Jean-Pierre Ferland est né le 24 juin 1934, jour de la fête nationale du Québec. Élevé sur le Plateau Mont-Royal, malgré l'amour des mots il suivra les conseils de sa mère et deviendra comptable. Hasard ou calcul, il travaillera à Radio-Canada et aura la chance de rencontrer là ceux qui lui donneront sa première chance. Dès le début de la vingtaine, lui qui ne connaît ni la poésie ni la musique devient chansonnier. Le reste de l'histoire est connu, au moins des Québécois: une période de chansons, la révolution avec Jaune en 1970 considéré encore aujourd'hui comme un des plus grands albums de l'histoire de la musique, des années d'animation de variétés à la télévision et le retour accoustique dans les années 1990, avec le deuxième plus grand album de sa carrière: Écoute pas ça. Et des dizaines de succès: Je reviens chez nous, Le petit roi, T'es mon amour, t'es ma maîtresse, Ton visage, Une chance qu'on s'a, etc. Ajoutez à cela certains moments presque oubliés maintenant: tel l'échec retentissant de la comédie musicale Gala.
Or, Ferland c'est aussi un homme tout en paradoxes. À la fois égocentré et généreux, grand artiste subissant un constant syndrome de l'imposteur, homme à femmes qui souffrira sa dose de cet amour qui est toute sa vie. C'est cette histoire que Sophie Durocher veut nous raconter: la sienne.
Ce beau livre, et beau il l'est, rempli de photos et de couleurs, est pourtant un bien étrange objet. En fait je lui ai trouvé tellement de défauts que j'aurais du mal à tous les nommer. Commençons par les faits: le livre est rempli de contradictions de faits: ici Ferland fait Bobino avec Anne Sylvestre en 1963, là-bas en 1968. Ici la mère de Ferland écrit dans son cahier que son fils est né à 7h40, plus tard Ferland affirme que lui et sa femme sont nés tous les deux à 5h55. Et que dire des paroles de chanson mal retranscrites...
Autre sérieuse réserve, c'est un livre résolument people où pour chaque événement de la vie de Ferland on nous annonce quelle autre vedette se trouvait là, ce soir-là. Beaucoup trop d'informations s'amoncellent comme si l'auteure n'avait pas su discerner ce qui avait de l'intérêt global ou non. Dans la section sur les amours et amourettes, par exemple, on nous raconte qu'il a déjà embrassé son attachée de presse sur le siège arrière d'une voiture. Admettons que sur la vie complète d'un homme de 70 ans qui a connu son lot de mariages et d'aventures, il s'agit d'un élément plus qu'anecdotique. Pourquoi l'avoir raconté? Probablement que le récit a fait sourire l'auteure qui côtoyait les protagonistes depuis quelques mois.
Justement, c'est peut-être là le cœur du problème. L'auteure ne semble jamais s'effacer derrière son sujet. Ce livre est celui de sa rencontre avec Ferland, son plongeon dans sa vie et ses archives, plus que la vie de Ferland elle-même. À la longue, c'est profondément irritant.
Ajoutons que certains jugements de l'auteure me semblent franchement posés problème. Par exemple, l'auteure estime que les paroles de la chanson Les Framboisiers, chanson qui a fait un scandale en 1962, paraissent aujourd'hui bien inoffensives. Pour illustrer, elle cite le refrain et deux lignes d'un couplet. Or, cette chanson qui tout au long parle de la vie sexuelle de ce qui semble être «un couple», se termine par «Après ça tu te demanderas pourquoi j'en ai déduis que je ne t'aimais pas et que je ne te marierais pas.» Il est là le scandale! Il ne s'agit pas de l'appuyer mais de reconnaître son contexte historique. Et ça... c'est globalement assez absent de l'ouvrage. Mais par contre, on sait qui couchait avec qui et quand et tous les cadeaux que Ferland a fait à ses amis à travers le temps... Dommage, nous attendrons encore l'ouvrage qui sortira un peu Ferland du showbusiness pour nous parler de l'artiste. Peut-être aussi qu'il ne viendra jamais... paradoxe du personnage oblige.
Faites le test: voyez l'extrait suivant portant sur l'enfance de Ferland! Si c'était passé sous mon crayon rouge, je vous dis pas... la redite et l'inutile détail!
Voir aussi : Mes années d'école de Jean-Pierre Ferland.
Par Catherine
Extrait :
Chez les Ferland, on n'est ni pauvre ni riche, mais on connaît la valeur de l'argent. Pendant une dizaine d'année, une bonne viendra aider Anna - chez qui une grossesse n'attend pas l'autre - à faire le ménage.
L'arbre généalogique de Jean-Pierre n'a rien d'ordinaire. Son grand-père paternel, Alfred, est souffleur de verre. Deux de ses oncles travaillent aux ateliers ferroviaires Angus comme polisseurs de roues d'acier. Son grand-père maternel, Julien Durand, le deuxième mari de sa grand-mère, est un ancien représentant pour une compagnie de vêtements sacerdotaux devenu... bootlegger ! Un Français moustachu qui a fait le trafic d'alcool entre sa Bretagne natale et les îles Saint-Pierre-et-Miquelon pendant la prohibition, dans les années 1920. Son petit commerce lucratif lui a permis d'acheter deux blocs-appartements rue Chapleau, deux autres rue Chambord où habitent, d'un côté, la famille de Jean-Pierre, et de l'autre la famille de sa cousine Marie-Claire. Les enfants adorent voir Julien Durand garer sa Dodge blanche et beige (avec des stores dans les fenêtres!) devant la maison. Surtout si Julien les emmène à la pêche.
Voilà pour le portrait de famille! Mais déjà, il faut le reconnaître, les débuts ne sont pas banals: chaque année, le jour où les Québécois sortent leur fleurdelisé pour célébrer leur fête nationale, Jean-Pierre Ferland, lui, fête son anniversaire. Naître un 24 juin, le jour même où l'on honore le saint patron des Canadiens français, saint Jean-Baptiste: difficile de faire davantage pure laine, plus québécois! La symbolique est aussi forte qu'un Français qui aurait vu le jour un 14 juillet, le jour de la prise de la Bastille, ou un Américain Born on the 4th of July.
Libre Expression - 160 pages
Commentaires
mercredi 10 septembre 2008 à 21h21
Je suis fière de toi, tu as réussi à adopter un ton relativement « neutre » dans ton commentaire de lecture.
vendredi 12 septembre 2008 à 05h11
Je sens qu'on ironise sur mon dos ici ;o)