Narrée par Léo, il est impossible de raconter cette histoire parce qu'une bonne partie du plaisir de lecture réside dans les inattendus. Mais entre les deuils, les séparations, la créativité et les recherches, c'est aussi un regard sur la fin du vingtième siècle très pertinent. Par exemple, le personnage de Violet (mon coup de coeur!) fait de recherches sur les «maladies générationelles» comme l'hystérie, les problèmes alimentaires, les effets de mode et autres. Outre ce regard plus large. la psychologie des personnages est très fine et très recherchée. Ce livre est vraiment une grande fresque où se succèdent succès, plaisir, désillusions, déceptions, peurs et ruptures. Avec une permanence dans l'amitié qui combat l'éphémère. 

On peut tout de même dire, sans trop avancer sur l'intrigue, que la mythomanie d'un des personnages est le sujet central de la deuxième partie du roman. Psychologiquement très troublé, vide de l'intérieur, voilà le meilleur portrait que j'aie lu de ce besoin d'amour qui se transforme subtilement en maladie mentale.

Vers la fin du livre, la trame se transforme presque en polar. Sur le coup, ça m'a un peu irrité, me donnant l'impression que l'auteure s'éloignait de sa trame originelle. Après coup, quand je repense à l'ouvrage, j'avoue que je n'en suis pas indisposée, comme si tous les morceaux disparates formaient une mosaïque cohérente.

Par Catherine


Il m'arrive souvent de déplorer d'avoir une mémoire si sélective et si capricieuse. Mais lorsque j'ai lu ce roman, pour la première fois de ma vie, j'ai apprécié ce défaut… Je m'explique. Catherine a lu ce roman avant moi et nous en avons parlé toutes les deux (entre autres personnes) il y a de cela plusieurs semaines (je sais, nous n'aurions pas dû, mais que voulez-vous…). Peu de temps après, j'ai emprunté le roman, mais en ayant totalement oublié cette conversation que nous avons eue. Ce n'est qu'en lisant les passages dont nous avions discuté que je me suis souvenue de ce qu'elle avait dit. Et je suis vraiment, vraiment contente de ne pas m'être souvenue de cette conversation que nous avons eue car ainsi, j'ai pu aborder le roman sans aucun a priori, sans aucune attente. Et je peux dire maintenant que j'ai lu le livre qu'il est très important de ne rien connaître de l'histoire pour apprécier pleinement l'intrigue développée dans ce roman. Trop en savoir gâche généralement le plaisir de la lecture et de la découverte (sauf dans le cas d'une relecture volontaire, entendons-nous bien, mais cela, c'est une autre histoire), mais c'est surtout vrai pour ce livre. C'est un roman étonnant, rempli de surprises, de retournements de situation inattendus et de révélations incroyables. Lire ce roman, c'est accepter d'être étonné à toutes les pages, accepter de se poser des questions, accepter de perdre tout repère et se contenter de se laisser emporter par l'histoire sans résistance …. Ce roman m'a souvent déstabilisée. Plus d'une fois, je me suis demandée où l'auteure voulait en venir. Et plus d'une fois, je me suis fait surprendre par le tour que prenait l'histoire, auquel je ne m'attendais pas le moins du monde.
Je me suis également souvent questionnée sur la nature de ce roman, sans parvenir à prendre de décision. Miroir de la société, étude comportementale, plongée dans les tréfonds de l'âme humaine, étude des secrets de cette même âme, enquête policière, roman sur l'art et le rapport à la création ? Tout cela en même temps, je dirais, et bien d'autres choses encore. Avec Tout ce que j'aimais, Siri Hustvedt nous embarque dans la vie (les vies ?) de deux couples d'artistes. Pendant 450 pages, nous les suivons dans leur quotidien et traversons à leur côté les épreuves de la vie (qui sont quand même assez nombreuses, il faut bien le reconnaître). Nous sommes heureux avec eux, nous avons de la peine avec eux. N'est-ce pas à cela que l'on reconnait un bon roman ? Quand on compatit sincèrement à la douleur des personnages comme s'ils étaient nos amis ?
Tout ce que je peux ajouter à ce que j'ai déjà dit, c'est que j'ai trouvé le style de l'auteur vraiment très prenant. Sans que je ne m'en rende compte, je me suis retrouvée prise dans l'engrenage de la lecture sans avoir envie d'en sortir, avide de connaître la suite et de savoir comment le nœud va se dénouer.
 
C'est indéniable, Siri Hustvedt a fait preuve avec ce roman d'un talent incontestable, un talent qui lui a valu d'être reconnue comme l'une des auteures majeures de sa génération. Un avis que je partage. Assurément, la seconde femme de Paul Auster est une excellente auteure et c'est avec plaisir que je découvrirai ses autres romans !

Pimpi
le 26 octobre 2008

Extrait :

L'été de ses neuf ans, Matt commença à inclure un personnage dans presque tous ses dessins de ville: un homme âgé et barbu. On l'apercevait en général par la fenêtre de son petit appartement et, tel un reclus de Hopper, il était toujours seul. On lui voyait parfois un chat gris, se promenant sur l'appui de la fenêtre ou roulé en boule à ses pieds, mais jamais de compagne humaine. Sur l'un des dessins, je remarquai que l'homme était tassé dans un fauteuil, la tête dans les mains

«Ce pauvre type revient tout le temps, observais-je.

- C'est Dave, dit Matt. Je l'appelle Dave.

- Pourquoi Dave? demandais-je.

- Je ne sais pas, c'est son nom. Il est très solitaire et je pense souvent qu'il devrait rencontrer quelqu'un mais, quand je me mets à le dessiner, il est toujours seul.

- Il a l'air malheureux, dis-je.

- Je suis triste pour lui. Son seul ami, c'est Durango (il me montrait le chat). Et, tu sais, papa, les chats s'en fichent dans le fond.

- Eh bien, suggérais-je, peut-être qu'il va se trouver un ami...

- Tu pourrais croire que je n'ai qu'à le faire, puisque je l'ai inventé, mais oncle Bill dit que ce n'est pas comme ça que ça se passe, on doit sentir ce qui est juste, et parfois ce qui est juste dans l'art est triste.»

Tout ce que j'aimais
Éditions Babel - 453 pages