L'apocalypse a eu lieu. Le monde est dévasté, couvert de cendres, soumis à un hiver nucléaire.
Dans cette désolation, un homme et son fils errent sur une route, poussant un caddie rempli d'objets hétéroclites, de boîtes de conserves et de vieilles couvertures.
Ils sont sur leurs gardes car le danger peut surgir à tout moment, venant de n'importe qui.
Ils affrontent la pluie, la neige, le froid, la faim. Et ce qui reste d'une humanité retournée à la barbarie.
Un résumé lapidaire pour un texte qui l'est presque plus encore.
Un texte qui a reçu le Prix Pulitzer en 2007 et qui, à mon humble avis, le mérite.
Durant les quelques 250 pages de ce « roman » d'anticipation, nous suivons les tribulations d'un homme et de son fils, livrés à eux-mêmes sur cette route dont on ne sait rien, dans un pays dont on ne sait rien. Leur seul objectif est de survivre encore un jour. Puis un autre...
Sorte de Mad Max sans l'aspect mécanique, cet univers est une projection de ce que pourrait devenir notre humanité solidaire, bonne et foncièrement altruiste... hum.
Le récit, court, n'en est pas moins dense.
Le texte est simple et se lit vite. Mais chaque mot de vocabulaire est précis, pesé, donné avec exactitude. J'ai eu le sentiment que cette précision était tout ce qu'il restait à l'auteur pour mettre en avant l'immense perte de la technologie et de la connaissance. Parallèlement, les dialogues sont brefs, sans aucune marque typographique (il n'y a ni guillemets ni tirets), pas plus qu'il n'y a de chapitres ou de découpage autre qu'un saut de paragraphe, ce qui confère au récit une sorte de linéarité, de lassitude. Laissant transparaître celle des personnages. D'ailleurs, ils n'ont pas d'identité. Il s'agit de « l'homme », ou de « il » et du « petit ». Jamais il n'y a un nom, pour une personne ou un lieu. C'est intemporel et indéterminé. Plus rien n'existe que ces deux présences sur la route avec leur caddie et les rares êtres vivants qu'ils croisent.
Bizarrement, la fin du récit est connu quasiment d'emblée. On la devine, on la pressent. Malgré tout on continue de lire. Mais pas pour la fin de l'histoire. Simplement parce qu'une fois commencée la lecture, les pages se tournent avec une facilité déconcertante et l'œil balaye les lignes automatiquement. C'est presque du voyeurisme, sans fioritures ni enrobage. Nous suivons pas à pas notre futur.
Et c'est un exercice de style que d'autres ont tenté avant. Avec plus ou moins la même chance. J'ai eu la tentation de rapprocher le récit d'un Nyourk de Stefan Wul, mais la référence à Mad Max est beaucoup plus réelle. De même que Barjavel ne semble pas loin, avec un Ravages qui a un thème identique.
Au final, c'est un récit prenant, réaliste et surtout désespéré. Un récit dépouillé à l'extrême, jusque dans l'écriture mais c'est ce qui fait qu'il est particulier et qu'on ne s'en détache pas facilement.
Du même auteur : Un enfant de dieu
Par Cœurdechene
Comme Coeurdechêne, j'ai beaucoup aimé La route. C'est écrit habilement, traduit habilement et le livre nous habite, avec son atmosphère post-apocalyptique, tout au long de la lecture. J'ai adoré la forme du récit qui le sert tellement bien, la linéarité et l'absence d'identité des personnages. En même temps, j'avoue que la prémisse philosophique est pour le moins choquante: cette barbarie (l'homme est un loup pour l'homme) qui marque le retour à l'état sauvage. Heureusement, un aspect du livre approfondit cette première conception et la teinte de nuances. Il y a une tension entre la conception du monde du petit (les bons et les méchants) et les égarements de l'homme (est-ce que les bons sont parfois méchants?).
Je n'ai pas trop su quoi pensé de la présence de Dieu dans ce récit, j'aimerais bien avoir des avis...
Par Catherine
Voilà encore un bel exemple de ce qu'est pour moi de la vraie Littérature ! Un récit qui tient la route (si vous me permettez l'expression de circonstance), des personnages, un travail de fond sur l'écriture qui accompagne, sert au plus juste l'histoire. L'absence par moment ou la faible présence de ponctuation dans le texte ajoute à la linéarité de l'histoire. La route en devient interminable, sans fin, sans obstacles ou presque. Cette écriture accentue encore la longueur des jours sans lumières, ces jours qui s'égrainent sans fin. Un jour, puis encore un autre, et encore un autre à peine différent du précédent. Des paysages gris, désertiques, de passages d'atrocités, un désespoir baignant toute chose, en tout être humain ou ce qu'il en reste, ce sentiment de peur constant, on suit cette route, toujours vers le Sud. On marche avec le père et son fils. On suit également leur évolution. Le père comme un passeur, le fils qui grandit. Le petit se forge une personnalité, ses propres idées.
Ensuite comme Catherine, je me suis souvent interrogée sur la présence de Dieu dans cette histoire. Est-ce un des derniers vestiges auxquels se raccroche le père pour avancer à chaque jour nouveau ? Peut être est-ce le fait que l'auteur est américain et que la religion est très présente dans le quotidien, dans les mentalités de ce pays. Je ne sais. A mon sens, cette référence n'était pas forcément nécessaire.
Vraiment, une superbe découverte. Une lecture qui ne peut laisser indifférente, une de celles qui restent.
Par Dédale
le 03 janvier 2009
Extrait :
Deux extraits pour donner une idée du style...
Il s'assit et passa la main dans le mécanisme des distributeurs éventrés et dans le deuxième distributeur sa main se referma sur quelque chose de froid. Un cylindre métallique. Il retira lentement sa main et resta cloué sur place devant un Coca-Cola.
Qu'est-ce que c'est, Papa ?
Quelque chose de bon pour toi.
Qu'est-ce que c'est ?
Attends. Assieds-toi
Il dégagea les courroies du sac à dos du petit et posa le sac par terre derrière lui et glissa l'ongle de son pouce sous la bague d'aluminium en haut de la canette et l'ouvrit. Il approcha ses narines de la mousse légère qui sortait de la canette puis il la tendit au petit. Vas-y, dit-il.
Le petit prit la canette et but. Ça fait des bulles, dit-il.
Vas-y.
Il leva les yeux sur son père puis il inclina la canette et but. Il réfléchit un moment. C'est très bon, dit-il.
Oui, c'est bon.
Prends-en un peu, Papa.
Je veux que tu boives tout.
Prends-en un peu.
Il prit la canette et but une gorgée et rendit la canette au petit. Bois tout, dit-il. Restons ici un moment.
C'est parce que j'en aurais jamais d'autre à boire, hein ?
C'est long jamais.
D'accord, dit le petit.
Le lendemain matin ils furent vite repartis. Il faisait très froid. Au début de l'après midi il se remit à neiger et ils établirent leur bivouac de bonne heure et s'abritèrent sous l'auvent de la bâche et regardèrent la neige tomber dans les flammes. Au matin, il y avait plusieurs centimètres de neige fraîche par terre mais la neige s'était arrêtée et il régnait un tel silence qu'ils pouvaient presque entendre battre leur cœur. Il empila du bois sur les braises et ranima le feu et se fraya un chemin à travers les congères pour aller dégager le caddie. Il tria les boîtes de conserve et revint et ils s'assirent près du feu et mangèrent leurs derniers biscuits salés et des saucisses en conserve. Dans une poche de son sac à dos il avait trouvé un ultime demi-paquet de cacao et il en prépara une tasse pour le petit puis il versa de l'eau chaude dans sa tasse à lui et souffla sur le bord.
Tu avais promis de ne pas faire ça, dit le petit.
De ne pas faire quoi ?
Tu sais bien quoi, Papa.
Il reversa l'eau chaude dans la casserole et prit la tasse du petit et versa un peu de cacao dans la sienne et lui rendit sa tasse.
Il faut que je te surveille tout le temps, dit le petit.
Je sais.
Si tu manques aux petites promesses tu manqueras aux grandes, c'est ce que tu as dit.
Je sais. Mais je tiendrai parole.
Éditions de L'Olivier -244 pages
Commentaires
jeudi 30 octobre 2008 à 09h36
Voilà un livre que j'avais trouvé magnifique, comme beaucoup de blogueurs
vendredi 31 octobre 2008 à 19h25
Ce livre est sur ma liste depuis un bon bout de temps. Il va falloir que je m'y mette. Je ne lis que des compliments à son propos.
dimanche 2 novembre 2008 à 09h40
Et c'est réellement un très beau livre, dérangeant juste ce qu'il faut.
Phil, si tu le lis, reviens par ici nous dire ce que tu en as pensé...
Et pour les gamers, j'ai discuté hier avec un ami et me suis rendu compte que l'atmosphère du roman se rapprochait énormément de celle d'un jeu vidéo sorti récemment : Fallout 3. Allier plaisir de jeu et plaisir de lecture peut-être une bonne idée pour s'immerger dans un univers, qui plus est aussi particulier que celui-ci.
samedi 22 novembre 2008 à 10h44
Encore une lecture que nous aurons en commun, amis
Cet ouvrage m'attend sagement sur ma pile. Dès que j'ai terminé, je reviens vous dire.
samedi 22 novembre 2008 à 10h53
Tout simplement un des meilleurs livres que j'ai lus dans ma vie...
mardi 9 décembre 2008 à 08h05
Merci au Biblioblog pour avoir parlé de ce livre. C'est vraiment une pure merveille. Je me méfie d'habitude des livres "post-apo", mais là ce n'est pas le sujet. J'ai apprécié le style (le traducteur doit être très bon), la forme des dialogues, les rapports entre les deux héros, et la justesse de chaque mot ; parfois on dirait un poème.
J'ai cru deux ou trois fois que j'allais m'arrêter, tellement tout était désespérant. Et puis j'ai persévéré, c'était si beau ! Je ne le regrette pas. Ca restera un des "grands livres " de ma vie, on a tous les nôtres.
jeudi 25 décembre 2008 à 13h46
Je viens de terminer cet ouvrage. C'est vraiment quelque chose !! QUelques mots sur cette lecture, peut être... une fois l'impact passé. Encore de la belle littérature.
dimanche 4 janvier 2009 à 00h30
Heureux que tu aies apprécié la lecture, Dédale

C'est vrai que c'est un ouvrage marquant.
Quant au point que tu soulèves sur la référence à Dieu... ce n'est pas quelque chose qui m'a heurté. J'ai sans doute une sensibilité différente au sujet
vendredi 27 février 2009 à 11h55
quand on commence cet ouvrage, on ne peut plus s'arrêter car on veut connaitre la fin... On n'en sort pas indemne !!
mercredi 27 janvier 2010 à 09h13
Oui, un roman intense. Lu d'une traite pour ma part alors que je ne comptais lire qu'une cinquantaine de page au départ... J'avais connu l'auteur avec un ancien roman (Suthree) un livre un peu fouillis que j'avais eu du mal à terminer, mais celui-là est marquant. On chemine sur les derniers vestiges de l'humanité. On survit au gré des denrées périssables, des dernières ressources trouvées ça et là, alors que la grisaille, et la pourriture recouvrent tout.
La présence de Dieu... C'est peut-être ici, le dernier signe d'un espoir balayé par la terreur et la folie puisque la mort semble plus douce que la survie.
Il y a cet homme, ce fils chétif comme unique raison d'avancer, cette balle dans le barillet comme dernier rempart. Il y a surtout cette nature si bien décrite, une nature bafouée, sombre, comme brûlée au lance-flamme.
Il y a ces derniers grammes d'amour, cette dernière chaleur, que l'auteur malmène et pour laquelle on se prend à trembler. Ce roman est sobre, sombre et poignant. Il nous ramène à quelque chose d'essentiel. Une vraie réussite.
mercredi 27 janvier 2010 à 11h53
D'accord sans réserves avec tous ces éloges sur "La route". Par contre, abstenez-vous d'aller voir l'adaptation cinématographique : extrêmement décevante. Au contraire de celle qui avait été faite de "No country for old men".
mercredi 27 janvier 2010 à 12h48
Pas d'accord avec toi, Gatsby...
J'ai trouvé l'adaptation fidèle au roman et le jeu d'acteur de Viggo Mortensen traverse l'écran.
Ma seule déception a été d'avoir une bande originale trop peu présente à mon goût, mais ça, c'est une considération personnelle
De manière générale, j'ai vraiment retrouvé l'atmosphère oppressante du roman, ce monde sans espoir, sans avenir et ce combat contre l'inéluctable. On pourrait presque y associer ces vers de Rostand :
"Mais on ne se bat pas dans l'espoir du succès / non, non, c'est bien plus beau lorsque c'est inutile".
Moi je le conseille, pour au moins se forger sa propre opinion.
mercredi 27 janvier 2010 à 15h27
Coeurdechene : je suis d'accord avec toi sur deux points, l'interprétation de Mortensen qui est un immense acteur et la discrétion de la BO pourtant en partie signée par Nick Cave.
dimanche 31 août 2014 à 17h06
Je rattrape quelques retards. Lecture de la route, dont j'ai déjà beaucoup entendu parlé (en particulier au Masque et la Plume, avec un courrier des lecteurs impressionnant). J'ai beaucoup aimé la description de tête humanité livrée à elle-même, pour des raisons finalement assez obscures, et cette lutte pour s'en sortir par soi-même. La solidarité et l'amour entre l'homme et son fils sont admirables. Lecture qui m'a évoqué un des romans du prix Biblioblog 2014, Liberté dans la montagne : pas du tout le même traitement, mais l'aventure de deux personnes, un adulte et un enfant, qui doivent faire face à l'adversité. Ici, c'est plus brillant, car apocalyptique !