Évidemment, tous les clichés que l'on peut attendre de ce type de situation sont présents dans le roman : il découvre le regard des hommes sur son corps de femme, apprend la joie de marcher avec des talons hauts, fait l'apprentissage du cycle menstruel, explore le plaisir féminin etc... Les quiproquos et les épisodes cocasses sont nombreux et l'on sourit quelques fois.

Pour la narration, Régis de sa Moreira a choisi la deuxième personne du singulier, et effectivement, comme beaucoup l'ont déjà souligné, cela favorise l'implication du lecteur. On a l'impression que Régis de sa Moreira s'adresse à nous de la première à la dernière page ( ce qui peut parfois être étrange quand le lecteur est une femme et qu'elle est censée découvrir ce que l'elle ressent dans son propre corps ). Mais il me semble surtout que ce choix narratif est purement technique. En effet, à partir du moment où l'auteur a décidé que le personnage continue de parler du corps qu'il habite comme un élément appartenant toujours à sa moitié, l'utilisation du "tu" est, en français, inévitable. Cela permet d'écrire : « Elle racle un peu ta gorge, prend ta respiration et te demande soudain d'aller à son travail ». Imaginez la même phrase avec une narration à la troisième personne, cela ne voudrait plus rien dire : Elle racle un peu sa gorge, prend sa respiration et lui demande soudain d'aller à son travail. Le choix narratif ne m'a donc pas paru particulièrement ingénieux ( beaucoup d'autres romanciers ont déjà utilisé ce procédé, et de façon bien plus habile ), mais tout simplement indispensable à la compréhension de l'histoire.

Si l'on met donc de côté cette pseudo-originalité, l'intrigue en elle-même n'a vraiment rien de révolutionnaire et tombe même bien trop souvent dans les stéréotypes et la caricature. Il y a pourtant un point que j'ai trouvé intéressant : au fur et à mesure que l'histoire avance, l'homme et le femme se re-découvrent et tombent sous la séduction de l'autre. Soit. Mais l'interprétation que j'en ai faite est vraiment très éloignée de ce que nous en dit l'éditeur. D'après ce dernier, « sans doute fallait-il cela pour recommencer à prêter attention à l'autre et à soi, pouvoir s'aimer à nouveau. ». Mais le verbe s'aimer est-il ici un verbe pronominal réciproque, comme le laisserait supposer une lecture rapide, ou réfléchi, ce qui à mon sens devient beaucoup plus intéressant ? Car ce qui est sous-jacent dans Mari et femme, c'est l'amour que l'on se porte à soi-même et que le couple peut enfin assumer pleinement. Retombent-ils amoureux, ou peuvent-il enfin assumer leurs désirs narcissiques sans tabous ? Voilà qui, je pense, aurait pu donner un tour inattendu et intéressant à l'intrigue. Malheureusement, cette piste est vite abandonnée par l'auteur. Tout tourne ici autour du corps et d'un espèce de fantasme inavoué, d'une frustration latente.

Quant aux retours à la ligne très nombreux, que certains ont rapprochés d'une poésie moderne, je n'y ai vu qu'un effet de mise en page plus ou moins pertinent. On ne peut en effet résumer la poésie à une pseudo-versification, auquel cas Mallarmé, Rimbaud et bien d'autres n'auraient plus droit au qualificatif de poètes, ce qui vous serez sûrement d'accord, est un non-sens absolu. Doit-on rappeler que la poésie est une mise en forme du langage, une recherche esthétique et artistique ? Dans le récit de Régis de sà Moreira, en dehors de ces retours à la ligne parfois arbitraires, il n'y a aucune musicalité, aucune subversion du langage, qui pourraient laisser supposer une démarche poétique.

J'en garde donc le souvenir d'un récit agréable et facile. Mari et femme fait pour moi partie de ces romans récréatifs, qui permettent de faire une pause entre deux lectures plus nourrissantes. D'ailleurs, si le sujet du roman de Mari et femme vous intéresse (ou vous a plu), je vous invite à lire ou relire La poétique de la rêverie de Gaston Bachelard. Ce dernier vous propose une réflexion réellement approfondie, pertinente et poétique sur notre dualité, la rêverie solitaire et le concept d'anima et d'animus.

Mais une fois de plus, je suis un peu à contre courant dans notre blogosphère, car en dehors d'Emeraude et Laure, qui émettent quelques réserves, les autres blogueuses ont toutes été séduites. Voici donc des liens vers les billets de lectrices conquises : Lily, Amanda, Cuné, Arsenik_, Caro[line] et Sandrounette.

Du même auteur : Le libraire

Laurence

Extrait :

Complètement vidé, tu termines ta journée dans le métro en admirant le reflet de ta femme dans la vitre.
Tu ne l'admires pas tant pour son travail que pour sa capacité à le faire malgré le secret qu'elle porte entre ses jambes.
Tu admires toutes les femmes en fait, tu les regardes une à une dans le wagon, tu sais qu'elles partagent le même secret, et tu te rends compte que les hommes ne se rendent pas compte.
Qu'il y a de quoi devenir complètement cinglé.
Qu'elles sont toutes surhumaines d'arriver à garder leur tête.
À former des phrases.
À tenir debout.
À ne pas s'envoler.

Les yeux dans le vide, tu ouvres la bouche de ta femme et tu t'amuses à faire des ah et des oh en écoutant sa voix.
De longs huuu.
De gros euh.
Des petits hi hi.


Éditions Au Diable Vauvert - 182 pages