Lorsque débute l'histoire, l'installation d'un riche gentleman dans un voisinage proche met donc toute la gente féminine de Longbourn en émoi. Si Mrs Bennet a des vues très pragmatiques sur le nouvel arrivant dont les rentes s'élèvent à 5000 livres (une véritable fortune), ses filles ont quant à elles des rêves plus romantiques. Et à la perspective d'élargir leur cercle de connaissances très restreint en l'agrémentant d'un jeune homme susceptible d'allier beauté et fortune vient encore s'ajouter le bénéfice de découvrir un nouveau partenaire pour les festivités qui ne manqueront pas d'accompagner son installation dans le domaine de Netherfield Park. Car à n'en pas douter, ce jeune Mr. Bingley ne manquera pas d'offrir à ses voisins quelques réjouissances en se joignant à la compagnie de danseurs et, pourquoi pas, en donnant des bals.
C'est d'ailleurs à l'occasion de l'un de ces bals, dans le bourg proche de Meryton, que les demoiselles Bennet vont faire la connaissance de Charles Bingley, accompagné de ses deux sœurs et de son beau-frère ainsi que de son meilleur ami Mr. Fitzwilliam Darcy, un gentleman dont on dit qu'il vient du Derbyshire, comté fort riche qui passe pour être l'un des berceaux de la révolution industrielle, et qu'il possède dix mille livres de rente. Cette richesse ajoutée à la prestance confèrent au jeune homme des qualités qui vont immédiatement subjuguer toutes les jeunes filles présentes.
D'emblée, les hôtes apparaissent dans toute leur splendeur. Aussi beaux que riches, ils semblent également arborer l'attitude propre à leur classe, un mélange de dignité et d'orgueil, peut-être assorti d'un peu de dédain pour des réjouissances aussi provinciales. Qualités fort heureusement absentes de la physionomie de Mr. Bingley qui s'avère tout de suite un joyeux compagnon et un infatigable danseur.
Et un fervent admirateur de Miss Jane Bennet qu'il accapare à chaque danse.
Malheureusement, le séduisant Mr. Darcy affiche sur son visage et dans ses manières le peu de cas qu'il fait de cette société : il passe la soirée sans prendre part à la moindre danse, si ce n'est pour ne pas condamner Miss Caroline Bingley et Mrs Hurst à faire tapisserie. Et lorsque Charles Bingley l'exhorte à prendre part à la bonne humeur ambiante en invitant Elizabeth Bennet, la sœur cadette de sa cavalière, l'orgueilleux gentleman, après avoir croisé le regard de cette dernière, déclare avec morgue qu'elle est "passable, mais pas assez jolie pour le tenter".
Le sort en est jeté : Elizabeth a entendu cette remarque fort offensante et s'est promptement fait une opinion de ce hautain personnage qui la dédaigne de façon aussi cavalière. Désormais, tout ce que dira ou fera Mr. Darcy sera frappé du sceau infamant de l'orgueil et il faudra à Lizzy tout le roman pour comprendre à quel point elle s'est fourvoyée dans son opinion hâtive et que sa principale erreur aura été de se conformer à ses préjugés.
On l'aura compris, Jane Austen va réunir ces deux-là dans toutes les occasions possibles pour leur permettre de développer un amour passionné et réciproque. Mais sans se priver de les confronter à leurs défauts, à leur vanité et à leurs contradictions. Au passage, Miss Austen en profitera pour dépeindre la bonne société anglaise en égratignant le vernis des apparences et des convenances.
Je ne vous raconterai pas la fin de l'histoire (prévisible) mais je soulignerai le régal, aussi intact à la première qu'à la vingtième lecture, qu'il y a à découvrir au fil des pages comment Jane Austen les conduira à la félicité. Au-delà d'une histoire d'amour somme toute assez classique, il y a dans Orgueil et Préjugés un véritable portait plein d'humour et d'ironie de la bonne société anglaise du XIX° siècle. Aucun des petits travers des personnages n'échappe à Jane Austen et certains d'entre eux sont parfaitement ridicules. A l'image de son héroïne Lizzy, Miss Austen exerce son sens de l'observation et son brillant esprit à démonter l'hypocrisie de cette société où les femmes sont réduites à des objets d'agrément et où la bonne réputation tient lieu de moralité.
La trop courte vie de Jane Austen ne lui a donné le loisir que d'écrire six romans (dont deux seront publiés à titre posthume). En 1796, elle est âgée de 19 ans lorsqu'elle débute la rédaction d'Orgueil et Préjugés sous le titre First impressions (Premières impressions). Remanié par ses soins en 1811, il sera publié deux ans plus tard et rencontrera un vif succès. Ce roman est souvent considéré comme faisant partie d'une trilogie avec Raison et Sentiments (1811) et Persuasion (1818) car tous trois sont ce que l'on qualifie de "romans d'amour". Bien plus que cela, ils constituent une avant-garde du féminisme et une étude très perspicace de la bourgeoisie…
N.B : il existe deux traductions d'Orgueil et Préjugés. Celle reprise ci-dessus est extraite de l'édition 10/18 de V. Leconte et Ch. Pressoir et date de 1932. Malheureusement pour le lecteur anglophile, l'éditeur n'a pas jugé bon de reproduire certains passages de l'œuvre originale contenant des détails, notamment géographiques, propres à la vie anglaise.
On trouve une traduction plus récente de Béatrice Vierne dans l'édition faite par Le Serpent à Plumes pour la collection Motifs. Elle date de 1996 et le style en est plus moderne.
Enfin, le lecteur possédant un bon niveau d'anglais et un dictionnaire se plongera avec délices dans la version originale qui est assez fluide à lire.
Laverdure
Extrait :
Lorsque Jane et Elizabeth se retrouvèrent seules, Jane, qui jusque-là, avait mis beaucoup de réserve dans ses louanges sur Mr. Bingley, laissa voir à sa sœur la sympathie qu'il lui inspirait.
- Il a toutes les qualités qu'on apprécie chez un jeune homme, dit-elle. Il est plein de sens, de bonne humeur et d'entrain. Je n'ai jamais vu à d'autres jeunes gens des manières aussi agréables, tant d'aisance unie à une si bonne éducation.
- Et, de plus, ajouta Elizabeth, il est très joli garçon, ce qui ne gâte rien. On peut donc le déclarer parfait.
- J'ai été très flattée qu'il m'invite une seconde fois; je ne m'attendais pas un tel hommage.
- Moi, je n'en ai pas été surprise. C'était très naturel. Pouvait-il ne pas s'apercevoir que vous étiez infiniment plus jolie que toutes les autres danseuses ?… Il n'y a pas lieu de lui en être reconnaissante. Ceci dit, il est certainement très agréable et je vous autorise à lui accorder votre sympathie. Vous l'avez donnée à bien d'autres qui ne le valaient pas.
- Ma chère Lizzy !
- La vérité c'est que vous êtes portée à juger tout le monde avec trop de bienveillance : vous ne voyez jamais de défaut à personne. De ma vie, je ne vous ai entendue critiquer qui que ce soit.
- Je ne veux juger personne trop précipitamment, mais je dis toujours ce que je pense.
- Je le sais, et c'est ce qui m'étonne. Comment, avec votre bon sens, pouvez-vous être aussi loyalement aveuglée sur la sottise d'autrui ? Il n'y a que vous qui ayez assez de candeur pour ne voir jamais chez les gens que leur bon côté… Alors, les sœurs de ce jeune homme vous plaisent aussi ? Elles sont pourtant beaucoup moins sympathiques que lui.
- Oui, au premier abord, mais quand on cause avec elles on s'aperçoit qu'elles sont fort aimables. Miss Bingley va venir habiter avec son frère, et je serais fort surprise si nous ne trouvions en elle une agréable voisine.
Elizabeth ne répondit pas, mais elle n'était pas convaincue. L'attitude des sœurs de Mr. Bingley au bal ne lui avait pas révélé chez elles le désir de se rendre agréables à tout le monde. D'un esprit plus observateur et d'une nature moins simple que celle de Jane, n'étant pas, de plus, influencée par les attentions de ces dames, Elizabeth était moins disposer à les juger favorablement. Elle voyait en elles d'élégantes personnes, capables de se mettre en frais pour qui leur plaisait, mais, somme toute, fières et affectées.
Mrs. Hurst et mis Bingley était assez jolies, elles avaient été élevées dans un des meilleurs pensionnats de Londres et possédaient une fortune de vingt mille livres, mais l'habitude de dépenser sans compter et de fréquenter la haute société les portait à avoir d'elles-mêmes une excellente opinion et à juger leur prochain avec quelque dédain. Elles appartenaient à une très bonne famille du nord de l'Angleterre, chose dont elles se souvenaient plus volontiers que de l'origine de leur fortune qui avait été faite dans le commerce.
Éditions 10-18, 380 pages ou Éditions Le Serpent à Plumes, 622 pages
Commentaires
dimanche 21 septembre 2008 à 08h35
Voilà un compte rendu comme je les aime ! Qui parle avec chaleur d'un livre qui, à la n-ième lecture, me donne toujours autant de bonheur. Je confirme qu'on peut le lire en anglais sans gros problème .
Et ensuite ? Découvrir les autres œuvres de Jane Austen ...
dimanche 21 septembre 2008 à 13h38
Ce livre est définitivement l'une de mes lectures doudou que je lis et relis encore. Dommage pour les traductions... bien contente de l'avoir lu en VO alors!
dimanche 21 septembre 2008 à 19h40
j'ai lédition du Serpent à plumes. COmme toi, je me suis régalée, j'ai ri, j'ai pesté. Austen a une écriture bien a elle, et pour l'avoir lue aussi en VO, je ne la trouve pas si difficile que cela à lire. Comme Karine, O&P est un must pour moi. J'ai lu quelque part que Disraeli, qui fut Premier Ministre a lu cet ouvrage....17 fois!
mardi 23 septembre 2008 à 12h57
Je l'ai lu en anglais et j'ai adoré l'atmosphère. C'est un vrai régal, ce livre m'a fait un effet comparable à celui d'une bonne tasse de thé accompagnée de petits gâteaux moelleux: ça met de bonne humeur et ça réchauffe les longues soirées d'hiver!
mardi 23 septembre 2008 à 18h44
Indéniablement, Jane Austen fait partie de mes auteurs préférés. J'ai tellement aimé Orgueil et préjugés que je n'ai pas pu m'empêcher d'acheter récemment différentes versions écrites du point de vue de Mr Darcy... on ne se refait pas !
mercredi 24 septembre 2008 à 20h41
Je suis Austen...ien depuis peu, grâce au film Orgueil et Préjugés que j'ai vu et revu ainsi que la série diffusée par la BBC. Il était logique donc que je lise le roman qui m'a fait redécouvrir le plaisir de lire après des nombreuses années d'abstinence. Merci Jane....
dimanche 5 octobre 2008 à 16h56
très beau commentaire, dommage pour l'extrait; je trouve qu'il faut laisser les gens découvrir un livre.
Et il est vrai que je préfère Jane Austen en anglais
mardi 7 octobre 2008 à 00h16
Merci à tous pour les compliments, mais c'est facile à faire avec un tel livre !
A Sheherazade : le principe de ce blog est de faire un billet toujours accompagné d'un extrait. En effet, certains sujets peuvent sembler peu accrocheurs au premier abord et quoi de mieux que de découvrir les mots même, le rythme et la musique de l'auteur lui-même ?
Pour les fans de P&P, ils trouveront prochaînement sur ce même blog une "analyse" du livre, avant que je ne m'attaque aux écrits de Jane Austen ainsi qu'aux nombreux pastiches de P&P (tant du point de vue de Lizzy que de celui de Darcy).
Quant à la V.O, encore un peu de patience, on y travaille !
Laurence, je crois qu'il va falloir qu'on ouvre une étagère spéciale Jane A !
mardi 7 octobre 2008 à 14h38
Des analyses et plus de Jane Austen??? Laverdure, voilà qui me réjouit bien! J'ai hâte!
mercredi 8 octobre 2008 à 01h11
Eh bien Pimpi, tu vas être servi ! je voue un culte à Jane Austen et depuis 15 ans que je tourne autour, je me suis enfin décidée à me lancer dans ce vaste projet. Mais il faudra beaucoup de patience car je suis très occupée et que je suis du genre lent. Mais plus je la relis, et plus je découvre l'importance de son "travail" (elle écrivait pour divertir sa famille en premier lieu) et son influence.
Et la recrudescence de pastiches, de films et adaptations me renforce dans l'idée que ses écrits sont très actuels. Et ceci devrait être le sujet d'un long texte aussi pour bien faire...
Mais je t'encourage à aller lire les analyses qui existent déjà dans le Biblioblog sur d'autres auteurs. Elles sont très pertinentes et j'essaierai d'être à la hauteur !
mercredi 8 octobre 2008 à 02h34
Je dois avouer que le culte que je voue à Jane Austen ne date "que" d'une petite dizaine d'année, de manière assez sporadique, mais plus intense depuis quelques mois. J'ai presque tout lu et j'essaie de me procurer Sanditon et Les Watson en anglais à un prix raisonnable. J'ai Love and Friendship en format ebook mais j'ai du mal à lire sur mon ordinateur, ça fatigue un peu trop les yeux... J'ai acheté quelques dérivés de JA ces derniers temps et c'est un vrai régal. Je suis entièrement d'accord avec toi, les textes de Jane Austen sont tellement actuels et intemporels!! Je n'ai jamais été douée en analyse de textes et il me faut toujours plusieurs lectures pour voir derrière les mots, c'est la raison pour laquelle je me réjouis d'avance de lire tes analyses....
Pour ce qui est de lire les autres analyses du blog, ma foi, cela fait presque un an que je suis régulièrement ce blog donc j'en ai déjà lues pas mal et je fais également partie de "l'équipe de rédaction"
depuis quelques mois. Les derniers événements dans ma vie ont fait que j'ai été assez absente ces trois derniers mois, mais sinon, je suis une fidèle de l'énigme et des billets de tout le monde (même des miens). Je vais d'ailleurs en préparer d'autres très vite, je devrais retrouver un peu de stabilité! En tout cas, je suis bien contente que tu t'attèles à Jane Austen car je n'osais pas le faire moi-même, faute d'esprit d'analyse suffisamment aiguisé!!! A bientôt sur le blog!!
mardi 28 octobre 2008 à 19h34
Et bien j'ai vu la dernière adaption de Joe Wrigth sans avoir lu le livre. Cela m'a vraiment plus. A Noel dernier ma soeur m'a offert le livre. J'ai adoré.. Jane Austen écrit avec une telle sensibilité. On s'y croit vraiment.
lundi 17 novembre 2008 à 00h33
J'ai découvert Orgueil et préjugés par le biais de la télésérie...
Quelles savoureuses heures d'écoute.
Très beaux paysages,dialogue accrocheur,humour subtil,décors grandioses et j'en passe.
Et quoi dire des deux principaux protagonistes...Miss Bennet et M.Darcy...
Ils sont beaux,attachants et adorables.
Je me propose d'acheter le DVD.
mardi 10 mars 2009 à 19h32
J'ai tout simplement dévoré et adoré ce roman !! Jane est inimitable ^^
samedi 21 mars 2009 à 19h37
Je viens de terminer la lecture d'Orgueil et Préjugés" après avoir vu la version cinéma de Joe Wright. D'emblée, cette version cinématographique n'est pas fidèle au livre qui lui fournit de plus amples renseignements et l'on découvre que beaucoup de passages n'ont pas été pris en compte.
Au travers de ce roman,j'ai découvert l'auteur et son style. Je dois dire qu'elle avait un grand sens de l'observation et beaucoup d'humour.
Que dire de ses personnages principaux ? C'est une histoire d'amour qui, à tout âge, ne peut laisser indifférent : la problèmatique du début nous amène à une heureuse conclusion, la progression des sentiments au fil des pages de roman est tout à fait intéressante et passionnante.
J'ai l'intention de continuer ma découverte. Je viens d'acquérir "Raisons et Sentiments" en attendant les autres .....
samedi 11 juillet 2009 à 18h28
Il s'agit là, évidemment, d'un sommet de romantisme, alliant les atouts de la littérature anglaise à cette époque: descriptions de vastes paysages sauvages, coutumes anglaises (bals, protocole spécifique), importance du mariage...
mercredi 20 janvier 2010 à 14h42
Quel plaisir de trouver des commentaires sur mon auteur (et roman !)préféré ! J'ai découvert Jane Austen par hasard il y a plus de 25 ans par le biais d'un exemplaire d'occasion de P&P, et depuis il ne s'est pas passé d'année sans que je ne le relise au moins une fois par an. Je confirme que la lecture en VO est ... aisée, envoûtante, inimitable, d'une saveur unique ! Bref, même s'il m'est arrivé de tâter de la traduction française (celle du serpent à plumes, assez proche de l'atmosphère de l'original, mais sans plus, à mon goût), je reste une inconditionnelle de l'original ; je me réjouis à chaque relecture de l'emprise que ce roman ne cesse d'avoir sur moi : même si j'en connais certains passages presque par coeur, je suis toujours époustouflée de l'art de Jane Austen, de son humour, de sa causticité, et de cette faculté extraordinaire de réussir à me passionner pour la xième fois pour l'histoire d'Elizabeth Bennett et de M. Darcy. En ce qui concerne les adaptations, j'ai trouvé décevant le film avec K. Knightley (trop caricatural, des héros un peu ternes, surtout M. Darcy) et je viens juste de mettre la main sur la version BBC, dont j'ai entendu le plus grand bien, sans l'avoir encore vue. J'espère seulement ne pas connaître la déception que m'a value la lecture d'une des "versions" récentes, pourtant louangée, celle de Pamela Aidan, P&P vu du côté de M. Darcy. Les scènes reprises de Jane Austen sont convenables, sans plus, mais tout le reste (et dieu sait que la longueur des 3 volumes m'avait réjouie !) m'a semblé indigeste - des considérations enflammées sur la religion (jamais vu chez JA), sur la politique... - bref, je crois que je vais me replonger dans l'original, histoire de rester sur une impression plus saine.
J'ai lu les autres romans de JA, y compris Lady Susan, mais celui-ci reste sans conteste mon favori, Emma et Northanger Abbey le suivant d'assez près.
A recommander sans retenue à tous ceux qui n'y ont pas encore mis le bout du nez...
jeudi 13 octobre 2011 à 22h21
J'adore Jane Austen, son sens aigu de l'observation, son ironie mordante.