Colin et Mariéla ont tué leur père, Corazon. Il faut dire que Corazon, il n'a pas la main légère et quand sa colère se déverse sur leur mère, Joséphine, ça frappe fort et ça crie aussi. Parfois Corazon frappe aussi Colin. Il faut dire que Colin est faible et malade, et Corazon est un homme fort qui aurait voulu un fils fort. Il n'y a que Mariéla que Corazon ne frappe jamais. Il faut dire que Mariéla elle est forte aussi.

Colin et Mariéla ont tué leur père, mais est-ce que c'était un crime? D'abord, c'était peut-être pas vraiment par exprès. Et Colin a seulement aidé un peu... alors c'est quoi cette vague de culpabilité?

Voilà un roman troublant, déchirant de douleur et de violence, toutes les sortes de violence. Mais voilà aussi un roman d'une certaine candeur, derrière les yeux de ce Colin à la santé fragile, au regard parfois pas très clair sur le réel et dont l'âge est indéfinissable. Colin peut rappeler, par ce regard décalé sur le monde, le personnage principale de La petite fille qui aimait trop les allumettes de Gaétan Soucy.

Ce n'est pas le meilleur de Lyonel Trouillot, mais c'est quand même très beau. C'est un regard totalement troublant sur la violence structurelle (celle de la société) qui engendre la violence personnelle, comme en un cercle vicieux qui ne s'achève plus.

Lyonel Trouillot n'est évidemment pas le seul à témoigner de cette violence, mais je trouve que, comme personne, il arrive à nous faire rentrer dans son intimité, à nous faire sentir son horreur tout en nous rappelant comment, pour toute une partie de l'humanité, il s'agit aussi d'une banalité.

Lire aussi l'interview de Lyonel Trouillot sur Biblioblog.

Autres romans de Lyonel Trouillot :
Yanvalou pour Charlie
L'amour avant que j'oublie
Thérèse en mille morceaux
Bicentenaire
Rue des pas perdus
Lettres de loin en loin : une correspondance haïtienne
L'éloge de la contemplation
La belle amour humaine

Par Catherine

Extrait :

Les idées noires, c'est comme les arbres. Ça peut mettre du temps à grandir, ça bourgeonne dans votre tête où elles finissent par prendre racine. Les premières heures qui ont suivi la deuxième mort de Corazon, après notre course pour nous enfuir de la cité, nous avons marché calmement dans la zone du Champ-de-Mars où planent, indifférentes, les statues des héros. Mariéla portait le sac et réfléchissait pour nous deux. Nous marchions côte à côte, et j'avançais tranquille, comme caché derrière elle. Elle a toujours été gentille avec moi. Elle m'a rendu des tas de services, un millier de petites choses qu'on ne retient pas sur le coup. De grandes choses aussi. Comme de me faire mes devoirs ou de prendre soin de ma santé. En plus, comme elle était l'enfant chérie de Corazon, chaque fois que je faisait une bêtise elle disait NOUS, pour l'amadouer. Si c'est pas contraire à la loi, j'espère qu'on pourra s'écrire. Elle et moi, c'était une vraie paire. Mariéla, elle est plus qu'une soeur. Frère et soeur, c'est pas des mots qu'on utilise. Dans la cité on appelle chacun par son nom et on aime un peu qui on veut. On n'a pas assez de moyens pour aimer par obligation. Mariéla, je l'avais choisie. C'était déjà comme ça avant. Et le temps qu'a duré notre fuite, trois jours, deux lunes et quelques heures, avant qu'au troisième jour on nous ait repérés sur cette même place du Champ-de-Mars, dans le giron des mêmes statues, moi, assis sous le kiosque à rêver de musique, elle, arrivant au bout de son tour de vélo, elle et moi formions une vraie paire.


Éditions Actes Sud/Leméac - 135 pages