Il s'agit d'abord de l'histoire de Kobayashi Issa, étrange poète, dont la mort successive de plusieurs de ses enfants, surtout d'une petite fille, lui feront écrire sur le sens de tout cela, la vie, la mort. Et ce mot «cependant» qui a marqué si fort Philippe Forest. Cependant comme pour dire que la vie n'est qu'un fleuve de larmes, et pourtant, et pourtant... C'est ensuite la vie de Natsume Sôseki, très préoccupé dans son œuvre romanesque par la vie de couple et dont la femme ne s'est jamais remise de la mort de son premier enfant. Lui comme elle, portés par la mélancolie et la dépression, feront leur vie et inspireront son œuvre. C'est finalement la vie de Yamata Yosuke, premier à avoir photographié Nagasaki, le lendemain de la bombe.

Tout cela, comme je le disais en introduction, est prétexte pour discourir de la mort et du deuil, de la chienne de vie et de l'art. Tout ça aussi pour illustrer ce que Philippe Forest vit lui-même, c'est-à-dire le chemin qu'il suit pour tenter de vivre après la mort de son propre enfant. Quelques références à Freud sont induites subtilement, à la fin plus clairement exprimées. Un déjà-vu n'est jamais innocent...

Ce n'est pas un livre facile, c'est même un livre difficile. Difficile par son thème, mais difficile aussi par son style très maîtrisé mais parfois un peu hermétique, philosophique et réflexif. À ne pas lire si vous aimez les livres avec une trame narrative précise et une intrigue. À lire si le Japon vous intrigue et que vous aimez la littérature contemplative.

Par Catherine

Extrait :

Un préjugé faussement savant veut toujours que la poésie ne signifie rien, qu'elle soit parole pure et sans objet. Ou encore la promesse jamais tenue d'un arrêt dans le glissement incessant des mots vers le néant. Ce préjugé n'admet pour la poésie d'autre vérité que le vide: l'illumination unique selon laquelle s'éclaire la vaine vacance du temps.

seul suspens du sens - faisant signe vers le rien - tel est le poème

Et cette illumination vide, il arrive qu'on lui donne toutes sortes de noms empruntés aux philosophies les plus lointaines ou les plus improbables. Le bouddhisme zen appelle ainsi satori l'éclair qui déchire le voile opaque des phénomènes et qui livre la conscience à une extase sans contenu. Alors l'esprit se défait de toute illusion et, constatant comment tout autour de lui est voué à se perdre, il consent à sa débâcle et y découvre la forme propre de sa joie.

Voilà exclusivement, pensons-nous, ce qu'exprime la poésie japonaise, ce sentiment de l'impermanence affectant toute perception, et dans le flux sans fin des instants s'effaçant à mesure ce redoublement de rien auquel parvient le poème. Le sens s'offre en sacrifice, l'existence s'annule et dans l'extase ainsi atteinte elle se libère enfin d'elle-même. Alors, dans le murmure talentueux et inépuisablement coloré du monde, la parole n'ouvre plus qu'un bref intervalle muet de syllabes blanches et désolées:

oui, tout est néant - passage, vapeur, silence - dit la poésie

Mais Issa ajoute:

cependant

Sarinagara
Éditions Folio - 345 pages