Jella pousse comme les fleurs sauvages de la montagne, sa seule confidente avec son cabri noir. Le jour où sa mère revient, cette dernière meurt de maladie et d'épuisement. Spontanée, belle, les hommes du village ne la voient que comme la fille de sa mère. Leurs désirs s'enflamment rapidement attisés par la défense énergique de la jeune fille. Jella doit fuir. Elle passe au-delà des montagnes et trouve refuge auprès du vieux Pierre, garde-barrière de son état. Ils finissent par se marier. Cette histoire pourrait s'arrêter là mais c'est sans compter avec l'arrivée d'André, un autre préposé à l'entretien des voies du chemin de fer.

Cette trame toute simple est le prétexte pour Cécile de Tormay, auteure très populaire en Hongrie née à Budapest en 1876, de nous raconter les affres des sentiments que découvre Jella. La haine contre le village qui a banni sa mère, sa solitude profonde durant l'absence de celle-ci, ses joies permanentes, son sentiment de sécurité qu'elle éprouve quand elle arpente ses montagnes qu'elle connaît jusqu'au plus petit raidillon. Elle ne comprend pas très bien l'amour silencieux de Pierre, ni sa haine pour la Pusztsa, la grande plaine, d'où vient André. La jalousie s'empare d'elle quand, après être tombée amoureuse d'André, elle apprend qu'il va partir auprès de la femme qu'il a laissé là-bas. Le drame s'approche comme une locomotive lancé à pleine vapeur.

Ah !! l'amour, c'est difficile parfois. C'est ce que nous raconte l'auteur en une belle écriture, sans toutes les fioritures du romantisme qui avait cours à l'époque dans les milieux littéraires hongrois. Cécile de Tormay avait délibérément choisi l'option de la sobriété. Pourtant, les sentiments, les états d'âme sont décris avec passion. On peut très facilement s'enflammer avec Jella.
On pourrait, mais cela n'a pas été le cas pour moi. J'ai apprécié cette lecture comme une curiosité. Je n'ai pas réussi à m'identifier à l'héroïne, peut être trop immature à mon goût, (en sa décharge, personne ne lui a rien appris, même pas sa mère).
A lire par curiosité. J'espère que l'histoire de la belle Jella touchera le cœur des lecteurs.

Dédale

Extrait :

Ce jour où l'on avait chassé sa mère resta dans le souvenir de Jella tel un grand vide effrayant. En revenant des montagnes, elle s'asseyait souvent sur les pierres et se tourmentait en se demandant pourquoi sa vie était différente de celle des autres. Mais elle n'arrivait jamais à formuler une réponse. Elle accusait les hommes d'être la cause de toutes ses peines, et pour qu'ils ne lui rappelassent pas ses frayeurs, le vide et l'obscurité, elle les évitait. Elle fuyait aussi Davorin. Un soir, elle l'aperçut de loin. Il parlait avec la Zorka du maître d'école. La grande face rouge de Zorka était encore plus rouges et Davorin riait encore plus fort que d'habitude. Jella se boucha les oreilles et se cacha derrière les buissons.
Puis une fois, Slatka lui fit dire de venir l'aider dans la cour.
L'aubergiste-maître d'école l'appela également, de même que la belle-soeur de Slatka ; mais Jella se détournait quand ils lui parlaient :
- Je ne vous servirai pas ; je suis « mon propre pauvre ».
Lorsque de grand matin elle allait à la montagne avec ses chèvres, elle entrait souvent à l'église. Ses chèvres l'attendaient au-dehors, et pendant qu'elle priait, elles broutaient l'herbe poussée entre les pierres. Seul, le petit cabri noir fourrait sa tête par la porte entrouverte. L'ombre de ses deux cornes remuait diaboliquement au soleil ; sa clochette tintait dans le silence dévot, et l'on aurait cru une messe. Jella était seule et croyait que dans ces moments-là on pouvait le mieux prier. Dans sa niche, la Vierge à la jupe bleue, qui lui ramènerait sa mère, ne pouvait écouter qu'elle. Mais tant de jours s'écoulèrent qu'elle ne put les compter sur ses dix doigts ; elle se fatigua de l'attente ; elle n'entra plus, le matin, dans l'église ; elle ne regarda plus, le soir, dans le vallon, si la lumière brûlait enfin à la fenêtre. Son corps s'allongea, ses yeux furent pleins d'une grande tristesse. Elle ne se souvenait plus qu'un temps avait existé où elle souffrait de n'avoir personne à qui parler. Elle s'était habituée à ce que personne ne sût ce qu'elle portait dans son codeur ; et à la messe du dimanche, tous se retournaient dans les bancs.

Filles des pierres
Éditions Viviane Hamy Bis - 182 pages