Il est difficile de faire un résumé de cet ouvrage car les aventures de Conan sont contées dans plusieurs nouvelles. L'intérêt de cette réédition, hormis la beauté de l'objet (superbe édition reliée et illustrée) est que les nouvelles ont été entièrement retraduites et épurées de tout ce que des éditeurs soucieux de faire fructifier la franchise avaient ajouté au fil des ans.

L'introduction de Patrice Louinet, le traducteur et surtout l'un des spécialistes mondiaux de l'œuvre de Howard, donne tout son sens à la démarche entreprise par les éditions Bragelonne. Et c'est un plaisir que de se plonger dans les aventures de cet homme étrange, presque un surhomme, venu des lointaines contrées du nord, farouche et rebelle, imperméable à toute idée de civilisation...

Au fil des nouvelles, Conan prend de l'ampleur dans le récit. Il est tour à tour pirate, roi, captif, hors-la-loi, chef de guerre tribal. Il rencontre les personnages les plus importants de son monde et des démons qui semblent échappés des univers de folie d'un certain H.P. Lovecraft, par ailleurs ami proche de l'auteur.
Le barbare n'est donc pas limité au rôle qu'ont voulu lui imposer les foules. C'est certes un être étranger à toute forme de « civilisation », pourtant ses réflexions et ses actions reflètent une certaine pureté de raisonnement, empreint d'un honneur perdu. Et au fil des nouvelles, il n'est pas rare qu'il en remontre aux aristocrates ou aux rois qu'il croise.

Le présent volume reprend des nouvelles écrites entre 1932 et 1933, majoritairement diffusées dans le magazine américain Weird Tales, spécialisé dans les aventures fantastiques. Cette précision car certains thèmes sont endémiques à l'époque et au contexte social dans lequel baignait Howard. Ainsi les distinctions raciales et les a priori qui en résulte. De même une certaine vision de la femme qui a plus le rôle de faire-valoir que celui d'héroïne. Se retrouvant rapidement en difficulté, très vite dévêtue, elle sert surtout à exciter les sens, tant ceux du barbare pour la suite de l'histoire, que ceux du lecteur...

Le recueil compte treize nouvelles et un poème, « Cimmérie » que Louinet analyse comme pouvant se référer aussi bien au pays de Conan qu'à l'endroit où Howard à vécu son enfance. L'un comme l'autre étant des lieux qu'ils ont préférer oublier :

C'était une terre sinistre, qui semblait retenir
Tous les vents et les nuages et les songes qui fuient le soleil,
Les branches nues frissonnaient dans un vent solitaire
Et les forêts épaisses noyaient tout de leur obscurité,
Que ne savait percer un rare soleil maussade
Réduisant les hommes à des ombres spectrales ; ils l'appelaient
Cimmérie, terre de Ténèbres et de profonde Nuit.

Les nouvelles sont présentées dans leur ordre d'écriture, et non selon un quelconque ordre chronologique comme d'autres ont tenté de le faire. Il est également remarquable de constater que pour des « nouvelles », certaines excèdent les cinquante pages... Elles de ce fait plus proche de la Novella que de la nouvelle...

Malgré son âge, le récit a bien vieilli. La lecture est agréable, rythmée et les commentaires de Louinet en fin d'ouvrage dans les Appendices ouvrent des perspectives intéressantes quant à la compréhension de l'élaboration des textes.
Il y a quelques années, je m'étais lancé dans la lecture et m'étais heurté à la multitude de volumes parus, au bazar ambiant qu'ils exhalaient et au texte que j'avais trouvé, sinon soporifique, du moins très hermétique. Ici, rien de tout cela. Certes mes lectures m'ont préparé à aborder ce genre de récit, mais surtout le travail fait sur le texte se ressent.

Par Cœur de chene

Extrait :

Extrait de la nouvelle La Reine de la Côte Noire, où Conan fait alliance avec des pirates. Ici, il embarque cavalièrement sur un navire pour fuir une ville. Prouvant dans son récit son esprit naïf et décalé avec le monde civilisé.

Je suis Conan, un Cimmérien. J'étais venu à Argos en quête d'un emploi ; les guerres se faisant rares en ce moment, je n'ai rien trouvé qui soit dans mes cordes.
Pourquoi les gardes te poursuivent-ils ? s'enquérit Tito. Non pas que cela me regarde, mais je pensais que peut-être...
Je n'ai rien à cacher, répliqua le Cimmérien. Par Crom ! J'ai passé un temps considérable parmi vous autres, les gens civilisés, pourtant vos manières me sont toujours parfaitement incompréhensibles.
     » Donc, la nuit dernière, dans une taverne, un capitaine de la garde royale a fait violence à la compagne d'un jeune soldat, et naturellement ce dernier a embroché le capitaine. Mais il semble qu'il existe une satanée loi interdisant de tuer des gardes, aussi le garçon et la fille ont-ils pris la fuite. Le bruit s'étant répandu que l'on m'avait vu en leur compagnie, on m'a donc traîné aujourd'hui devant un tribunal. Un juge m'a demandé où avait fui le garçon. J'ai répondu que, comme c'était un ami, il m'était impossible de le trahir. Le juge s'est mis en colère et m'a tenu un grand discours où il était question de mon devoir envers l'État, la société, et d'autres choses auxquelles je n'ai rien compris, et m'a prié de lui où mon ami s'était réfugié. À ce moment, je commençais moi aussi à être furieux, car j'avais clairement expliqué ma position.
     » Mais j'ai ravalé ma colère et j'ai gardé mon calme. Le juge a repris de plus belle, braillant que j'avais fait offense à la cour et que je devais donc être jeté dans un cachot pour y moisir jusqu'à ce que je dénonce mon ami. Comprenant alors qu'ils étaient tous fous, j'ai sorti mon épée et j'ai fendu le crâne du juge en deux ; je me suis ensuite frayé un chemin jusqu'à la sortie du tribunal. Apercevant l'étalon du gouverneur attaché à proximité, j'ai sauté en selle et l'ai lancé au galop jusqu'au port où j'espérais trouver un navire prêt à appareiller pour l'étranger.
Ma foi, déclara Tito avec vigueur, les tribunaux m'ont dépouillé trop souvent, lors de procès avec de riches marchands, pour que je les porte dans mon cœur. J'aurais à répondre à leurs questions si jamais je jette à nouveau l'ancre dans ce port, mais je pourrais facilement prouver que j'ai agi sous la contrainte. Rengaine donc ton épée ; tu n'as rien à craindre ici. Nous sommes de paisibles marins et n'avons rien contre toi. De plus, il est toujours utile d'avoir un soldat aguerri tel que toi à bord. Allons sur la dunette pour y vider quelques chopes de bière.
Ça me convient, répondit le Cimmérien avec empressement tout en rengainant son épée.


Éditions Bragelonne, édition collector illustrée, 2007, 574 pages.