restaient insurmontables. Il avaient donc renoncé, pour leurs familles, ils s'étaient même sacrifiés vainement, sans songer au réconfort qu'ils auraient pu apporter aux autres en restant.

Autant de froideur, si peu de compréhension pour le drame qui se joue, fait froid dans le dos. Mais peut-être fallait-il effectivement un homme totalement centré et préoccupé par ses seules partitions pour venir à bout de ce projet. Car  Raphaël Schächter parviendra à ses fins, et le Requiem qu'il donnera avec ses frères de camps sera le cri de tout un peuple.

Le Requiem de Terezin n'est pas vraiment un roman, mais plutôt un témoignage singulier tentant à démontrer que l'espoir peut grandir au milieu de l'horreur.  L'histoire de  Raphaël Schächter est réelle et son Requiem a effectivement résonné dans le camp de Terezin.

Voir aussi les avis de Laure et Lau

Laurence

Extrait :

Schächter eut à ce moment là la révélation de ce qu'il n'avait jamais pu expliquer jusqu'alors. [...] « Il est beaucoup plus facile pour un homme aujourd'hui, se dit-il, d'imaginer les tourments de l'enfer que ce ne le fut pour Dante. Un Juif qui se débat entre les griffes des nazis connaît déjà ici-bas le royaume des ombres dans toute son horreur. » Il ne lui fallait donc plus concevoir l'exécution de ce Requiem dans un esprit chrétien, mais d'une manière nouvelle et différente, qui affirmerait surtout sa foi dans la justice de l'Histoire et en ce monde. Il lui sembla que les prisonniers de ce camp ne pourraient comprendre cette œuvre qu'interprétée de cette façon : Juifs, chrétiens et athées la chanteraient ensemble.


Éditions Le Livre de Poche - 124 pages