Par ces nouvelles, I. Bachmann nous dresse les portrait de femmes en décalage avec la réalité. Il y a Nadja, l'interprète de conférences, limite hystérique, qui rêve d'une langue unique. Puis Béatrice, une étudiante ayant vite cesser toute activité et qui passe ses journées à dormir ou lâcher la bride à son narcissisme dans son salon de coiffure préféré. Il y a également la sympathique Miranda, qui oublie ou perd ses lunettes selon ses besoins ou ses craintes; Mme Jordan ensuite, une vieille personne délaissée par son célèbre fils chirurgien. Elle continue pourtant à le vénérer malgré la terreur qu'elle éprouve à son égard. Enfin, il y a Elisabeth, photographe et journaliste de guerre. Lors d'une visite à son père, elle réalise que les sentiers autour du lac de son enfance ne la ramène pas vers « chez elle », vers le lieu où elle se sentirait le mieux.

Autant le dire, je me suis très vite lassée des histoires de Nadja et de Béatrice. J'ai été souvent à deux doigts de tout abandonner tant elles devenaient horripilantes, totalement à côté de la plaque. Je les aurai bien laisser à leur sort. L'histoire de Mme Jordan terrorisée par son fils alors qu'il l'a bel et bien abandonné m'a laissée mal à l'aise. Cette vieille dame ne trouve de réconfort qu'avec les fréquentes visites de sa belle-fille. En écoutant les histoires et divagations de sa belle-mère, la jeune femme découvre quel homme elle a épousé. Finalement, le récit qui m'a le plus accroché est celui d'Elisabeth. Photographe et journaliste de guerre, elle s'accorde un peu de repos à la campagne auprès de son père. Au fil de ses marches pour atteindre le lac de son enfance, elle se souvient de sa vie, des hommes qu'elle a connu, des exigences de son métier. Apparaît aussi le fait qu'elle n'est nulle part chez elle.

Mais toutes ces femmes souffrent d'une solitude sans fonds, comme d'une maladie inguérissable Le style narratif de l'auteur où les dialogues n'existent pas ne fait rien pour alléger tout cela. Ces longs monologues intérieurs donnent l'impression au lecteur qu'il est entré dans la tête de ces femmes. C'est sombre, pas très joyeux ou dynamique, trop introspectif. Une lecture à faire quand on se sent bien.

Il me reste les célèbres Lettres à Felician pour me faire une autre idée de la plume de Ingeborg Bachmann. Pour l'heure, la rencontre n'a pas été très probante.

Dédale

Extrait :

Un jour qu'elle était venue chez lui en larmes et désemparée parce qu'un de ses amis, qu'elle ne connaissait pas particulièrement bien, mais parmi tous ces gens elle avait toujours tant d'amis, avait été tué à Budapest dans les combats de rue alors qu'il prenait des photos, perdant son sang, sa caméra à la main, Trotta la laissa pleurer et garda un silence obstiné. Puis elle-même et la rédaction, et surtout la France, la meilleure, la plus consciencieuse, perdirent trois photographes et un reporter en Algérie et deux journalistes à Suez : la guerre que vous photographiez pour les autres, pour le petit-déjeuner, elle ne vous épargne pas non plus. Je ne sais pas, mais je suis incapable de verser une larme sur tes amis. Quand on se précipite dans le feu pour rapporter quelques bonnes photographies de la mort des autres, quand on a ce genre d'ambition sportive, on peut mourir aussi, il n'y a là rien de particulier, ce sont les risques du métier, c'est tout ! Elisabeth avait perdu tout contenance, car tout ce qu'ils faisaient à ce moment-là, elle le considérait comme la seule attitude juste, il fallait que les gens apprennent, de façon précise, ce qui se passait là-bas, et il fallait qu'ils voient ces photos pour « être secoués, réveillés ». Trotta dit seulement : Ah bon, il le faut ? Ils le veulent ? Réveillés, seuls sont ceux qui peuvent imaginer tout ça sans vous. Tu crois vraiment qu'il faut me faire des photos de villages détruits et de cadavres pour que je me représente ce qu'est la guerre, ou bien de ces enfants indiens pour que je sache ce qu'est la faim ? Qu'est-ce que cette prétention stupide ? Et celui qui ne sait pas, il feuillette vos séries de photos bien réussies, en esthète ou simplement écœuré, ce qui dépend probablement de la qualité des clichés, tu dis souvent à quel point la qualité est importante, et si on t'envoie partout, n'est-ce pas parce que tes photos possèdent cette qualité ? Demanda-t-il avec un léger mépris.

Trois sentiers vers le lac
Éditions Actes Sud Babel - 274 pages