Entouré de son petit cercle - parents, famille, meilleur ami (un hédoniste heureux!), une semblant de petite amie, deux libraires sympathiques - il cherche à s'isoler pour sombrer dans un malheur créatif. Voilà ce qu'il appelle 'son processus'. Et ça marche pas mal considérant qu'il finit réellement par sombrer. Mais ce malheur tant recherché sera-t-il aussi créatif qu'il le souhaite?

L'idée est intéressante, le propos parfois corrosif et assez rigolo. Ce livre est parsemé de réflexions intéressantes sur la société («L’humain est le seul animal à avoir des pouces à tourner et ça lui a aussi permis de tenir une mailloche pour taper sur son voisin.» ou encore «Vous pouvez donner un tas de merdes, s’il est gratuit les gens se le disputeront à coup sûr.») et de réflexions ironiques sur les artistes, ou plus précisément ceux qui tentent de l'être de la mauvaise façon («Comme je suis écrivain, ce n’est pas pareil, je réagis différemment aux aléas de la vie et de la mort. Je cherche dans la merde, me vautre dans le dépotoir de l’existence, patauge dans la gadoue.»)

Alors qu'est-ce qui ne colle pas? Premièrement, si le roman se voulait une allégorie on se demande pourquoi avoir senti le besoin de dater les interventions. C'est vrai que trois mois ça fait court pour se mettre sur le chômage, entamé une relation amoureuse et la finir, perdre son appartement, tomber dans l'enfer de la drogue (et en sortir!) et j'en passe! Deuxièmement, le style de l'auteur est très fort, parfois trop. Le texte est parsemé de jeux de mots souvent bien pensés. Mais c'est trop! Pour les Québécois, ça fait penser à Sol ... et on se prend à comprendre pourquoi Sol n'a jamais écrit de roman! Ce n'était pas mauvais, et pourtant à la page 70 je commençais à être étourdie.

Finalement, je dois dire que j'ai été un peu irritée (je sais que c'est de l'humour, mais l'humour est parfois irritant!) sur les réflexions voulant que plus personne ne soit authentiquement malheureux dans notre société.

Mais Sébastien Filiatrault a du talent, et un style indéniable. Je serai là pour le prochain en le souhaitant à la fois plus resserré et moins sur-rempli de jeux de langage.

Par Catherine

La Recrue du mois est une initiative collective qui met en vedette le premier ouvrage d’un auteur québécois. Pour lire les autres commentaires sur ce livre vous pouvez donc vous rendre sur le site de La recrue du mois

Extrait :

Tout le monde rêve d'être un artiste en regardant ces émissions de télé et en feuilletant les magazines remplis de clichés de parasites, ces stars d'un soir griffées par la haute couture italienne qui passent leurs journées à dévaler des tapis rouges. Toujours à s'afficher, à se pavaner devant les flashs, on se demande bien quand est-ce qu'elles créent, ces petites bêtes-là C'est alléchant, présenté comme ça, quand on est un observateur extérieur, un spectateur aux premières loges, un simple public mortel, mais elles ne savent pas, ces étoiles filantes, qu'un véritable artiste se doit de pourrir dans un deux et demi, se couper une oreille ou finir par se suicider afin de créer (de préférence après, tout de même). Il doit souffrir le monde dans chaque parcelle de son corps, ronger son frein seul au volant de sa vie incomprise à cent milles à l'heure dans les méandres du gouffre infernal de la désolation humaine. Il doit regarder droit dans le troisième oeil du grand shaman et y extirper tout le vide incongru de l'existence pour en faire une sonate, un poème avec ou sans rimes pour emporter. Les gens croient-ils que le grand Émile perdait son temps à zapper toute la soirée dans son La-Z-Boy, croient-ils que Baudelaire planifiait des vacances en famille à Walt Disney World? Et Rimbaud, il se levait tous les matins boîte à lunch en main et cravate au cou pour se rendre au boulot? Laissez-moi rire, je me roule à terre, je me tape sur les cuisses devant ces illusions puériles. Je suis désolé de péter des ballounes aussi abruptement, sans mettre mes gants blancs pour épargner les grands rêveurs, mais un véritable artiste doit souffrir l'enfer, et la misère des riches ne produit aucun génie. À peine un brin de divertissement.


Éditions Stanké - 258 pages