Le Japon, fermé sur lui-même depuis des décennies, refusant l'accès aux étrangers, n'est pas condamné par les épidémies. Mais acceptera-t-il la visite de ce Français venu de loin, la bourse chargée d'or, pour voir survivre l'industrie de son village? Le vis-à-vis japonais d'Hervé Joncour s'appelle Hara Kei. Seigneur d'un village, il se prendra d'affection pour le jeune français et lui permettra de faire des affaires d'or. Hervé Joncour retournera chaque année au Japon, malgré le danger et la peur de sa femme Hélène.
La première fois qu'Hervé Joncour rencontre Hara Kei, couchée près de lui, la tête sur ses genoux se trouve une femme. Elle n'a pas les yeux orientales et un visage de jeune fille. Elle n'a pas de nom, pas de voix.
Mais nous l'appellerons Désir...
Il est difficile de faire le résumé d'un livre aussi contemplatif et minimaliste. Ceux qui connaissent mes goûts en comprendront que j'ai adoré! Je n'ai pas vu le film et ne peut en juger, mais en le lisant je me disais qu'il fallait avoir du front pour décider de faire un scénario avec un fil si fin, une écriture si musicale et profondément poétique. Un bouquin qui se lit en une soirée mais qu'on peut gagner à lire lentement, dans le rythme contemplatif qu'il lui sied. Je résumerais en citant une amie qui m'a dit il y a une semaine: «Chanceuse! Tu ne l'as pas encore lu...» En effet, certaines œuvres méritent qu'on savoure la première fois. Il y en aura d'autres. Mais la première n'existe qu'une fois...
Du même auteur : Novecento : pianiste, Océan mer, City et L'âme de Hegel et les vaches du Winsconsin, Mr Gwyn
Par Catherine
Extrait :
Un panneau de papier de riz glissa, et Hervé Joncour entra dans la pièce. Hara Kei était assis sur le sol, les jambes croisées dans le coin le plus éloigné de la pièce. Il était vêtu d'une tunique sombre, et il ne portait aucun bijou. Seul signe visible de son pouvoir, une femme étendue près de lui, la tête posée sur ses genoux, les yeux fermés, les bras cachés sous un ample vêtement rouge qui se déployait autour d'elle, comme une flamme, sur la natte couleur de cendre. Hara Kei lui passait lentement la main sur les cheveux: on aurait dit qu'il caressait le pelage d'un animal précieux, et endormi.
Hervé Joncour traversa la pièce, attendit un signe de son hôte, et s'assit en face de lui. Ils restèrent silencieux, se regardant dans les yeux. Survint, imperceptible, un serviteur, qui posa devant eux deux tasses de thé. Puis disparut. Alors Hara Kei commença à parler, dans sa langue, d'une voix monotone, diluée en une sorte de fausset désagréablement artificiel. Hervé Joncour écoutait. Il gardait les yeux fixés dans ceux d'Hara Kei, et pendant un court instant, sans même s'en rendre compte, les baissa sur le visage de la femme.
C'était le visage d'une jeune fille.
Il releva les yeux.
Hara Kei s'interrompit, prix une des deux tasses de thé, la porta à ses lèvres, laissa passer quelques instants et dit
- Essayez de me raconter qui vous êtes.
Il le dit en français, en traînant un peu sur les voyelles, avec une voix rauque, vraie.
Éditions Folio - 142 pages
Commentaires
vendredi 19 septembre 2008 à 10h47
Je ne peux qu'abonder dans ton sens Catherine.
J'ai découvert ce court texte il y a deux ans et j'en garde un souvenir profond de paysages, de calme et de beauté.
Que dire de plus dessus, sinon que les amoureux de la langue seront comblés et qu'il vaut la peine d'être au moins une fois lu.
vendredi 19 septembre 2008 à 12h33
Vous m'apprenez l'existence du film tiré de ce beau roman. Risqué en effet de mettre en image un récit aussi épuré...
vendredi 19 septembre 2008 à 15h07
Un des rares livres que j'ai lus plus d'une fois!
vendredi 26 septembre 2008 à 09h58
Bonjour
Avez-vous perçu des symboles mythologiques et ésotériques dans le texte ? Vous dites que la première fois n'existe qu'une fois. Mais le charme de ce livre est qu'il peut y avoir plusieurs interprétations du texte. Lorsque qu'on déchiffre les symboles, chaque relecture est une nouvelle première fois.
Voici quelques pistes :
- aspect musical du nom Baldabiou : un nom chantant dans lequel on peut entendre Balade, Babel => la tour de Babel (symbole 16 TAROT : perte de communication qui engendre la fatalité du destin qui détruit pour pouvoir reconstruire sur les ruines)
- 1er voyage sur le bateau, à la roue, le chiffre 16 n'arrête pas de sortir. Le chiffre 16 symbolise le soufre (masse atomique, symbole des Francs Maçons). Le soufre peut servir à faire de l'engrais mais aussi de la poudre à canon. Tout est question de choix et "Ste Agnès déteste les militaires"
- début de l'histoire : Baldabiou arrive en ville, tend un carré de soie et dit :"qu'est-ce que c'est ?" => carré de soie = HERMES => HERMES est le messager des dieux, enseignant des écritures, protecteur des commerçant et des trafiquants. Baldabiou va faire d’Hervé un commerçant et un trafiquant. Il est une représentation de HERMES
- Hara Kei, Hervé et Hélène portent la marque d'Hermès. Baldabiou et Blanche portent la marque de Baricco.
- Hervé fait la navette entre le sud ouest de la France et le Japon => les noms se lisent dans les deux sens : HERVE = EVREH = est vrai HELENE = ENELEH = en elle est => HARA = ARAH - AGNES = SEGNA = SAIGNA .
- mais HERVE, dans le désordre donne révé - oui mais AGNES dans le désordre est ANGES -
- HARA en japonais signifie ventre, centre de gravité. KEI signifie respecter, vénérer => Baldabiou envoie HERVE sur un chemin initiatique, il rencontre une femme étrangère, par l'intermédiaire d'un homme qui s'appelle ventre vénérer ou ventre respecter. Cet homme lui dit un jour "elle ne connait pas votre langue"
La route de la soie reliait le Chine à l'Europe. Pas le Japon. Mais le Japon = Pays du soleil levant. Si vous allez vers l'Est, vous remontez le temps.
Si le Japon est le pays du soleil levant. Le mot Blanc vient de Blank (germanique) et signifie Lumière.
1ère rencontre avec Madame Blanche = elle est près d'une fenêtre, porte un kimono blanc et sa peau est immaculée => Elle porte le nom lumière, réfléchit la lumière, sa peau est immaculée et aux doigts, elle porte des petites fleurs bleues => Blanc / Bleu sont les couleurs de la vierge Marie, la Mère. D'où le paradoxe de la situation.
Les petites fleurs bleues sont des myosotis : oreilles de souris (Hervé est particulièrement sensible au sons) l'autre nom des myosotis est "Forget me not"
Baldabiou et sa canne de jonc => Hermite, la canne de jonc est un attribut Franc-Maçon. Hervé porte le nom JONCOUR = jonc court = Il en est au début de son initiation et porte en lui une stérilité congénitale. Il préfère rêver que vivre sa vie. Il aime écouter mais n'entend pas les messages.
Cherchez l'histoire de Ste Agnès (Romaine)
Baldabiou construit un cloitre contre le l'église de ST Agnès, il est rond, et pour garder l'entrée il veut des dauphins, plutôt que des taureaux (cherchez la symbolique des taureaux)
Les dauphins communiquent par ultra sons. Ce ne sont pas des poissons mais de Mammifères. Par contre le signe astrologique des poissons est lié à Vénus (l'étoile)
Le fleuve Amour rejoint l'Océan => Alpha dans Oméga = si vous écrivez les symboles A qui entre dans Ω vous trouverez le signe de TANIT.
Le jardin de Baldabiou est une construction maçonnique d'une profession de foie ésotérique. Un jardin secret. Poisson = 1er symbole chrétien ICHTYS
et pour finir : HERMES = HERMES TRISMEGISTE : 3 fois grand, fondateur de l'occultisme. Thème principale : la mort, la putréfaction, la résurrection => synthétisée par le ver à soie. Caché dans le cocon, il se dissous pour se transformer en papillon.
Bonne relectures
lundi 8 décembre 2008 à 11h38
Soie est avant tout un brillant exercice de style que Baricco, le musicien des mots, s'est amusé d'écrire. Des notes blanches, des demi-silences qui laissent deviner les grands thèmes de Baricco. Ceci étant dit il a écrit bien mieux que ce bref roman.
mardi 9 décembre 2008 à 22h59
Bonsoir Carole,
tout d'abord, merci pour ce commentaire qui fait vraiment halluciner ! Depuis, on n'arrete pas de chercher d'autres signes dans le livre et on a trouvé que le symbolisme des couleurs allait encore plus loin que le simple bleu/blanc = vierge.
Par exemple, le bleu est aussi le symbole du rêve (entre autres) et nous avons noté particulièrement la couleur orange qui, à mi-chemin entre l'or céleste et le gueules chtonien, est le symbole du point d'équilibre entre l'esprit et la libido. Mais si l'équilibre est rompu le Orange devient alors l'image de l'infidélité, de la luxure... or la femme mystérieuse est habillée en orange à leur deuxième rencontre et lors de la nuit d'amour avec la jeune japonaise, la femme mystérieuse s'en va avec une lanterne orange.
Bonne relecture !
mardi 6 janvier 2009 à 13h46
Ok, parlons couleurs. Dans le roman, 4 histoires cohabitent et s’entremêlent, comme les fils de soie tissent une étoffe aux reflets mouvants. La perception qu’on en a dépend de l’angle et de la lumière sous lesquels on l’appréhende. Il y a l’histoire du commerçant découvrant le Japon, en suivant la route aventureuse et exotique de la soie. Il y a une allégorie fantasmée d’une découverte, érotique, de la sensualité et de la caresse. Il y a une évocation psychologique de l’anima refoulé chez un homme au « tempérament autiste ». Il y a le message onirique. L’alternative ésotérique d’une autre réalité, voilée derrière une parabole.
Lors de la 1ère rencontre au Japon, HJ perçoit une voix de fausset, désagréablement artificielle. Jusqu’au moment où Hara Kei lui parle le seul langage à sa portée. Il lui dit, d’une voix rauque, vraie : « essayez de me raconter qui vous êtes ». C’est typiquement une démarche de psychologue ou de thérapeute. Il s’agit de « libérer le KA d’Hervé ». HJ entame un voyage en thérapie. Le japonais n’est là que pour servir de « caisse de résonnance » à la voix de Joncour. Si on appréhende la scène sous l’angle psycho, la femme allongée, n’est autre que l’anima de Joncour. Sa part de féminité maintenue sous silence. Dès cet instant, Hervé se raconte et il s’auto hypnotise.
Maintenant, focalisez-vous sur la description des personnages. Vous découvrirez, dans le ton du narrateur, la distance de l’auteur par rapport à HJ. Hervé Joncour avait fini par gagner sa vie grâce à une profession insolite, à laquelle n’était pas étrangers, par une singulière ironie, des traits à ce point aimables qu’ils trahissaient une vague inflexion féminine. Savoureuse description. Tout est dit entre les lignes.
Pour HK, c’est arrêt sur image. La jeune femme prend la situation en main, si j’ose dire. Un regard, un geste et elle magnétise le Français, tel le serpent tentateur du jardin d’Eden. HK, lui, devient un artéfact. La jeune femme porte un ample vêtement rouge qui se déployait autour d’elle, comme une flamme… . En clair, si les yeux d’Hara Kei restaient fixés sur les lèvres d’Hervé Joncour comme si elles étaient les dernières lignes d’une lettre d’adieu, Joncour, lui, s’emble s’être laissé hypnotiser par une flamme dansant devant ses yeux.
En Egypte, le rouge symbolisait l’amour divin. En Chine et au Japon cette couleur donne vie et éloigne les démons. En peinture, la proximité d’une couleur sombre exalte une couleur claire. Et, il faut le remarquer, dans cette scène Hara Kei était vêtu d’une tunique sombre et il ne portait aucun bijou. Rien qui puisse accrocher la lumière. Il s’estompe à la Japonaise.
Contrairement aux apparences, les deux hommes ne jouent par les premiers rôles dans cette scène. Même si, grâce au talent de l’écrivain, au premier niveau de lecture, on ne le perçoit pas. Hervé n’a pas, tout à fait, répondu aux attentes de la dame. Elle lui propose de jouer au chat et à la souris, avec elle. Il se contente de jouer à Malin / Malin et demi avec son alter égo fantasmatique. Masturbation intellectuelle, en quelque sorte, à remettre en perspective avec la lettre d’Hélène, qui du coup prend un autre sens.
La dernière chose qu’il vit, avant de sortir, ce fut les yeux de la jeune fille, fixés dans les siens, parfaitement muets. Comment doit-on interpréter cette phrase sibylline ? A qui sont-ils, ces yeux parfaitement muets ? A lui ou à Elle ?
Joncour se retire un peu vite du petit jeu de séduction. Mais il est parfaitement content de son petit effet.
Quant à la couleur orange … Les sandales et la tunique orange se réfèrent à la tenue des bonzes bouddhistes. Dans cette scène, HK et la Japonaise représentent les deux pôles de la philosophie ZEN au Japon. Hara Kei est un maître shinto. La femme et bouddhiste. Qui à dit qu’elle était la maîtresse du Japonais ? Personne. C’est juste la perception, machiste d’Hervé. Mais du début à la fin du roman, il se trompe.
J'adore ce texte. Je me régale à chaque fois que je le ré-écoute. Car il ne faut pas le lire. Il faut l'entendre. Pour les amateurs, cherchez la version audio lue par Jacques Bonaffé (chez Gallimard), sa lecture de la lettre d'Hélène est ... incandescente.
vendredi 3 juin 2011 à 16h26
Une pure merveille de vie, d'amour et de douceur.
vendredi 3 février 2012 à 15h18
Gros coup de coeur. Un texte superbe. Une très belle plume.