Ce court d’Andreï Guelassimov m’a plu à plusieurs titres. Tout d’abord, il y a l’évocation de la guerre en Tchétchénie par un auteur russe, ce qui est en soi une prise de risque quand on voit ce qui est arrivé à Anna Politkovskaïa. L’auteur ne présente ici que les soldats russes, les combattants tchétchènes n’étant que des ombres sur le toit des immeubles. Il y a dans le comportement des soldats russes un mélange d’angoisse et de dérision, nécessaire pour supporter le danger de ce qui les attend. Il présente surtout les conséquences de la guerre sur les anciens soldats qui ont des difficultés à se réinsérer dans la société russe.
Le deuxième aspect que j’ai apprécié est la rédemption qui s’offre à lui. Pas une rédemption instantanée, mais qui passe par de multiples détails et événements qui changent sa manière de concevoir sa vie. Le retour vers le dessin, et les bons souvenirs du directeur de son ancienne école lui permettent de reprendre pied dans cette société qui a du mal à accepter son nouveau physique. La recherche de son compagnon militaire, présumé disparu, l’oblige à reprendre contact avec sa famille, qu’il avait délaissé. Et si la situation s’améliore, elle ne bascule pas du tout au tout. La réconciliation entre deux autres de ses amis militaires marque le clou de cette nouvelle naissance. C’est cet état d’entre-deux que j’ai trouvé très vrai, un état où tout n’est pas rose, mais où la situation peut tout de même s’arranger un minimum.
Un autre élément que j’ai beaucoup aimé, après avoir été un peu perturbé, est la narration. Le roman est écrit à la première personne, avec Kostia pour narrateur. Les épisodes marquant de sa vie (l’accident militaire, les cours de dessin) prennent place de manière inopinée au cours du récit de sa vie. L’élément perturbateur est que ces sauts dans le passé ne sont jamais signalés, ni par un changement de paragraphe, ni par un autre signe. Le lecteur est donc obligé de remettre les éléments dans l’ordre, et surtout replacer l’action dans le contexte qui est le sien. Une fois compris le mécanisme d’écriture, cela ne pose en fait que peu de difficultés, et donne une vraie unité au récit.
Un auteur à découvrir, qui s’engage dans la vie de son pays (et quand on connaît un peu la situation actuelle de la Russie, c’est un acte très fort qu’accomplit là Andreï Guelassimov !)
Les avis de Tamara, Chiffonnette et Emeraude
Du même auteur : L'année du mensonge
Par Yohan
Extrait :
Quand je suis arrivé à peu près à mes fins, on a sonné à la porte. Je n’ai pas voulu ouvrir tout de suite parce qu’il était tard, et puis j’ai ouvert quand même. Ca ne pouvait être qu’Olga. Même ma mère, ça faisait six mois qu’elle n’avait pas mis les pieds chez moi. On ne communiquait que par téléphone.
- Excuse-moi, qu’elle a fait, de te déranger à nouveau. J’ai mon Nikita qui fait encore des siennes. Viens me donner un coup de main. Je n’en viendrai pas à bout toute seule.
- Pas de problèmes ! ai-je répondu
J’ai jeté ma veste sur les épaules et je l’ai suivie. J’ai laissé ma porte ouverte.
- Alors comme ça, il y a quelqu’un qui ne veut pas dormir ici ?
Le gamin a sursauté et m’a fixé comme si j’étais un spectre. Ses cubes lui en sont tombés des mains.
- Qui est-ce qui n’écoute pas sa maman ?
Il me regarde sans broncher. Les yeux comme des soucoupes.
- Allez, prépare tes affaires. Puisque tu ne veux pas obéir à ta maman, tu vas venir habiter chez moi. Tu ne peux prendre qu’un seul jouet.
Il reste silencieux, la bouche grande ouverte.
- Lequel on va prendre avec nous ? La petite voiture, ou bien ce bonhomme ? C’est qui, celui-là ? Superman ? Allez, vas-y, prends Superman.
Son regard se reporte sur Olga et il murmure :
- Je vais dormir. Je vais aller au lit tout seul, maman.
- C’est parfait. Tu as vite compris. Si tu recommences encore une fois, je reviens et je te prends avec moi pour de bon.
Arrivé à la porte, Olga m’a retenu :
- Tu veux du thé ? Allons à la cuisine – je viens d’en faire.
- Ma porte est restée ouverte. On ne sait jamais ce qui peut arriver…
- Excuse-moi de toujours t’embêter, me dit-elle alors. C’est que… il n’a peur que de toi… Moi, il ne m’obéit plus du tout.
Je me suis mis à rire.
Éditions Babel - 126 pages
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