La première nouvelle qui ouvre ce recueil est intitulée La standardiste : une jeune femme, récompensée par un prix littéraire fortement convoité, dévoile le soir de la cérémonie qu'elle n'est que la dépositaire du récit. La véritable romancière, sa mère, était standardiste dans une grande maison d'édition. Mais qui, des collaborateurs, auraient pu imaginer que derrière le visage timide de cette femme affreusement banale et transparente, se cachait une très belle plume. Ce premier récit donne une idée assez précise de l'ensemble du livre. Laurence Cossé peint et dépeint, avec le souci du détail, le quotidien ordinaire de ceux qui nous éblouissent avec leurs mots. Elle réussit, en quelques mots, à créer une ambiance, un décor. Mais malheureusement, cela ne suffit pas à créer une histoire. En fait, ce qui pour moi fait défaut dans ce recueil, c'est la richesse des intrigues. Trop souvent, j'ai eu l'impression désagréable que l'auteure abandonnait ses personnages et ses histoires avant la fin, qu'elle mettait un point final là où l'on attendait une virgule.

Cela est sans doute dû à cette culture française de la nouvelle, la tradition de la chute dont parle Geroges Flipo dans Qui comme Ulysse. Si je n'attends pas d'une nouvelle qu'elle propose une issue définitive ( au contraire, je trouve même que certaines fins ouvertes sont bien plus intéressantes que des épilogues trop explicites ), j'aime du moins ne pas avoir l'impression que l'on a omis d'imprimer la fin de l'histoire. En fait, plus j'avançais dans le recueil, plus ce sentiment de frustration s'est fait prégnant. Pour tout dire, je viens de finir de le lire au moment où j'écris ces mots, et je suis déjà incapable de me souvenir de plus de la moitié des récits... Sensation étrange que d'avoir lu un livre et de n'en garder que si peu de souvenirs arrivée à la dernière page. Alors pour avoir une idée un peu plus précise du contenu de ce recueil, je ne peux que vous inviter à lire les billets de Cuné, Alice et Clarabel qui non seulement sont bien plus dissertes que moi, mais qui ont surtout apprécié l'ensemble.

Laurence

Extrait de La standardiste :

Et Dieu sait qu'il y avait des choses à voir, dans le hall de Martel. Alexandra Silber avait lu quelque part que Louis Malle, le cinéaste, avait posé un jour sa caméra sur une table du Café de la Mairie, place Saint-Sulpice, et l'avait laissée tourner là toute une journée. Elle aurait plutôt posé un caméra dans le hall d'entrée des Éditions Martel. Dieu sait qu'on séjourne, dans ce hall, et qu'il s'y passe des choses, des comédies sociales miniatures, des drames en dix secondes. On attends là, dans des fauteuils modernes en similicuir brun - certains une minute, avant qu'on vienne les chercher avec empressement; d'autres longtemps, l'air angoissé : ceux-là, il est fréquent, au bout d'un long moment, que vienne les trouver une personne qui n'est pas celle qu'ils attendaient, soyons clair, une secrétaire ; ils se lèvent ; la secrétaire leur dit un mot ; ils s'en vont. Il y avait dans ce roman des pages terribles sur les manuscrits refusée, se rappelait Alexandra Silber. Ou plus exactement sur les auteurs des manuscrits refusés, avertis par la poste qu'ils pouvaient récupérer leur travail aux Éditions Martel. C'étaient en général des gens jeunes, ils poussaient la porte du hall et se présentaient à l'accueil. Et là, devant ceux qui attendaient, assis dans les fauteuils, près de ceux qui discutaient debout à deux ou trois, ils devaient dire, fort pour que la standardiste les comprenne : « Je viens recupérer un manuscrit. » Ils ne le disaient jamais normalement. Certains étaient agressifs, ils parlaient plus fort que nécessaire, d'autres avaient l'air au bord des larmes, on les comprenaient à peine ; et on se souvient, à les voir, qu'en 1990 un auteur débouté était allé se jeter sous le métro, en sortant de chez Martel, à la station Odéon, à deux pas.


Éditions Gallimard - 199 pages